Cette nuit, j'ai repris pour une trentaine de pages, «La terre le feu l'eau et les vents» l'anthologie établie par Edouard Glissant, et après Cyrano de Bergerac (le vrai), Muhammad Ali (une phrase), Georges Castera (jolie découverte), Franketienne, le groupe musical Deerhoof (lyrisme), avant Michel Butor (deux beaux poèmes non sans malice), Delacroix, Henri Pechette (poèmes offerts et un fragment des Epiphanies), Simon Bolivar, Italo Calvino, Ernesto Che Guevara etc... ça a été le choc, l'émotion de la beauté de la prière de Black Elk à Harney Pick dans les Black Hills
«.. Avec des larmes, ô grand esprit, grand esprit, mon père suprême – avec des larmes je viens vous dire que l'arbre n'a jamais fleuri. Vieil homme pitoyable, vous me voyez ici ; j'ai tout manqué, je n'ai jamais réussi. Ici, au centre du monde où vous m'avez conduit quand j'étais jeune, où vous m'avez instruit, me voilà devenu vieux et l'arbre a dépéri, père suprême, mon père suprême !
À nouveau et peut-être pour la dernière fois sur cette terre, je vous rappelle la grande vision que vous m'avez envoyée. Il se peut qu'une petite racine de l'arbre sacré vive encore. Nourrissez-la, que l'arbre fleurisse et s'emplisse du chant des oiseaux ! Écoutez-moi, non pour moi-même, mais pour mon peuple. Je suis vieux. Écoutez-moi afin qu'ils puissent retrouver la bonne piste rouge, l'arbre qui protège !
Dans ma détresse, je vous envoie ma faible voix, ô Six Pouvoir du Monde ! Écoutez-moi dans ma détresse, car il se peut que plus jamais je ne vous rappelle. Ô faites que mon peuple vive !
Et, tant pis pour le voisinage, le paragraphe détaché du convoi des glossolales que j'avais projeté de copier aujourd'hui http://leconvoidesglossolales.blogspot.com (paresse, et malgré cela une élucubration envoyée audit convoi)
Benoît avait longues errances derrière lui. Benoît avait lassitude grande. Benoît était parvenu à l'âge grand. Benoît en a parlé, distraitement, dans un blanc de la conversation, à un vieil ami, vers la fin de retrouvailles, un échange de phrases qui s'épuisait, s'éternisait, s'effilochait, à une terrasse de café, sans qu'ils aient envie d'y mettre fin. Et quand l'ami lui a proposé cela, il a senti qu'il l'avait peut-être vraiment pensé, sans le savoir, et, comme un pari, il a accepté. Cela qui était une petite bâtisse, bien petite, bien humble, bien décrépite, comme une seconde peau, mais trop solide pour être masure. Une petite bâtisse à apprivoiser, ou dans laquelle se couler, à laquelle se conformer, aux lisières d'un bourg, juste au dessus, légèrement, en surplomb de la route de clôture ou de «contournement», sur une petite colline, une petite avancée rocheuse. Une colline si discrète qu'elle n'en méritait guère le nom, mais les rues, en dessous, dévalaient lentement jusqu'aux platanes de la place de la mairie, et puis reprenaient leur descente vers les peupliers, la petite rivière, le tourbillon d'un moulin abandonné. Benoît y a installé quelques meubles qui dormaient dans un garde-meuble, conservés comme une attache, parce qu'il n'y pensait pas, ou ne voulait désirer leur disparition. Cela faisait un décor un peu monacal, un peu recherché, comme une cellule meublée de luxe. Il a mis un temps à s'y habituer, à les dissocier du souvenir de ses parents, et puis ils se sont admis, lui et eux. Il avait envisagé, vaguement, ou décidé mais sans le désirer réellement, d'occuper les années qui s'étendaient encore devant lui à écrire quelque chose qui aurait pu être ses mémoires ou - l'idée lui plaisait, avec tout de même un peu d'auto-ironie - son livre de sagesse. Il ne l'a pas pu, ou pas tout de suite. Il a laissé le temps en venir. Et chaque matin il sortait sous sa tonnelle clairsemée et il regardait. Les toits étaient gris, doucement roses quand le soleil s'en venait, les arbres étaient petits, et grands dans son esprit, la connaissance qu'il en avait, et le plateau s'étendait, avec des bosquets, de petites bosses, quelques fermes, jusqu'à la chaîne de montagnes bleutées, sur une distance qui variait selon les jours, les heures, les lumières. Il restait là. Il ne pensait pas. Un désir de départ lui venait. Mais ce n'était qu'une velléité. Il sentait dans son dos la présence de la maison, et c'était un lien qui s'était créé peu à peu, qu'il commençait à comprendre, qu'il n'avait pas envie de rompre.
5 commentaires:
"Cela qui était une petite bâtisse"
Beau, vibrant, subtile...illusion qu'elle est la mienne...
où écrire mon livre de sagesse que je n'écrirai pas
Comme cet arbre me parle et m'appelle ! et cette batisse aussi à laquelle Benoît s'accroche !
Vieil arbre , vieux coeur encore en espérance et se dire au fond sous la tonnelle "Je suis bien " et surtout l'admettre tout est là
Benoît est un Sage
à vous lire :
les yeux ne bougent pas
ce sont les montagnes
les couleurs ne changent pas
ce sont les monologues
Beauté absolue, sublime et naturelle.
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