Les malheurs (tout petits, à sa taille) de Brigetoun.
Me suis endormie, mercredi soir, ou aux petites heures de jeudi, dans l'idée que j'irai vendredi à la NAC (le plus commode pour moi, et le moins cher) acheter un remplaçant, point trop minable, point trop onéreux, point trop compliqué, aussi joli que possible pour que j'en fasse un ami, tenant dans ma poche, le fond du sac (avec lanière pour le pêcher), un panier (sans remords) à mon appareil-compagnon-pas-très-perfectionné-mais-bien assez, et l'idée que je devrais, en même temps, sauter le pas et m'offrir une tablette, pas un iPad, parce que mon dandysme m'interdit ce qui est évident, parce que m'agace par principe d'être prisonnière d'Apple (comme si j'étais capable de m'affranchir de ce qui est pré-mâché), et donc aller voir mon banquier, en n'oubliant pas de prévoir le financement du festival.
Me suis réveillée dans la petite excitation de la chose, dans la petite culpabilité née du calcul approximatif du nombre d'années pendant lesquelles pourrais ainsi ronger ma réserve... dans l'inutilité au fond, pour moi, d'une tablette... (pour l'appareil et le théâtre la question ne se posait pas), et me suis ruée sur café et miel, puisque je n'aurai pas le temps d'aller me faire tirer du sang.
J'ai fait trois passes magiques au dessus de l'infirme, l'ai pris devant la porte fenêtre, ai vu l'image flotter en lumière inquiétante, ai essayé deux photos, celle qui pleure là-haut,
celle ci que j'ai tenté de sauver en passant au noir et blanc.
J'ai regardé avec une tendresse navrée, pour lui dire adieu, cette petite chose dans ma main, avec sa carrosserie éraillée, éraillée oui, et j'avais dû lui donner encore un choc de trop (l'est souvent tombé le pauvret), comme celui-là : ai hésité à le lâcher, ai préféré le heurter avec un dépit désolé contre le bureau, ai regardé par l'objectif, eu l'impression d'une vague normalité,
suis retournée devant la lumière morne de huit heures, ai exulté. Mais l'envie de la tablette s'était installée, et de la Samsung, pas l'actuelle, une des deux un peu plus grandes qui doivent sortir, et puis pourquoi pas, et puis pourquoi pas une autre sous Androïd, et puis en fait ça fonctionne comment ces bidules, j'en sais rien moi, je n'y comprends couic, mais ce n'est pas une raison, bien entendu, mais... le temps a passé. Intention ferme de m'en occuper en début d'après-midi.
Le déjeuner s'est terminé sur une débâcle de carcasse qui a emporté avec elle le projet de sortie, ai dormi un peu, ai sorti dans la cour cette tête irrémédiablement de traviole, abandonnée depuis deux ans ou presque, et jamais jetée, à cause de la tendresse que l'on a parfois pour un enfant disgracié, et l'ai gratouillée, jusqu'à abandonner.
voilà, voilà
ai dédaigné avec superbe le ménage, me suis fait du thé vert, ai lu et tenté de réveiller cerveau, l'ai dégourdi peu à peu
Et puis, vers 19 heures, il y a eu « Écrire, signer la vie (incursion vers Dupin avant que chacun marche seul) » – dernière (avant dernière mais dernière pour nous) nocturne de la BUA, sous la houlette, en suivant, François Bon – et là vraiment aller le lire, lui, Jacques Dupin, et les contributions, parce qu'elles sont autrement fortes que ce qui suit - http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article2516
Lire ce qui est proposé – s'asseoir, chercher sa place – conscience de la dureté de la paille tassée, des pieds, gonflés, un peu et qui prennent importance, que l'on étend, sentir corps pour oublier tremblement intérieur, la révérence, mais frémir, un peu, trop.
Révérence devant les mots, parce que ceux-là disent avec une exactitude simple, évidente, provoquent.. révérence devant les mots qui fuient.
