
Le mistral a malmené le ciel, le silence, notre sommeil, ne sais depuis quand, depuis un peu avant l'aube pour moi (et je m'étais endormie contre lui), emportant mes vagues projets d'une visite à Hubert Robert chez Angladon et, en face, aux écrivains russes de Ceccano, ancrant en moi un refus de la journée, une vacuité sur lesquels il régnait avec telle insistance que j'ai occupé le petit éclair qui subsistait dans mon crâne cotonneux à le pister, incapable de me limiter à quelques allusions, enjambant seulement les répétitions trop manifestes et les compliments qui lui sont souvent adressés, lorsqu'on pense à lui en son absence ou dans le premier jour de son installation quand il nettoie le ciel.
En commençant par les anciens, et le didactisme
«Comme le pays qui lui fait suite vers l'intérieur, elle est toute entière exposée aux vents et surtout aux rafales du mélamborée, qui est un vent âpre et violent. On prétend que ce vent entraîne ou roule parfois des pierres et qu'il peut, de son souffle, précipiter des hommes à bas de leur char et les dépouiller de leurs armes et de leurs vêtements.» Strabon
Nos vêtements étant plus fermement arrimés que les toges ou voiles nous restent, mais il a su me faire décoller et atterrir rudement.
«Dans la Narbonnaise, le vent le plus célèbre est le mistral que nul au monde ne surpasse en violence. Il porte les navires de la Gaule au port d'Ostie, à travers la mer de Ligurie, le plus souvent en droite ligne" Pline le Jeune
"Les Gaulois de la vallée du Rhône voyaient en lui leur dieu le plus effrayant ; ils lui dressaient des autels et lui offraient des sacrifices ; les Provençaux le considéraient, avec la Durance et le Parlement, comme une de leurs trois grandes calamités." Élisée Reclus
«Il commande l'architecture de la grange ou de la ville et mène le terroir à sa fantaisie. .. se jette sur les granges qu'il prend à bras-le-corps comme pour les renverser, interrompt d'un rugissement de lion ou d'un hurlement de loup les conversations aimables tissées dans la tiédeur du palier. ... Les tempes semblent martelées, les oreilles pourfendues, et l'on dirait que des milliers d'aiguilles pénètrent dans la peau qui s'écaille. " Félix Grégoire
"C'est pour se garder du mistral et lui casser les ailes à tous les tournants, qu'on a bâti ces milliers de petites rues étroites et courtes se coupant à angle droit, quand ce n'est pas à angle aigu, dont les vieux noms pittoresques me ravissent," Paul Arène (qui a beaucoup écrit de lui) pour retrouver Avignon

«J'étais hors d'état d'avoir aucun plaisir. Un mistral furieux a repris depuis ce matin ; c'est là le plus grand drawback de tous les plaisirs que l'on peut rencontrer en Provence..... On ne sait où se réfugier ; à la vérité il fait un beau soleil mais un vent froid et insupportable pénètre dans les appartements les mieux fermés et agace les nerfs de façon à donner de l'humeur sans cause au plus intrépide.» Stendhal
J'en jette beaucoup, mais, un peu hors sujet, pour la joliesse :
"De la fenêtre, on voyait les oliviers, avec leurs couleurs d'écailles de poisson, qui bougeaient dans le mistral comme ces sardines qu'il voyait jadis grouiller dans le canot de son père, en Sicile, ils avaient tout à fait la même couleur argentée.." Romain Gary
ou "Elle les lavait et les peignait interminablement à la fontaine, sauf les jours de mistral où elle en faisait des nattes très serrées, liées par des rubans. On pouvait dire si le mistral serait méchant ou non, d'après l'arrangement de ces nattes." Consuelo de Saint-Exupéry
"cela, sans dessus dessous, recevait d'aplomb le soleil provençal, âpre à son premier réveil, plus âpre par l'aridité du mistral qui s'y mêlait par moments. Double trait qui traversait la transparente créature" Michelet (la Mer)
"Les langues toutes gymnastes, agiles, accentuées... elles font un écho sec au mistral au soleil, ou bien c'est le paysage lui-même qui peu à peu a pris cet accent" Fred Griot (Visions) Ces deux dernières citations aimablement fournies par la recherche de mots de Publie.net
Parce que j'aurais pu reprendre ces mots :
"Ohé ! vieux bavard de vent,
Veux-tu bien vite te taire ?
Tu souffles par trop souvent,
On n'entend que toi sur terre." Alfred Béjot
et, revenant dans ma ville
"les grands coups de mistral, francs comme des bourrades ; ses ronflements de tonnerre dans les cheminées de la rue du Portail-Matheron ; les pierres dorées, veloutées par la poussière et par l'usure ; les roseaux de la Barthelasse.. " Edmond Jaloux (quand la flamme décline)

Il a beaucoup faibli au cours de la journée, mais j'étais aussi entêtée et de mauvaise fois que les députés UMP dans la défense du bouclier fiscal, et d'ailleurs de bonnes grosses bourrasques venaient régulièrement affirmer sa main mise sur nous.
Voilà, voilà
Et comme il a faibli des nuages nous sont venus (la dernière photo vient de mes archives)