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désolée, Paumée se veut à l'abri, sauf quand un acte fait déborder le vase, des allusions à la politique ambiante.. et si je suis reconnaissante aux envies de commenter je vous demande de me pardonner de rétablir la modération

mardi, décembre 14, 2010


Aurore

Lumière pale,
grise, lente,
qui dessine
les toits.

Des bruits
de grilles,
de pas,
rares encore.

Voix des radios
par quelques fenêtres,
toussotements de mobylettes,
un sifflotement accompagné
par le rebond
d'une main baguée
sautant de barreaux
en barreaux, perçue
par le silence.

Le soleil monte,
voitures qui filent,
des fumeurs sortent
sur le trottoir
tasses en main,
la rue s'emplit
de bruits indistincts
trouée en fusées
par des saluts

Les corps attendent
frissonnant un peu
sur le quai
direction de Boissy,
et en face
les rames déversent
manteaux, parkas, foulards,
bruits de bottes
sur les marches

Une machine en panne,
ne rend pas monnaie,
la croissanterie, sa puanteur
fade de beurre rance,
corbeille pleine de gobelets,
on distribue des gratuits
devant la lumière froide
du marchand de journaux,
le parking est plein,
toujours les mêmes voitures,
des autos freinent, déposent
des secrétaires et repartent
vers chantiers ou bureaux,
discussion de deux employés
derrière leur vitre, inaudible,
les toilettes sont condamnées.


Ali quitte sa supérette,
traverse, entre au café,
salut, attend un peu,
ressort avec son thé.
Il le boit tranquillement
entre les barres chocolatées
des bosseuses à Paris
et celles des écoliers.
Sa voisine part en voiture
pour faire un marché
au grand Carrefour tapi
sur plaine de goudron
juste un peu avant
les plaques portant noms,
celui de la ville,
celui de la voisine.

Des mères qui passent,
main dans la main
des enfants bavards, boudeurs,
rêveurs ou bien endormis.
Un aîné qui râle
en poussant son cadet,
bourrades dans le dos,
sur le plastique du cartable,
le troisième qui suit.
Des voitures se déversent
devant les écoles.
Portières ouvertes, recommandations criées,
jambes caracolant - entendent pas.
Parents qui se saluent.
Voix enfantines entrant directes
dans des phrases essentielles.

La matinée qui avance.
Démarches à la mairie,
des échanges minimaux, sibyllins,
des papiers qui manquent,
des refus de comprendre,
et puis des sourires,
explications, patience appliquée, précisions.
Parfois des visages connus,
commentaires sur une soirée,
que deviennent les amis,
la famille, très vite,
avant que ne protestent
ceux qui attendent.
Et puis des pauses,
des plages sans personne.
Faut voir la Préfecture.

C'est gymnastique pour des cinquième
du collège Renoir, au stade -
pendant la course, à l'écart,
assises, tête penchée vers pieds,
Françoise Hu et Samia parlent
« tu sais pas ce que
Maria, cette.. regarde pas surtout.. »
mais Samia bien sûr regarde
et fixe, noire, en écoutant,
elle jure, torrent de mots,
ordures hachées, défis, serments sonores,
et Françoise sourit, murmure plan.
Ricanent, graves, et se lèvent.
Maria a vu, les toise,
mais a peur, un peu,
entre ses dents le dit
juste pour un de ceux
de son groupe, tout près,
Jean, qui est son gars,
et il répond « t'occupe »
épaules roulant, mains dans poches
s'en va vers les filles..
mais le professeur les appelle,
et tous ils se penchent,
reprennent leur sac, s'en vont.

La place de la mairie,
Brigitte est descendue du bus,
lit un papier, et cherche,
sur le plan, au dos
de l'abri, la rue Manin,
ne trouve pas, interroge passants.
Visages vides, rien, sans arrêt,
ou, avec sourire, « connais pas ».
Soupire et regarde sa montre,
entre au café, commande, boit,
demande – et le barman sait,
bien sûr, oui, aux Rosiers,
mais vraiment bien trop loin,
prenez le 204 et descendez
au Ruisseau vert, elle remercie,
elle sort, cherche le 204,
téléphone, elle sera en retard,
s'excuse, merci de nouveau, attend,
nez plongé dans le Banquet.
Sourit, soupire, ne déjeunera pas.
Ballet d'autos et de bus,
tout autour, sur la place,
relents de froid en elle,
ne pas penser, lire Platon,
et, résolue, rectifier son chignon.

