un petit vent frais
fait courir les nuages
lumière fraiche
et le feuillage du platane entre en folie (ce qui ne se voit pas) plaisir et grimace en
constatant que l'année a fait un saut vers l'hiver et puis sourire
en recevant, triant, enregistrant, la dernière slave (un peu plus de
quarante) de photos expédiées par petite soeur qui en était à son
dernier jour de voyage en Chine, photos souvent belles, photos de
monuments mais pas que et qui racontent souvent de petites histoires
(les garde pour moi, si elle désire elle les postera sur Facebook et
je pourrais alors les partager) et puis m'offrir le plaisir de me
promener sur les sites d'organisateurs de voyages – je déteste les
voyages organisés, mais âge et carcasse aidant je n'arrive pas même
en rêve à me sentir détendue seule dans cette foule armée de mon
incapacité à échanger en anglais sans parler du chinois
bon, ça, un petit tour
dans des contes anciens, et une bagarre avec mon évier facilement
réglée mais chronophage, et puis l'envie de retrouver le souvenir
réactivé, recréé et passablement transformé en l'écrivant, je reprends, sans illusion sur sa capacité
à tenir face à d'autres, ma contribution à la dernière
proposition de l'atelier d'été de François Bon entrer dans des
maisons inconnues (textes souvent assez longs – je donne dedans
– écritures belles ou évocatrices ou les deux, je passe presque
chaque jour découvrir les nouveaux sur
http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article4364)
aquarelle d'Hervé –
je crois – Villechaise, un virage de cette route que j'appelais du
Cap Brun, il y a un peu plus ou juste un peu moins de soixante ans)
Il est, il était, une
maison que j'ai habitée, au moins en désir, pendant des années,
dont j'ai deviné, corrigé, dessiné les plans inlassablement, au
gré de mes besoins réels ou de mes rêves, il y a très longtemps,
quand tremblait en moi le timide projet de devenir l'architecte que
je ne fus pas malgré une courte tentative.
C'était, en bordure de la
ville, là où elle s'effiloche en suivant les murs des belles
propriétés qui s'étendent, descendent jusqu'à la mer, une série
de maisons de presque campagne s'interposant avant les zones
industrieuses et les quartiers populaires bornés par nos petits
monts.
C'était une presque
ruine, une idée de maison, dans un vallon qui semblait humide, une
longue baraque perpendiculaire à la route, de plein pied, presque
une étable – mais avec des fenêtres, je crois, ou c'est moi qui
les dessinais – suivie d'un petit cabanon, l'ensemble niché sous
d'énormes et très anciens platanes qui les cachaient, les
dominaient, après avoir dessiné une allée les reliant à la route
– a été transformée depuis cette route, certaines des villas
sont devenues de petits immeubles qui se veulent pimpants et une des
propriétés a été éventrée et se répand en lotissement ouvert
jusqu'à la mer, et puis, comme il y a une autoroute, on ne la prend
plus guère la tortillante chaussée - entre les hauts murs percés
de grilles du côté de la mer et, à gauche, les petites clôtures
ou murets des élégantes maisons bourgeoises - que nous suivions
pour aller au Palyvestre, aux blockhaus près de la base, là où peu
à peu on a construit, prenant en partie sur l'eau, un port, avec
plusieurs bassins…
Venait le moment que
j'attendais où elle descendait dans un creux en décrivant un virage
assez fermé autour de l'avancée du terrain et du portail en
ferronnerie qui avait dû être élégant, qui était un peu tordu
d'un côté contre une des piles surmontées d'une grosse boule.
Je la revoie cette maison
que voulais mienne à travers le brouillard des années, mais à
mesure que j'avance vers elle, je la retrouve, seulement elle ne
semble plus repliée sur elle-même et son secret, elle est accueil..
elle a perdu son aspect décrépit, de future ruine, sans se voir
infliger un éclat de sou neuf ; les tuiles du toit à une pente,
incliné vers la façade de gauche, là où le jardin s'élargit - il
doit y avoir un petit comble -, visiblement anciennes - on a dû
rechercher soigneusement de quoi remplacer les manques - sont en
ordre et l'enduit des façades, d'un beige ocré, discret, comme une
peau un peu usée, doit avoir une dizaine d'années.
Il y a donc les platanes,
et leur ligne droite dans l'anarchie du jardin abandonné, qui reste
ainsi, juste un peu discipliné le long de la maison - herbe rase
avec quelques dalles éparses bordée d'une allée de terre dure –
là où l'on s'assied au soleil des fins d'après midi.. pour cela il
y a des bancs entre les fenêtres, quelques chaises de fer, deux
tables rondes avec leur plateau à troutrous, des transats remisés
dans un coin pour d'éventuels visiteurs, et une petite haie de buis
parallèle à la route pour que les yeux s'y arrêtent sans borner
l'imagination.
L'allée mène à une
porte, au centre du large pignon, avant de se diviser en deux
branches, la petite allée qui sur la gauche mène à cet espace et
le chemin de terre battue qui glisse à droite le long de la façade
arrière jusqu'à un groupe de conifères, proche semble-t-il du
petit cabanon, entre les troncs desquels je distingue le métal gris
d'une voiture.
