mardi, mai 14, 2024

Charroi, vrai-faux souvenir et poème

   



Visage au soleil

Yeux dans le bleu flamboyant

Pauses pour plaisir




Je ne sais si la boucle 2 de l’atelier de François Bon se poursuivra après le #2 qu’eut bien du mal à écrire vaille que vaille, mais, vide de pensées (du moins d’idées ayant un soupçon d’intérêt) je recopie ma contribution au #1  

Une rencontre

Ô vous la tant admirée, la si étonnante, la petite femme d’importance, la un peu ridicule quand vouliez, la grande dame | je peux bien me permettre de vous parler directement et ainsi maintenant que vous n’êtes plus depuis longtemps que des reliefs en cours de désintégration | je me souviens du choc muet que fut votre rencontre. Je ne vous connaissais jusqu’à ce jour que de nom, ou comme partie des amis des parents vus, indifférenciés, de loin ou à travers une porte ; vous m’aviez vue et remarquée en tant qu’aînée un peu gauche et en bouton de cette jeune femme digne de votre ancien un peu moins jeune ami. J’étais en approchant de votre  cadre un concentré de timidité, de conscience de la morne apparence de mon corps, mêlées d’excitation à l’idée de ce premier achat d’une tenue hors du troupeau, hors du choix chez le grand marchand de tissus vers le haut du Cours Lafayette où nous rencontrions les autres mères suivies d’un ou plusieurs échantillons de leurs descendances à chaque entrée de saison, hors des chemisiers offerts, semblables, par notre grand mère, celle là même qui finançait de quoi me rendre digne d’incarner et représenter la nouvelle génération à je ne sais plus quel mariage. Je me souviens de la jolie fenêtre/vitrine de la petite boutique blanche près du port, qui n’était pas étalage commerçant mais semblait une échappée sur un intérieur très féminin et raffiné avec discrétion. Je me souviens du sourire étonné par lequel nous accueillait la jeune fille, soeur aînée d’une amie, qui tenait ce jour là le rôle d’aide vendeuse et puis de votre voix répondant au salut de ma mère depuis une pièce à l’arrière, de votre petite silhouette s’encadrant sur le seuil, encore plus petite que l’imaginais, mais rendue évidente, proportionnée, nécessaire par l’arche qui l’encadrait, je me souviens de ne vous avoir vue qu’à travers mon trouble, notant seulement que les trois poils blancs évoquées avec gentille ironie par mon père  étaient en fait un casque de cheveux blancs à la fois net et sans façon. Je me souviens surtout du sourire des yeux, de votre regard me détaillant et de façon absurde, surprenante, de ce qu’il avait de réconfortant. Je me souviens de votre voix mesurée, lumineuse, musicale et de ces phrases longues dans votre échange avec ma mère, qui sonnaient presque comme l’aurait fait la lecture d’une langue écrite, avec quelques cabochons qui étaient des mots de langue familière,  quasi argotique, de ces mots que l’on ne devait pas prononcer et qui se coulaient naturellement dans cette harmonie à la limite de la préciosité. Je me souviens que ma mère disait « elle » en parlant de moi et que vous vous tourniez vers moi en voulant m’inclure dans le choix, me disant « vous », puis au bout d’un moment « tu » comme les mères de mes amies. Je me souviens de l’odeur du bouquet de lilas dans un vase sur la table à laquelle je m’appuyais pour en tirer assurance. Je me souviens que c’est ce jour là que vous avez décidé de m’inscrire aux cours de danse d’une de ses amies, une veuve anglaise pleine de chaleur, de verdeur et d’autorité, pour tenter de faire émerger de ma gangue quelque chose qui me rende digne de la grâce de ma mère. Je me souviens surtout que vous êtes devenue pour moi un modèle inaccessible (au point de me faire adopter certain juron dont vous ponctuiez vos phrases, ce qui m’attirait de mon père des « attends d’être la grande dame que tu ne sera pas avant de t’autoriser ce langage ») conquise par ce que je devinais en vous de liberté et d’insolence tranquille sans être alors consciente de l’arme que cela représentait, avec l’appui de votre nom qui disait ancienneté, noblesse et terroir, dans votre affrontement courageux avec les ombres de votre vie. 


Et pour le poème du jour, reprends le joli petit livre intitulé « la langue de la girafe » de Christine Jeanney publié chez Abrupt, et j’en cueille un fragment (vers la fin du premier tiers environ) 

Un jour devant la sculpture du David les gardiens ont vu la femme s’affaisser.

Elle était envoutée.

De près on voit les veines, je ne plaisante pas.

On le trouvait parfait.

On oublie que parfois la beauté peut être quelque chose d’effrayant et de tétanisant.

Un autre jour quelqu’un entre dans le musée avec un marteau pour lui marteler le pied. 

 

 

8 commentaires:

  1. Oh je reste sans voix devant tes faux souvenirs et peux transposer les presque mêmes en un autre lieu mais fascinée par une" grande dame " modèle pour la jeune enfant que j'étais ..tu touches ici au merveilleux commun des souvenirs pour chacun je crois

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  2. Comme la beauté du Diable.

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  3. Arlette, merci... tu me consoles (navrée du dédain une fois encore d'ub ali exigeant et de ma sottise d'en être désolée)
    trop gentille

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  4. Pierre NESTOR9:49 AM

    Dans votre texte, je retrouve ce temps de l’adolescence où les parents sont à un âge où ils se croient encore immortels. Ce moment avant d’entrer dans la vie d’adulte n’est en fait pas très rigolo, engoncés que nous sommes dans un devenir flou et dans un espace restreint délimité par les parents.

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  5. oui Pierre et cela recommmence à chaque génération, plus ou moiins intensélent... et en fin de vie on aime s'en souvenir en pa!x avec soi-même (celle ave les parents arrive plus tôt)

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  6. Un texte lu et relu et re-relu
    un texte qui m'a plongée dans une grande émotion
    c'est beau, tellement beau ... merci

    oui,
    "la beauté peut être quelque chose d’effrayant et de tétanisant"

    :-)

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  7. merci Maria (mais comme le 2 qui est sans rapport et le 3 auquel suis confrontée, y a pas de rapport entre eux mêle si me suis éloignée des personnes socles de mes souvenirs (et puis suis un rien découragée là, et je laisse trio de côté les nécessités de l'antre et autres)

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