3 juin jour de ciel à l’aspect variable, jour de péripéties sans intérêt, jour où je reprends un semblant d’autopsie du n°14, septembre 2013 de l’IMPOSSIBLE
avec SONATINE D’AUTOMNE de Michel Butel
« Faire d’un journal un objet de grande transparence ne va pas de soi. Beaucoup de mes proches - dont certains membres l’équipe du journal - beaucoup d’entre vous, pensent qu’il ne faut pas informer les lecteurs de nos soucis, ni d’ailleurs en règle générale de notre fonctionnement. Je pense le contraire. Parce qu’un pacte existe depuis l’origine : nous tentons de susciter une communauté - avec, bien entendu, le contingent d’illusions et d’ambiguïtés que cela charrie. On peut rire de tout, mais comme dit la formule célèbre, pas avec n’importe qui. Les problèmes de santé : les miens m’ont contraint à reporter la parution de l’hebdomadaire, annoncée de multiples fois. Les problèmes d’argent : nous devons trouver 30000 Euros avant la mi-septembre. Je les cherche auprès de mécènes, après de sponsors auprès d’éventuels associés qui deviendraient actionnaires de notre société à raison de 750 Euros l’action, auprès de personnes qui feraient au journal des dons qui, je le rappelle, sont défiscalisés à hauteur des deux tiers : si vous donnez 300 Euros à L’IMPOSSIBLE, l’Etat vous rend 200. Je les cherche auprès de lecteurs qui s’abonneraient ou abonneraient des proches. Surveillez la page Facebook du journal, notre site, la newsletter (on s’y abonne…
En suivant avec SURCADRAGE d’Edouard Launet
La légende de la photo est ainsi rédigée : « Paris, Porte de Versailles, 14 juin 2013, François Hollande, Président de la République, et Cécile Duflot, ministre de l’Egalité des Territoires et du Logement, aux « 24 heures du bâtiment » organisées par la Fédération française du bâtiment. » Vous voyez bien que vous avez tort puisque, n’est-ce-pas, vous étiez sur le point d’écrire sous l’image : « Paris, cour de l’Elysée. François Hollande, Président de la République, et Cécile Duflot, ministre de l’Egalité des Territoires et du Logement, s’apprêtent à partir ensemble en week-end à Etretat. Ils ont réservé une chambre avec vue sur mer à l’hôtel Dormy House. Hors champ, Valérie Trierweiler fait la tronche ».
On peut faire dire beaucoup de choses aux images. Et les images elles-mêmes ne se privent pas d’en raconter des vraies, des fausses. Ainsi surcadrés par la fenêtre de la voiture, les deux protagonistes ont l’air de partager une intimité assez peu protocolaire. Il y a dans le bas du visage de François Hollande quelque chose de concupiscent, tandis que le sourire un peu forcé de Cécile Duflot et son air concerné sont contredits par un regard inquiet, comme si la ministre verte hésitait sur l’attitude à afficher. « François, Valérie va m’arracher les yeux quand elle va voir cette photo, c’est sûr ». Lui : « Calme-toi Cécile, tout va bien mon minet. D’abord je voudrais te dire que tu serais vraiment étonnée si tu savais à quel point je me tape de la Fédération française du bâtiment. Leurs histoires des relance des HLM, du doublement des PTZ et du versement anticipé du fonds de compensation de la TVA, je m’en tamponne formidablement. Ensuite, il paraît qu’il va faire vachement beau ce week-end en Normandie. Alors ne reste pas assise sur la moitié d’une fesse, installe-toi confortablement bien au fond du siège et arrête de sourire au photographe car ça ne va pas arranger nos affaires »…. (la photo est me disent des lettres presque minuscules, Copyright (zut sais plus le faire) Marc Chaumeil/Divergence Images.
avec l’Abécédaire des idées reçus ou à recevoir en économie.. (Chaque mois, Yann Moulier Boutang livre son lexique économique personnel, en forme d’abécédaire) et A comme ARGENT d’un poncif à l’autre ! Le sens commun dit qu’il ne fait pas le bonheur. Dans son souci de se distinguer du vulgaire depuis le XVII ème siècle, l’économie explique sous toutes les variantes possibles que « l’argent ne le fait peut-être pas, mais le permet ». Adam Smith, Walras sont d’accord là-dessus (pas Ricardo ou Marx, qui s’intéressent à la mesure de l’argent en amont plutôt qu’à ses effets assez triviaux en aval) : son absence fait la misère, qu’il est difficile de classer comme un attribut du bonheur. L’argent fait la richesse, si cette dernière consiste « dans l’abondance de biens que l’on a à sa disposition ou de moyens de se les procurer ». Pour le fisc, c’est incontestable. Pour le luxe, le calme et la volupté que l’argent fasse le bonheur c’est une autre histoire. Ce n’est pas impossible, mais passer par le chas d’une aiguille demeure quand même difficile à un chameau. « Argent trop cher la vie n’a pas de prix », comme dit la chanson, voici sans doute ce qu’il faut admettre pour ce débarrasser des deux poncifs à la fois.
