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désolée, Paumée se veut à l'abri, sauf quand un acte fait déborder le vase, des allusions à la politique ambiante.. et si je suis reconnaissante aux envies de commenter je vous demande de me pardonner de rétablir la modération

samedi, novembre 25, 2017

Guillou, longuement

Temps gris, passages de pluie fine et froidure
et sans rapport, une envie brigetounienne de vie égoïste
ménage, un peu de repassage et puis lectures, un DVD (moi, Daniel Blake), etc...
alors, utiliser, pour Paumée, la trop longue évocation d'un dénommé Guillou, venu rejoindre les personnages des autres contributions au dernier exercice de l'atelier d'été proposé généreusement par François Bon sur le tiers.livre http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article4480
Ils étaient bien là, comme tous les matins où le soleil baignait le mur, sans trop d'ardeur mais sans que pointe vraiment la petite aigreur fraîche qui nous venait avec l'année finissante, bien là derrière les trois tables de la terrasse de notre bistro, tous, les quatre devenus cinq.
Bien six mois qu'il était arrivé, qu'il s'était présenté discrètement, sans insister, qu'il était entré dans le décor, avait répondu juste sur le ton qu'il fallait aux phrases sérieuses ou plaisanteries, et que peu à peu sa place n'avait plus été à l'écart, derrière une table, mais là où un siège était libre quand il arrivait, celui dont, rentré chez lui, Pierre disait à Marinette, Jean disait à Caroline – les deux autres ne disaient rien, un veuf et un célibataire – en lui rendant compte de sa matinée, «il y avait aussi celui là, tu sais bien...», alors qu'elle, comme lui, ne savait justement rien de celui-là sauf qu'il était nouveau, venu d'on ne sait où, et pourtant rapidement évident, familier sans qu'on puisse dire beaucoup plus de lui que son nom Maurin, puis, par le facteur, son prénom, Guilhem et enfin, parce qu'il préférait ça à ce prénom prétentieux que lui avait donné sa mère, comme il disait, ce surnom de Guillou chargé de réunir en lui la personne et tout ce qu'on en connaissait ou devinait.
Car, en réalité, on savait fort peu de lui et il n'en laissait guère deviner. Il s'était installé dans une maison ancienne restaurée que ses propriétaires, pour une raison ou une autre, tentaient depuis assez longtemps de revendre, de moins en moins cher, sans y parvenir - parce que tout de même le village était, faut le dire, un peu à l'écart, un peu moribond- , signe chez lui d'une aisance certaine mais vraisemblablement limitée... il disait qu'il en aimait le jardin de bonne taille mais pas trop grand, ses bosquets et sa pente douce, et comme on en souriait parce qu'il le laissait à l'abandon, il avait embauché le neveu de Jean pour en assurer, deux heures par semaine, l'entretien, le traitant avec une familiarité un peu distraite, et lui recommandant de n'intervenir que le moins possible.
Marie-Lou, la femme, un rien pipelette, qui s'occupait, un jour sur trois, de son ménage parlait de livres, de meubles rares, anciens et disparates, d'un confort un peu spartiate, et le disait, lui, ordonné sans excès, comme un qui avait vécu longtemps seul, capable de cuisiner mais sans doute sans grande recherche, gourmand cependant d'après ses achats, mais sobre, et fort habile de ses mains, pour le bricolage de base et surtout pour ses maquettes, étonnantes ses maquettes, des bateaux qui lui prenaient un temps infini et auxquelles était consacrée la plus grande des chambres.
Il n'était pas grand parleur, mais selon le maçon occupé à restaurer et agrandir une maison à côté de la sienne, devant laquelle on l'avait vu s'arrêter à plaisir plusieurs fois, il avait la cordialité, la connaissance et le langage de quelqu'un du métier.
Quand ils étaient assis tous les cinq, regardant passer les gens – Jean avait un regard rajeuni et des compliments fleuris pour les filles, lui leur souriait comme une excuse légère – et qu'ils refaisaient et commentaient le monde, il avait, quand passait le nom d'une ville, surtout d'un port, quelques mots qui laissaient penser qu'il l'avait connue, un peu mieux et autrement qu'un touriste.
