
«Parmi les forces naturelles, il en est une, de laquelle le pouvoir reconnu de tout temps reste en tout temps mystérieux, et tout mêlé à l'homme : c'est la nuit. Cette grande illusion noire suit la mode, et les variations sensibles de ses esclaves. La nuit de nos villes ne ressemble plus à cette clameur des chiens des ténèbres latines, ni à la chauve-souris du Moyen-Âge, ni à cette image des douleurs qui est la nuit de la Renaissance. C'est un monstre immense de tête, percé mille fois de couteaux. Le sang de la nuit moderne est une lumière chantante. Des tatouages, elle porte des tatouages mobiles sur son sein, la nuit. Elle a des bigoudis d'étincelles, et là où les fumées finissent de mourir, des hommes sont montés sur des astres glissants. La nuit a des sifflets et des lacs de lueurs. Elle pend comme un fruit au littoral terrestre, comme un quartier de boeuf au poing d'or des cités. Ce cadavre palpitant a dénoué sa chevelure sur le monde, et dans ce faisceau, le dernier, le fantôme incertain des libertés se réfugie, épuise au bord des rues éclairées par le sens social son désir insensé de plein air et de péril. Ainsi dans les jardins publics, le plus compact de l'ombre se confond avec une sorte de baiser désespéré de l'amour et de la révolte.»
Sur ces mots, aux petites heures de samedi, j'ai refermé «Le paysan de Paris», quitté Aragon, et dans ma nuit me suis bien platement, benoitement, profondément, lovée et endormie.
Jour gris, jour plat, jour doux, jour de désert sur internet, au moins le matin, ai déserté, marché un peu dans le gris de ma ville, et paresseusement recyclé une participation, un peu à côté une fois encore, à un atelier d'écriture sur «Liminaire» http://www.liminaire.fr/spip.php?article836
«Tourner dans le vide du texte, mots, les mêmes, en leitmotiv, suivant le rythme du souffle, ses saccades, ses essoufflements, ses syncopes, la vie qui se continue et ne cesse de se jouer. Comprendre pourquoi et comment une part du temps et de l’espace vécus se dérobe à la mémoire. Inquiétude de l’origine et de l’identité à la fois. La syntaxe souvent perturbée, déviée plus exactement de son cours normal, avec incises, mots-pivots qui réorientent l’écoulement de la phrase dans une autre direction, déplacement des adjectifs et des adverbes, suspens, une syntaxe qui donne le sentiment du tâtonnement dans l’obscurité. Faire entrer dans le poème tout ce que «veut la respiration se reprenant / ce qu’elle accroche / de vide au milieu.» à partir de «Mémoire du mat» d'Emmanuel Laugier.

Revenir,
sur mes pas,
sur mes pensées,
non plutôt retenir ce qui s’écoule,
ou s’effrite,
le garder là,
et tenter de remonter le fil,
en gardant lien,
sans que fuit cette idée,
dont ne sais d’où elle vient,
de quelle coulure de mots,
mots non, ou informulés,
pensées, ou visions,
comme reflet de lumière
qui surviendrait,
derrière moi,
sans être saisi, mais su là,
senti,
des flashs qui se seraient succédés,
peu probable,
image stupide,
revenir,
que chercher,
ne sais plus,
m’avait arrêté,
une quête,
pourquoi,
inutile, abandonner,
mais un remords,
mot qui ramène
à cela cherché, sans doute,
cette gêne,
une impression d’incongruité,
un regret,
une mauvaise réaction.