Temps gris, passages de
pluie fine et froidure
et sans rapport, une envie
brigetounienne de vie égoïste
ménage, un peu de
repassage et puis lectures, un DVD (moi, Daniel Blake), etc...
alors, utiliser, pour Paumée,
la trop longue évocation d'un dénommé Guillou, venu rejoindre les
personnages des autres contributions au dernier exercice de l'atelier
d'été proposé généreusement par François Bon sur le tiers.livre
http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article4480
Ils étaient bien là,
comme tous les matins où le soleil baignait le mur, sans trop
d'ardeur mais sans que pointe vraiment la petite aigreur fraîche qui
nous venait avec l'année finissante, bien là derrière les trois
tables de la terrasse de notre bistro, tous, les quatre devenus cinq.
Bien six mois qu'il était
arrivé, qu'il s'était présenté discrètement, sans insister,
qu'il était entré dans le décor, avait répondu juste sur le ton
qu'il fallait aux phrases sérieuses ou plaisanteries, et que peu à
peu sa place n'avait plus été à l'écart, derrière une table,
mais là où un siège était libre quand il arrivait, celui dont,
rentré chez lui, Pierre disait à Marinette, Jean disait à Caroline
– les deux autres ne disaient rien, un veuf et un célibataire –
en lui rendant compte de sa matinée, «il y avait aussi celui là,
tu sais bien...», alors qu'elle, comme lui, ne savait justement rien
de celui-là sauf qu'il était nouveau, venu d'on ne sait où, et
pourtant rapidement évident, familier sans qu'on puisse dire
beaucoup plus de lui que son nom Maurin, puis, par le facteur, son
prénom, Guilhem et enfin, parce qu'il préférait ça à ce prénom
prétentieux que lui avait donné sa mère, comme il disait, ce
surnom de Guillou chargé de réunir en lui la personne et tout ce
qu'on en connaissait ou devinait.
Car, en réalité, on
savait fort peu de lui et il n'en laissait guère deviner. Il s'était
installé dans une maison ancienne restaurée que ses propriétaires,
pour une raison ou une autre, tentaient depuis assez longtemps de
revendre, de moins en moins cher, sans y parvenir - parce que tout de
même le village était, faut le dire, un peu à l'écart, un peu
moribond- , signe chez lui d'une aisance certaine mais
vraisemblablement limitée... il disait qu'il en aimait le jardin de
bonne taille mais pas trop grand, ses bosquets et sa pente douce, et
comme on en souriait parce qu'il le laissait à l'abandon, il avait
embauché le neveu de Jean pour en assurer, deux heures par semaine,
l'entretien, le traitant avec une familiarité un peu distraite, et
lui recommandant de n'intervenir que le moins possible.
Marie-Lou, la femme, un
rien pipelette, qui s'occupait, un jour sur trois, de son ménage
parlait de livres, de meubles rares, anciens et disparates, d'un
confort un peu spartiate, et le disait, lui, ordonné sans excès,
comme un qui avait vécu longtemps seul, capable de cuisiner mais
sans doute sans grande recherche, gourmand cependant d'après ses
achats, mais sobre, et fort habile de ses mains, pour le bricolage de
base et surtout pour ses maquettes, étonnantes ses maquettes, des
bateaux qui lui prenaient un temps infini et auxquelles était
consacrée la plus grande des chambres.
Il n'était pas grand
parleur, mais selon le maçon occupé à restaurer et agrandir une
maison à côté de la sienne, devant laquelle on l'avait vu
s'arrêter à plaisir plusieurs fois, il avait la cordialité, la
connaissance et le langage de quelqu'un du métier.
Quand ils étaient assis
tous les cinq, regardant passer les gens – Jean avait un regard
rajeuni et des compliments fleuris pour les filles, lui leur souriait
comme une excuse légère – et qu'ils refaisaient et commentaient
le monde, il avait, quand passait le nom d'une ville, surtout d'un
port, quelques mots qui laissaient penser qu'il l'avait connue, un
peu mieux et autrement qu'un touriste.