JE SAUTE jusqu’à ACCUMULATION ou comment un mot plein de sève il y a deux cents ans est devenu sans intérêt ! L’expression « accumulez, accumulez c’est la loi et les prophètes » a bien viré sa cuti en deux cents ans. Du temps de Marx, elle désignait un processus encore mal compris par la plupart de ses contemporains : l’addition, de plus en plus conséquente, des dispositifs techniques qui accompagnaient la production (les fameux « moyens de production » qui comprennent les machines, mais aussi le système financier et la terre). L’argent comme simple tas d’or, a alors en effet beaucoup moins d’intérêt que celui qui sert à acheter les moyens de produire et de faire travailler ceux qui en sont dépourvus. Pour les ouvriers tisserands, la multiplication des machines signifiaient le chômage. Autour des années 1810-1812, ils déclenchèrent en Angleterre de violentes émeutes, brisant les métiers à tisser modernes (luddisme), ce qui fut réprimé très violemment. Derrière les soubresauts chaotiques (déclassement des vieilles fortunes marchandes, ascensions foudroyantes, bouleversements politiques, paupérisation urbaine), Marx lit l’émergence d’un mode de production nouveau, où bourgeois et patrons servent, même à leur insu, un nouveau dieu, l’accumulation du capital, c’est-à-dire de l’argent converti en moyen de faire travailler les salariés.
Je passe à BUENOS AIRES, SOUVENIRS de Céline Curiol (dans LOINTAINS)
« La mémoire, c’est aussi la récupération de la vérité et de l’identité, la capacité d’une société à juger les crimes impunis, l’espoir de réparer les dommages sociaux infligés ».
Au croisement de Billinghurst et Tucuman, un vieil entrepôt est entouré de palissades recouvertes d’affiches publicitaires. Une d’elles est éclairée par un puissant spot lumineux : l’image du visage moustachu d’un chef cuisinier en toque. Gastronomie - Turismo. Sous l’inscription prometteuse se regroupent à la nuit tombée… En famille, ils fouilleront les poubelles des environs, sacs en plastique jetés par les riverains sur le bord de la chaussée à défaut de conteneurs adéquats, et chargeront cartons et boîtes dans la charrette que tirera le cheval amorphe, perdu derrière ses oeillères. Plus tard, ils grimperont sur le monticule comme sur une meule de triste foin et le claquement des fers résonnera sur le goudron de la capitale de 12 millions d’habitants.
…
Le patron de café notable El Banderin s’appelle Mario ; il a 29 ans.
La journée, il est employé des douanes et ses relations avec la majorité des gens sont tendues : « ils me prennent pour une sorte de flic », dit-il. Le soir il retire son uniforme et retourne dans son repère pour se lancer, enfin, dans de longues conversations avec ses habitués. Comme beaucoup d’autres Argentins de son âge, il doit exercer deux professions pour parvenir à gagner sa vie. Carlos Gardel est né le 11 décembre 1890 à Toulouse. Il n’a pas connu son père et a émigré en Argentine avec sa mère à l’âge de 27 mois. Certains prétendent qu’il serait né en Uruguay. Son idole était Enrico Caruso. Au cours de sa vie, il a enregistré 770 chansons, dont 514 tangos. Le musée Carlos Gardel a ouvert en mars 2003, dans le quartier d’Abasto, à Buenos Aires….
Continuant à tourner les pages je trouve Nathalie Heidsieck et 20 ANS DE NAPLES et cette étrangeté : En voici l’ébauche désordonnée :
— NA. Que les deux premières lettres du nom de la ville soient aussi celles de mon nom a-t-il eu une incidence dans la décision de rester ?
— NHSP. Mes initiales. Nouvelle Hauteur Sous Plafond en architecture. Un ami qui fut aussi un temps retenu par le chant des sirènes du golfe, m’a envoyé une citation d’Intérieur de Thomas Clerc : « La hauteur sous plafond mesure nos forces psychiques : elle détermine nos espérances. » Et il ajoute que s’agissant de mes plafonds à Naples, culminant à 8 mètres, l’espérance est violente. Peut-on se réhabituer à vivre sous des plafonds bas ? Peut-on se réacclimater à un ciel gris et bas après avoir souvent dormi sur des toits en terrasse, sous la volute céleste ?
— MURS. Ne se sent-on pas plus protégé lorsque les murs ont plus d’un mètre d’épaisseur bien que souvent les toits laissent s’infiltrer la pluie ?