Se lever, sortir dans la lumière qui va s'évanouir et chercher mots pour cela, ce soir qui n'est pas encore, qui vient – mais ce n'est pas ça.
Prendre l'arrosoir, mettre main sur le bas du dos, et les mots pour l'eau, la courbe claire, la terre et chacune des petites branches, et l'odeur qui monte, et l'envie d'être soin, et la couleur des pierres, jouer avec, les murmurer presque.
Le désir de s'installer devant l'écran, mais on se tient devant la cour, regardant.
Ce que l'on désirerait écrire, mais pas de mot pour ça, et puis pas la force, le droit de dire ce qui ne se dit pas. Le début de familiarité avec écrire qui fait que la tentation grandit, le besoin, mais pas encore.
Avoir mal, juste mal, pas trop, pas jusqu'à hébétude, juste ce qu'il faut pour que vienne écriture contre le corps – le plaisir des mots – de s'y risquer, de les poser, de vouloir qu'ils amènent la paix qui est là, comme chaque soir, la disent
- petites phrases qui ne disent pas vraiment, qui se glissent, doucement, sous tout ce qui s'écrit
- petites phrases miennes en sourdine dans le bonheur, la douleur de tous les mots superbes ou maladroits qui s'écrivent.
Se sentir un peu lâche.
13 commentaires:
C'est un plaisir de vous lire. Je vais commenter au ras des accessoires mais de lire vos doutes sur les tablettes est pur délice. Et vous voir regretter cette petite chose dans votre main, avec sa carrosserie éraillée, éraillée oui, est de la poésie. Me semble-t-il que Samsung sous Androïd pourrait être un bon choix... ;-) J'hésite aussi devant l'abondance de tablettes qui envahissent soudainement nos vieilles habitudes de lecture et de communication.
magnifique photos, oui la pierre en rose j'ai aimé beacoup comment tu t'es promené entre les mots, c'est comme notre vie existe dans les mots et n'a pas un sens à l'extérieur des blocs de mots.
merci chère Brigitte.
la beauté est une somme d'imperfection, beaucoup de tendresse aussi pour cette tête si tranquille et reposée. Quant à la tablette, je me contente de celle en chocolat noir ;-)
Ce que l'on désirerait écrire, mais pas de mot pour ça
irrémédiablement quand sonne l'heure
♪♪♪♫
Je vois les murs en rooooseee !
♪♪♪♫
rigole !
On a bien besoin de rigoler...
que oui ! merci
Cet arrosoir d'antan, j'ai le même sur mon balcon en ville et mon appareil photo a l'objectif rayé (ça ne se voit que sur les vidéos). Je ne sais comment cela a pu se produire.
Mais je n'ai pas de tête sculptée à portée de main - juste la reproduction d'un profil en relief de Mercure sculpté par Praxitèle, musée d'Olympie, cadeau de A.S.
Sans doute faut-il tabler sur l'écriture.
me sens idem sans avoir gratté de jolie tête
"ait dédaigné avec superbe le ménage" me plait beaucoup pour la forme stylistique et pour la posture du "à quoi bon le ménage, vivons tant qu'il est en est encore temps !" crédit accordé, ou non, l'essentiel étant de posséder dans tous les cas un appareil photo numérique qui fonctionne pour pouvoir photographier tendre tête, pas symétrique, mais très attachante comme toi dans tes périples avignonais, même si carcasse fait quelque fois siestou !!! Vive la Provence !!!
oui, ok, je suis en plein délire, mais tu l'as cherché un peu non ?
Qu'a-t-elle cette tête ? Elle se réjouit de retrouver le soleil.
Pauvre tête triturée comme un totem qui réapparait de temps en temps
Quitter une vieille chose ,fidèle compagnon est difficile comme un téléphone portable "démodé" et fichu qui en a tant entendu .......
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