Du potager des halles suis sortie avec deux carottes des sables, un tout petit bulbe de fenouil ventru et une bouteille de gaspacho ; de Panissain un petit pain rond aux graines de lin et un pain de taille moyenne de seigle aux figues ; de chez Christophe traiteur une délicieuse tartelette provençale et, dans une petite barquette de plastique, un plat, enrobé d’une épaisse sauce curry, de cabillaud et grosses crevettes (que j’arriverai en hauts le coeur répétés à évacuer en milieu d’après-midi) ; de la Matée provençale un épais triangle de thon rouge et un épais triangle d’espadon.
Je suis repartie vers l’antre pour prioritairement me laver les cheveux, tourmentée vaguement par le souvenir d’une petite enveloppe carrée en kraft dont ne savais ce que j’avais fait sans, honte à moi, aller plus loin qu’une velléité de recherches… l’ai retrouvée sous un paquet de feuilles posées sur elle je ne sais quand… Lavage de cheveux, déjeuner avec plaisir puis en me forçant à mon grand tort… et un peu avant l’heure du thé j’entreprends la lecture de ces deux feuilles sur la première desquelles dans une sorte de mandorle, figure Henry David Thoreau.
« Je marche dans les traces du renard qui s’en est allé devant moi il y a quelques heures ou que, peut-être, j’ai fait partir à force de bouillir d’impatience, comme si j’étais sur la piste de l’esprit même qui réside dans ces bois et que je m’attendais à bientôt capturer dans son repaire.
Voici la piste distincte d’un renard qui s’étend sur un quart de mille à travers l’étang. Je suis curieux de savoir ce qui a déterminé ses courbes gracieuses, ses écarts plus ou moins grands et plus ou moins nets, et la façon dont ces traces coïncident avec les fluctuations d’un esprit. Pourquoi me conduisent-elles tantôt deux pas sur la droite, tantôt trois sur la gauche ? Si ces choses n’ont pas à être évoquées ni justifiées dans le Livre de Vie de l’Agneau, je les noterai pour des observateurs négligents. Il y a eu ici une manifestation de l’esprit divin ce matin.
L’étang était son journal, et la nuit dernière, la neige a fait tabula rasa pour lui. Je sas quel chemin a emprunté un esprit ce matin. A quel horizon il a fait face d’après le dessin de ces traces - s’il a avancé lentement ou rapidement d’après les intervalles et la netteté plus ou moins affirmée de la piste - car les foulées les plus rapides laissent toujours une trace durable.
Fair Haven Pond est entaillé par des traces de renards et on peut voir les endroits où ils ont folâtré et ont fait mille cabrioles. Ils témoignent d’une indolence singulière et du loisir existant dans la nature.
Tout à coup, du coté du fleuve, j’ai vu un renard à une soixantaine de perches, filant vers les collines à ma gauche. Parce qu’il y avait cinq pouces de neige, il avançait lentement, mais cela n’était pas un obstacle pour moi. Ainsi, cédant à l’instinct la traque, j’ai secoué la tête et je me suis mis en route, reniflant l’air comme un chien de chasse, un fox-hound, en rejetant le monde et la société humaine à chaque bond. On aurait dit que le cor du chasseur résonnait dans les bois, et que Diane et tous les satyres se joignaient à la traque et m’encourageaient. Les jeunes gens d’Olympe et d’elle agitaient des palmes sur les collines. Entre-temps, je gagnais rapidement du terrain sur le renard, mais il fit montre d’une remarquable présence d’esprit, car au lieu d’aller tout droit vers la colline escarpée et nue à cet endroit, il poursuivit le long du versant en direction de la forêt, bien qu’ainsi il perdit du terrain… » et j’en reste là, espérant que Laurent Margantin me pardonnera cette trop longue citation.