De cela les autres avaient
conclu qu'il était seul sans en souffrir, et Bertrand le
grand-saveur, le bourgeois, décidait, selon les jours, qu'il avait
été architecte ou quelque chose comme ça, ou marin, à moins que
ce ne soit négociant, avec un peu d'agacement car il supportait mal
de ne pas être «au courant»... finit d'ailleurs par lui poser la
question pour s'entendre répondre, «bâtiment, comme mon père, et
puis marin comme voulais... des années, pour finir parce qu'héritage
un retour au bâtiment, ou plutôt aux matériaux» et puis «vivre
c'est se couler dans les occasions qui s'offrent à vous» et le
groupe s'en satisfit.
Cependant ce jour là, où
le soleil donnait beau et où ils le savouraient, une voiture s'est
arrêtée devant le café et trois complets en sont descendus pour
entrer boire. Le dernier s'est arrêté, main retenant la porte, et
s'est retourné «oh ! bonjour Monsieur» et Guillou, se tournant
vers lui «tiens ! Bonjour mon petit Dubuy !» - S'est levé, se sont
approchés, se sont serré la main, et comme le jeune semblait
désireux de prendre un peu de temps pour cette rencontre, l'aîné
lui a pris le bras, l'a orienté vers le vide de la place-champ et
ils se sont éloignés à pas lents, Guillou légèrement penché
vers l'autre, avec une inconsciente autorité gentille, et la veste
de toile en prenait une élégance plus grande que le lainage souple
et les deux petites fentes sur les fesses.
Ils sont revenus vers
nous, vers les quatre assis et les spectateurs plus ou moins
discrets. Au moment de franchir la porte pour rejoindre ses
compagnons le jeune a ajouté, vite, comme une tentative «vous
savez, j'ai rencontré votre fille hier, et nous dînons ensemble ce
soir» un silence, «elle sera toujours la bienvenue» a dit Guillou.
Et elle est venue, revenue
une semaine plus tard pour un week-end, revenue encore...
Elle était mince, jolie
sans doute, ou assez, décidée, rapide ou pressée... elle mettait
une journée pour se couler, chaque fois un peu davantage, dans le
rythme du village, et plus encore dans celui des quatre plus un.
Chez Guillou elle était
au début, réservée mais curieuse comme une invitée légèrement
indiscrète... et puis a commencé à laisser des objets derrière
elle, et à feuilleter les livres. Elle a trouvé des carnets,
quasiment illisibles... elle a interrogé ce père trop peu connu,
l'a persuadé de son intérêt.
Guillou avait vécu sans
trop réfléchir à sa vie dès qu'elle devenait passé. Elle s'en
agaçait, alors avec une petite gêne au début, avec de plus en plus
de plaisir, il a entrepris de l'écrire ce passé, de le
reconstituer, en s'efforçant à l'honnêteté, en tentant de rendre
la saveur des choses, des instants, pour les lui offrir, en faisant
de brusques retours en arrière, en sautant des périodes dont ne
voulait ou pouvait se souvenir, en retrouvant son goût, réfréné
depuis plus de quarante ans, pour l'écriture.
Il a rempli carnets sur
carnets, ne s'interrompant que pour retrouver ses quatre amis,
presque chaque jour, puis de moins en moins, parce que la marche lui
devenait difficile, parce que ce passé revécu ou ré-inventé
prenait de plus en plus de place.
Un matin il ne s'est pas
levé et sa fille et la Marie-Lou l'ont trouvé mort.
Elles ont pleuré, le
village l'a accompagné au cimetière et puis Juliette, la fille,
s'est plongée dans les carnets, tentant d'en tirer un livre de
taille raisonnable, ce qui l'a occupée pendant des années, bien au
delà du moment où elle a constaté que c'était impossible.
6 commentaires:
Merci, je l'avais déjà lu sur le site de François Bon.
Vous avez pensé au "Pain noir" ?
non - aveu : je ne l'ai jamais lu
Aimé. .."sanstrop réfléchir à sa vie dès qu'elle devenait passé "
Beau travail
grand merci
L'écriture serait-elle un long chemin qui ne mène nulle part ?
je crois que pour Guillou c"était un cadeau pour sa fille, en y prenant de plus en plus de plaisir, et une image à laisser (nul n'est parfait)
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