Comme autrefois, et cela
me semble évident, cette porte s'ouvre sur la cuisine.. l'entrée
officielle, jamais utilisée, se fait par l'une des fenêtres de la
façade de gauche – puisque fenêtres il y a bien sûr, je ne les
avais pas imaginées, la bâtisse est une maison et respire – une
des ouvertures donc agrandie en porte-fenêtre qui doit mener au
salon. Une cuisine, grande, assez, à l'échelle de cette maison - un
peu trop grande pour ce vieux couple, un peu trop grande pour une
vieille solitaire, mais juste assez pour contenir leurs souvenirs,
ceux de leurs prédécesseurs, ceux que j'amènerais, souvenirs de ma
vie et du temps où je pensais à elle la maison, et la famille, les
amis qui leur restent, je pense aux deux ou trois amies de mon
adolescence jamais entièrement perdues de vue et qui vivent encore
dans la région – une cuisine simple qui évoque l'affairement
joyeux et bavard de plusieurs femmes préparant une fête mais qui
doit pouvoir aussi envelopper une solitude calme. Le sol est de vieux
carreaux, comme me souviens d'en avoir vu à Alger, avec des
arabesques bordeaux sur un fond grège, il y a un grand évier de
pierre, des appareils blancs, simples, sans les derniers
perfectionnements, alignés à droite sous deux fenêtres qui
s'ouvrent sur l'allée de derrière et la haie d'arbres qui borne le
terrain, et sur la gauche le mur est occupé par une rangée de
placards simples, peints en vert très clair, comme le sont les
rayonnages fermés par des rideaux où sont entassés des pots,
assiettes, plats, céramiques multicolores de l'arrière pays et
céramiques anciennes, rangée qui se termine par un petit fenestron
sur la façade noble, un peu avant la porte qui mène au reste de la
maison. Et il y a au centre, comme il faut, une longue table de bois
sombre entourée de chaises paillées, assez grande pour des tablées
d'amis – un peu serrés peut-être – mais je me vois bien aussi,
seule, dînant entre un livre et des coups d'oeil au soleil ou à la
nuit sur les arbres.
La grande pièce où je
pénètre ensuite – yeux curieux en balade lente et vague plaisir
inconscient - et les chambres ou autres qui la suivent, desservies
par un petit couloir longeant la façade arrière, ont un sol en
tomettes d'un rouge passé et des murs uniformément peints d'un ocre
doux. Les meubles sont simples, confortables, de style comme on dit
et non d'époque, de styles variés d'ailleurs, qui disent strates
familiales, achats, acclimatation, vies de ceux qui les ont
utilisés, et je vois mes quelques meubles – le coffre chante
d'aise près, pas trop, de la cheminée - et ceux que peux rêver,
rêve fou dans notre midi de retraités aisés, de dénicher chez un
brocanteur dans un village de l'intérieur qui pratiquerait des prix
aussi modérés que le faisait il y a un peu plus de cinquante ans le
gentil couple au seuil de Chemillé.
Une des pièces qui
s’alignent le long de la façade a été transformée en salle de
bains, toute de carrelage blanc et de lumière, et la chambre des
propriétaires occupe toute la largeur de la bâtisse, au fond.
J'installe un grand rayonnage plein de livres, les préférés ou
indispensables, face aux deux fenêtres – pas très larges ni très
grandes les fenêtres, juste comme doivent pour que la lumière
dessine son chemin dans les pièces et que la chaleur ne rentre pas –
j'y pense.. oui les murs sont de bonne épaisseur.
Et une porte au fond, à
côté de leur grand lit qui s'avance dans la pièce, à côté de
mon lit qui s'accoterait au mur, butant sur un bloc de casiers pour
le linge, sur lequel poser lampe de chevet et livre en cours, une
porte au fond donne sur le petit espace qui précède le cabanon.
N'y entre pas dans le
cabanon, me contente d'y installer un coffre pour de la terre, un
grand bac, un établi, une table et dans un coin une chaise, des
petits paniers, et la grande broderie sur canevas abandonnée depuis
quarante ans... me demande tout de même ce qu'ils en font.
Ne me
reste qu'à marcher dans les hautes herbes jusqu'au mur au fond du
terrain, à me retourner, à sourire à la maison, au jardin, à ceux
qui y ont vécu, à ceux dont je voudrais qu'elle abrite le souvenir.
Ne me reste maintenant
qu'à y mettre des retouches, ou juger si nécessaire, ou si capable
j'en suis, mais pas tout de suite.
3 commentaires:
Une maison en (re)construction... de mémoire ?
oh grand merci pour votre passage !
recréation/trahison sans doute un peu, mais pas grave, la vraie c'est celle qui est restée, un peu floue, dans ma mémoire
J'aime cette maison apparaissant peu à peu des brumes de vos souvenirs, semblable à un négatif de photo se révélant progressivement jusqu'à l'instant des contrastes parfaits.
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