— ÂME. L’âme des lieux est partout car elle n’a pas encore été chassée. Elle est dans les traces du temps, la poussière, peut-être même dans les déchets exposés. Les dalles de basalte érodées par ceux qui nous ont précédés depuis des siècles, les remplois des civilisations antérieures qui émergent, l’herbe entre les pavés, les chats et les chiens errants légalement protégés. Nous cohabitons.
— MOUTON NOIR. C’est ainsi que l’on vous accepte, sans trouver d’autres raisons à votre arrivée. Si l’on est là, c’est forcément qu’on a été chassé d’où l’on vient. Nulle part je n’ai ressenti autant de bienveillance et si peu de jalousie, dans un quartier populaire où la vie est difficile pour presque tous qui ne se lamentent que chez eux. Recevoir leur confiance, la rendre en retour et en renouveler sans cesse l’expérience.
— L’AVOCAT. L’Avvocato Gerardo Marotta, qui a sacrifié tous ses deniers à la création de l’Istituto per gli Studi Filosofici, l’un des instituts de philosophie les plus prestigieux, inventé par une sorte de Voltaire combattant pour réveiller les consciences, l’éthique et la morale d’une société qui en est particulièrement dépourvue. Très âgé, il parcourt les salles du palais Serra di Cassano, haut lieu d’une éphémère révolution parthénopéenne, en formant d’excellents étudiants à combattre après lui tandis que sont supprimés aides et subventions de cette forteresse du saveur ancien assiégée. J’ai dit que je resterais tant que Marotta serait en vie. Je crains fort que l’Institut ne disparaisse avant lui, seul héros d’envergure ou presque croisé dans une ville d’où les meilleurs sont toujours partis.
— TOTALLY CORRUPT. Je finirai par croire qu’ici la soumission est dans l’ADN, la collaboration avec les nouveaux occupants, l’arrangiarsi, « s’arranger entre soi », comme on le résume gentiment, se poursuit sans trêve depuis l’arrivée des Grecs il y a près de 2800 ans, occupation après occupation. Vu d’ici, la dernière, c’est l’Europe. Mais l’Europe ou les Romains quelle différence fondamentale ?
— LA PORTE DE L’ENFER. Les déjeuners Da Caronte, dans le cratère du lac d’Averne, l’ancienne porte des Enfers décrite par Homère puis Virgile, imaginée dans l’un des paysages les plus paradisiaques de l’Antiquité.
Pénétrant chez les jeunes bergers Corses, je m’arrête chez FABIEN
Je ne me suis jamais demandé où j’allais vivre : j’ai toujours été heureux ici et malheureux ailleurs. Mais quand mon père est tombé malade, j’avais 17 ans, j’ai dû prendre une décision. Si je voulais reprendre l’exploitation, c’était maintenant, on ne pouvait pas attendre, il fallait quelqu’un pour s’occuper des bêtes, il fallait être présent parce qu’ici la nature reprend vite ses droits.
Cet endroit, mon père me l’a transmis avant de mourir. Je me souviens des fois, quand on allait travailler ensemble, je rechignais, je lui demandais : mais pourquoi on s’emmerde à faire ça ? Il me disait : tu devrais travailler parce qu’ici, c’est de moins en moins à moi et de plus en plus à toi. A l’époque, à 17,18 ans ce n’était pas évident d’être berger. Vivre reclus dans la montagne, c’est difficilement concevable pour un ado. J’avais l’habitude d’être à Ajaccio à l’époque du lycée, j’étais interne, jamais bien sortir, les copains, les copines. C’est la période où je pensais le moins à m’installer et pourtant ça s’est fait tout seul.
Il y a eu une vraie solidarité, beaucoup de gens ont compris la situation et m’ont aidé. Au début, je ne savais pas tuer un cabri. Et j’étais, comme beaucoup de gamins, très prétentieux. En tant que fils de berger, je croyais que je savais traire une chèvre : l’attraper et en faire sortir du lait. J’ai appris que savoir traire, c’est pouvoir reconnaître une mamelle qui a un problème, soigner, identifier la qualité du lait, savoir comment le lait doit être pour faire du fromage, la flore qu’il y a dedans, etc. Même si j’avais toujours vécu là ou presque, je n’avais aucune expérience. Mon père est mort trop vite, il n’a pas eu le temps de me transmettre son enseignement. Je n’ai même pas eu le temps de passer mon bac.
Longtemps le berger c’était le type qui ne pouvait pas faire autre chose. Soit il ne pouvait pas, soit que la famille était trop pauvre pour l’envoyer à l’école. C’était la dernière classe, et pour beaucoup de gens, c’est encore comme ça, un métier sale, au cul des chèvres, dans la terre, le fumier.