De cela les autres avaient conclu qu'il était seul sans en souffrir, et Bertrand le grand-saveur, le bourgeois, décidait, selon les jours, qu'il avait été architecte ou quelque chose comme ça, ou marin, à moins que ce ne soit négociant, avec un peu d'agacement car il supportait mal de ne pas être «au courant»... finit d'ailleurs par lui poser la question pour s'entendre répondre, «bâtiment, comme mon père, et puis marin comme voulais... des années, pour finir parce qu'héritage un retour au bâtiment, ou plutôt aux matériaux» et puis «vivre c'est se couler dans les occasions qui s'offrent à vous» et le groupe s'en satisfit.
Cependant ce jour là, où le soleil donnait beau et où ils le savouraient, une voiture s'est arrêtée devant le café et trois complets en sont descendus pour entrer boire. Le dernier s'est arrêté, main retenant la porte, et s'est retourné «oh ! bonjour Monsieur» et Guillou, se tournant vers lui «tiens ! Bonjour mon petit Dubuy !» - S'est levé, se sont approchés, se sont serré la main, et comme le jeune semblait désireux de prendre un peu de temps pour cette rencontre, l'aîné lui a pris le bras, l'a orienté vers le vide de la place-champ et ils se sont éloignés à pas lents, Guillou légèrement penché vers l'autre, avec une inconsciente autorité gentille, et la veste de toile en prenait une élégance plus grande que le lainage souple et les deux petites fentes sur les fesses.
Ils sont revenus vers nous, vers les quatre assis et les spectateurs plus ou moins discrets. Au moment de franchir la porte pour rejoindre ses compagnons le jeune a ajouté, vite, comme une tentative «vous savez, j'ai rencontré votre fille hier, et nous dînons ensemble ce soir» un silence, «elle sera toujours la bienvenue» a dit Guillou.
Et elle est venue, revenue une semaine plus tard pour un week-end, revenue encore...
Elle était mince, jolie sans doute, ou assez, décidée, rapide ou pressée... elle mettait une journée pour se couler, chaque fois un peu davantage, dans le rythme du village, et plus encore dans celui des quatre plus un.
Chez Guillou elle était au début, réservée mais curieuse comme une invitée légèrement indiscrète... et puis a commencé à laisser des objets derrière elle, et à feuilleter les livres. Elle a trouvé des carnets, quasiment illisibles... elle a interrogé ce père trop peu connu, l'a persuadé de son intérêt.
Guillou avait vécu sans trop réfléchir à sa vie dès qu'elle devenait passé. Elle s'en agaçait, alors avec une petite gêne au début, avec de plus en plus de plaisir, il a entrepris de l'écrire ce passé, de le reconstituer, en s'efforçant à l'honnêteté, en tentant de rendre la saveur des choses, des instants, pour les lui offrir, en faisant de brusques retours en arrière, en sautant des périodes dont ne voulait ou pouvait se souvenir, en retrouvant son goût, réfréné depuis plus de quarante ans, pour l'écriture.
Il a rempli carnets sur carnets, ne s'interrompant que pour retrouver ses quatre amis, presque chaque jour, puis de moins en moins, parce que la marche lui devenait difficile, parce que ce passé revécu ou ré-inventé prenait de plus en plus de place.
Un matin il ne s'est pas levé et sa fille et la Marie-Lou l'ont trouvé mort.
Elles ont pleuré, le village l'a accompagné au cimetière et puis Juliette, la fille, s'est plongée dans les carnets, tentant d'en tirer un livre de taille raisonnable, ce qui l'a occupée pendant des années, bien au delà du moment où elle a constaté que c'était impossible.

6 commentaires:

Dominique Hasselmann a dit…

Merci, je l'avais déjà lu sur le site de François Bon.

Vous avez pensé au "Pain noir" ?

Brigetoun a dit…

non - aveu : je ne l'ai jamais lu

arlette a dit…

Aimé. .."sanstrop réfléchir à sa vie dès qu'elle devenait passé "
Beau travail

Brigetoun a dit…

grand merci

jeandler a dit…

L'écriture serait-elle un long chemin qui ne mène nulle part ?

Brigetoun a dit…

je crois que pour Guillou c"était un cadeau pour sa fille, en y prenant de plus en plus de plaisir, et une image à laisser (nul n'est parfait)