On installe dans la vitrine
du boulanger des sandwichs et barquettes,
Dans les cafés des napperons
de papier sur les tables.
Les traiteurs chinois ont ouvert,
et les bureaux du centre
se vident peu à peu.
Mères et enfants sont rentrés.
Des voix par les fenêtres.
Cité des Rosiers, les ados
grognent, tapent dans des cailloux,
se saluent, montent, vont déjeuner.
Chez Carrefour, peu de clients,
et plus que deux caisses.
Trois femmes dans la réserve
mangent vite, peu, et plaisantent.
Et puis sortent pour fumer.
Comme les garçons, gamelles rangées,
devant le garage, rue Nerruda.
Les gestes sont plus lents.
Afaq s'écarte de son écran,
reste immobile un moment, relit,
grimace, soupire et se lève,
va à la fenêtre, regarde,
téléphone, rit, OK, et sort.

Trains, métros dans l'après-midi,
bruits tranquilles qui se succèdent.
Une réunion dans les bureaux,
chez Merwead, cravates, stylos, eau.
Dossiers préparés, des questions inattendues,
coup de téléphone, un employé
entre en s'excusant avec documents -
s'excusant de rien, de déranger,
en répondant aux ordres donnés -
puis une secrétaire, accord dicté,
attente, quelqu'un consulte son portable.
Dans l'open-space, le silence,
sauf bruits de chaises, parfois,
et puis quelques mots échangés.
Des commerciaux dans un service,
langage codé, et puis rires
ternes, matchs de foot,
café offert, rendez-vous pris.
Des filles, mains sur claviers,
parlent, en rafales de phrases,
de magazines, de leurs enfants.
Dans le hall, Pedro s'ennuie,
accueille, annonce, guide les visiteurs,
dit « bonsoir Monsieur » aux partants.
Crissent les roues sur gravier.

Corps prudents, regards aigus, calme,
les habituels transports de fonds.
Packs de bière posés
rudement sur le tapis roulant.
Blouson de cuir éraillé, sourire
et catogan gras, un habitué
plaisante avec la jolie caissière.
Dans son pavillon, au salon,
doucement, la vieille Mademoiselle Renaud
s'est endormie devant la télévision,
sa soeur vaque au jardin,
se redresse, le soleil descend,
elle rentre, claque la porte,
crie «tu veux du thé ? »
comme chaque jour, la réveille.
Jeanne-Marie défait les rouleaux
de sa cliente, la peigne,
et la femme se regarde
dans le miroir, sourit, inquiète,
se fait à son aspect
ou le tente, ses yeux
semblent vouloir interroger, puis renoncent,
se détournent, elle se lève,
des mots dans le vide.
Elle part vers l'école.

Souliers des enfants sonnant
sur le béton, cris,
rires dans la cage
d'escalier, cartables jetés,
baisers, pain et chocolat.
Des gamins à moustache
groupés dans le hall,
yeux baissés, rares paroles,
voix molles qui déraillent.
Leur attente. Envie de,
dureté qui leur vient.
Et puis les deux
qui parlent de musique.
Le gardien les chasse
un couscous ce soir
a lieu au premier.

Plus loin, le guet
échange et commerce.
Les voitures des pères
qui se garent, dehors.
Portes de la gare
qui battent et re-battent.
Paquets de gens flous
qui émergent, leurs visages
muets qui se réveillent.
Les bruits de freins
des bus, des bonsoirs,
le soufflet des portes.
Le ciel bleu sombre,
son reste de lumière,
et celle des lampadaires.
Les lampes des cafés.

Jeunes ombres en parkas
dans le terrain vague,
journaux, débris, le canal,
la maison semble débris,
leur retour chez eux.
Une voiture de police
qui passe. Tranquille routine.
Conseil Municipal en mairie,
ordre du jour copieux,
des échanges sans passion,
le petit jeu habituel.
Un veilleur de nuit
qui arrive en avance
Là bas, circulation dense
sur la nationale, retours
vers banlieues plus lointaines.