Plus loin, je tombe dans un entretien (un autre ?) entre je ne sais quels interlocuteurs…
Mon père, c’était un vrai soixante-huitard. Sauf que lui, il voulait vraiment élever des chèvres. Il est parti dans le Sud, et puis un jour il est arrivé en Corse. Il est arrivé avec son baluchon, sans un sou en poche. Trois chèvres, deux poules, deux cochons. Au début, il n’avait même pas les moyens de manger son fromage ! Et il n’y avait pas la piste, il montait avec des ânes et des mulets. L’électricité est arrivée ici en 1994, quand j’étais petit on s’éclairait avec des lampes à pétrole. Plus tard, il a installé des panneaux solaires. Il était très cinéphile, et je me souviens que souvent quand il regardait un film, de temps en temps l’hiver il n’y avait plus de courant, brusquement la télé s’arrêtait. Il râlait, il partait sous la pluie allumer le tracteur qui avait un générateur pour regarder la fin de son film. C’était épique.
Un passage bref… à la suite de cet échange ou d’un autre il y a… « J’ai grandi dans un petit village, entouré de Corses : je ne peux même pas parler d’intégration. Mon père n’était pas d’ici, on le lui a fait sentir, mon nom n’est pas corse, à mon grand regret je ne parle pas la langue - comme / et là une rupture juste pour l’irruption de cette image d’où la chèvre me regarde la regardant avec sous l’image cette légende en tous petits caractères italiques : Je vois les chèvres depuis que je suis petit. Selon la gueule qu’elle a, une chèvre, je vois tout de suite si elle est bien ou si elle est malade. Comme je le verrais sur la tête de quelqu’un. et la chèvre et moi nous hochons la tête et sourions / et le texte au verso continue après le comme : beaucoup de jeunes de ma génération - mais je ne me suis jamais senti rejeté, on ne m’a jamais traité de sale Français ou de sale Gaulois…
Plus loin et je ne me soucie plus de savoir comment cela s’articule on arrive chez Caroline
Mes grands-parents ont hérité d’un morceau de terrain et ils ont construit la maison au village. Quand je venais ici enfant, c’était le rêve : la Corse, les vacances, la plage, le cheval, l’été… à 16 ans, les jeunes se retrouvaient, on traînait, on regardait les étoiles, on connaissait tous les secrets des chemins.
J’ai vite été ferrée.
J’ai passé mon bac à Marseille mais depuis des mois, je ne vivais plus que pour la Corse. La seule chose qui me calmait le matin, c’était d’imaginer le plateau de Mela. Je pensais au père de Fabien dans sa bergerie et là, j’avais quelques minutes de calme. Cette année là j’ai pris deux fois l’avion pour venir sans rien dire à personne. J’avais besoin d’être au village, même si je savais qu’on allait me faire repartir….
Ça a été tout de suite Fabien. Personne d’autre ne me plaisait. Il a frappé un grand coup et fort : il a tout pris d’un coup.
J’ai décidé de vivre en Corse ; j’étais censée faire de l’anglais à la face de Corte, où j’avais loué un studio. J’ai laissé tomber assez vite, j’étais de plus en plus souvent à Mela.
Le père de Fabien est mort le 22 octobre 2006. Je le connaissais peu, mais dans ma famille il était très respecté. Désormais, je pense à lui tous les jours : il est présent partout ici. Il est mort mais il est là.
Pour finir en beauté, PENONE A VERSAILLES de JEAN-CHRISTOPHE BAILLY
L’an dernier Giuseppe Penone avait exposé quelques dessins au lieu-dit le sentier des Lauzes, au fin fond de l’Ardèche. Pour voir ces dessins, il fallait laisser la voiture au bord d’une petite route puis marcher quelque temps sur le flanc d’un vallon. Le point de départ de ces dessins était musical, Penone s’étant rendu compte que la vibration parcourant le tronc d’un arbre quand on le percutait était différente selon chaque espèce. Un disque existe, qui contient la transcription numérisée de ces percussions : de l’arbre à la vibration sonore et de celle-ci au dessin, le chemin est court et il passait par ce sentier où l’art pauvre, entre les chênes verts et les buissons, était chez lui…
6 commentaires:
Michel Butel, Penone (et sa tignasse), cela parle. :-)
n''est-ce pas ? merci Dominique
une longue et belle note
qui nous rend un tantinet nostalgique
de cette nostalgie qui nous fait du bien
merci
tout est nostalgie, amie
Ah mais c’est magnifique Brigitte ce partage ! Et si dense, presque sautillant (je dois avoir cette idée de sautillements à cause des chèvres). Et « l’arrangiarsi », je trouve ça tellement épatant, écrit comme ça, en un mot. Merci !
Brigetoun
un très grand merci Christine de la part de celle qui aimerais vivre en l'an, soyons modérées, 1890 pour que la vie soit plus simple même si difficile du point de vue communication
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