La queue aux caisses
de Carrefour, femmes pressées
entre bureau et dîner.
Visages las, sourires polis,
et puis des rencontres,
des arrêts pour raconter.
Métro, derniers retours travailleurs,
arrivée des spectateurs parisiens,
groupes ou silhouettes perdues,
leur marche en étrangers -
traversent mouvements du soir,
Maison de la culture,
là bas, plus loin,
hip-hop et classique, danses.
Un abri de bus,
assis, immobile, les regarde

le vieil Ahmed,
digne, pierre, muet,
vie en dedans.
Est-il ici ?
Local des associations,
attente des mobylettes,
des défis rieurs,
une soirée slam.
Cannettes de bière.

Dans son pavillon,
Martine fume, attend,
dans la cuisine,
devant la nuit.
La table mise.
Silence du fils
dans sa chambre
devant son écran,
écouteurs sur oreilles.

Les télévisions allumées,
partout on dîne.
Porte qui baille
sur premiers clients
à la Musardine,
la lumière douce,
lisent la carte,
yeux qui brillent,
envie de fête.

Pluie dans
la nuit,
entre théâtre
et métro,

marcher vite,
col relevé,
envie de
boire chaud.
Cri.


Merci si jusque là êtes arrivés. En fait j'ai été séduite par un atelier sur Liminaire, http://www.liminaire.fr/spip.php?article901, à partir de Plouk town de Ian Monk, édition Chourakis, et me suis lancée, sans trop tenir compte de ma familiarité très relative avec les banlieues (sauf théâtres, quelques appartements en location, deux visites boulot à Montfermeil il y a très longtemps, et puis, plus souvent, ces petites villes de banlieue qui ne se veulent pas banlieue, que je connais juste assez pour y avoir aimé des gens, et savoir que je ne voudrais pour rien au monde y vivre durablement)
Et puis, arrivée à la Préfecture, j'ai pris conscience de ce qu'impliquait la proposition d'écriture : « Composer une suite poétique rigoureusement organisée (11 parties composées chacune de x poèmes de x2 vers de x mots allant de 1 jusqu’à 11 (1 poème de 1 vers de 1 mot, puis 2 poèmes de 4 vers de 2 mots, puis 3 poèmes de 9 vers de 3 mots, puis 4 poèmes de 16 vers de 4 mots, puis 5 poèmes de 25 vers de 5 mots, etc.) pour évoquer, prosaïquement et avec un humour décapant, le quotidien d’une banlieue. ».
Non seulement j'avais oublié l'humour en route (j'en ai rarement au réveil), mais surtout je ne me sentais pas le souffle, la motivation, d'assumer 4.466 vers (si je ne me suis pas trompée), alors j'ai triché ou plutôt modifié la règle.
Pas certaine que le résultat en valait la peine.

12 commentaires:

chri a dit…

Toutes des vies...

kouki a dit…

j'ai aimé me laisser entrainer, aurais suivi plus loin un personnage.

Lautreje a dit…

je suis nulle en calcul mental... mais ta balade en banlieue j'la calcule grave !

D. Hasselmann a dit…

Le quotidien se feuillette, la banlieue pas banale : exercice périlleux mais réussi comme on marche sur le fil de l'inspiration.

andree wizem a dit…

la lecture en colonne sied à mon balayage visuel et accompagne la déambulation urbaine
juste au moment où la pause est possible le cri qui relance le mouvement comme irrépressible

Brigetoun a dit…

si vous avez vraiment lu, merci de l'héroïsme, de la confiance à vous, ô valeureux amis, et pardon demandé pour le temps ainsi perdu

chri a dit…

Et si nous l'avions gagné, le temps?

joye a dit…

Je suis toujours fascinées par les recettes compliquées. En lisant cette création, je n'aurais jamais imaginé qu'il s'agissait d'une pièce montée.

C'est donc une réussite totale, je te le jure.

tanette2 a dit…

4.466 vers !!! Que d'inspiration faut-il avoir pour en arriver là ! Je te trouve déjà bien courageuse même si tu dis avoir triché.

arlette a dit…

Je n'ai pas compté .......mais le rythme et l'envie de continuer à lire est certainement le résultat de ce calcul savant Bravo
Un genre de slam .....

Gérard Méry a dit…

alors là je n'ai lu qu'une ligne sur deux croyant comprendre plus vite...que nenni !

micheline a dit…

lu bien tout entier ce matin..pas revenue de mon étonnement...suis allée essayer de coller des images...imaginant que ce serait plus facile d'imiter ton talent