Nous étions un peu fatigués, pas à bout de forces, non, mais agréablement las, et puis nous avions légèrement faim, ou il était l'heure d'avoir faim. C'était là, jute à ce moment, la façade banalement aimable, la porte comme un trou, avec un rideau de perles, et la table, devant, avec sa nappe à carreau, entre deux chaises de jardin d'un vert clair, repeint. Tu as pris une chaise en me regardant, j'ai hoché la tête en m'asseyant. Tu en as fait autant. Tu as dit « bonjour », très fort, vers la porte. Nous avons attendu. Sur la table, sur cette nappe qui disait repas, il y avait ce pot de cyclamen blanc, si grand qu'il cachait ton buste, qu'il prenait toute la place. L'air vibrait, la calade devant, que nous venions de quitter, jouait de la couleur de chacun de ses cailloux dans le soleil, mais nous étions bien, dans l'ombre de la maison. Nous attendions toujours. Tout de même ce silence, et ce pot de fleur encombrant.... J'ai demandé « tu crois ? » Tu t'es levé. Le rideau de perles a cliqueté en retombant derrière toi. J'ai entendu ton pas, une petite toux, plus rien, puis de nouveau, au bout d'un moment, ton pas. La cascade du rideau de nouveau, et ton air un peu perplexe, souriant, très légèrement inquiet peut-être. Tu as dit qu'il n'y avait personne, trois tables, un grand comptoir de bar avec un évier derrière, et des bouteilles, mais dessous,et puis une porte fermée, peut-être vers une cuisine – en avançant, en face, une porte fenêtre sur un jardin, un fil et du linge, de la terre, un peu d'herbe courageuse et pelée, un citronnier, le mur d'une autre maison, mais personne. Et, en te renversant en arrière, des fenêtres mortes à l'étage. Tu as dit « je ne comprends pas – viens on s'en va ». Un peu plus loin nous avons trouvé des pans bagnats. J'ai mordu dans le mien. Je m'en suis « mis partout » comme toujours. La bouche pleine de délices. Et à la seconde bouchée, j'en ai eu assez, comme toujours encore. J'ai cherché une corbeille, ai renoncé, l'ai posé sur un muret de pierres avec un petit goût de culpabilité, et j'ai attendu que tu finisses le tien.
24 mars
journée végétative, pensée morte, ou presque. Ai envoyé lignes au convoi des glossolales http://leconvoidesglossolales.blogspot.com, d'où provient ce qui précède.
Je suis partie en début de soirée à l'opéra, pour entendre « le dialogue des carmélites » monté en coproduction avec l'Opéra Royal de Wallonie, pour Poulenc, pour l'oeuvre, pour finir de liquider mon exaspération d'adolescence devant Blanche de La Force et sa façon de si peu accepter sa faiblesse qu'elle la fait porter à la terre entière bien plus qu'en l'assumant (réaction de mes seize ans peu glorieux)
orchestre assez gonflé pour que les loges de droite (à gauche je ne le voyais pas) soient occupées par la batterie au niveau du parterre, par deux harpes à la hauteur du 1er balcon – et public relativement clairsemé (mes voisins étaient d'ailleurs assez heurtés par la musique (?) que j'ai cru que je ne les reverrai pas après l'entracte – le dernier acte les a enfin conquis alors que ce n'est pas ce que je préfère, mais ça nous a permis des au-revoirs souriants)
À mon humble avis une production très réussie. Une mise en scène sobre et une bonne direction des chanteurs. Des tons froids et de beaux éclairages. Un beau décor, qui se modulait avec des panneaux réduisant la scène, en camaïeu avec le dôme-grotte du fond
photos parmi une série relatant l'élaboration du décor d'Antoni Taulé http://www.antonitaule.com/decors/Dialogues-des-Carmelites/CML
une belle interprétation d'ensemble (spécialement aimé la voix et le jeu de Sylvie Brunet qui interprétait Madame de Croissy, la première prieure, Stéphanie d'Oustrac (mère Marie de l'Incarnation), Pauline Courtin (Constance) et passablement Sébastien Droy (le chevalier de la Force)).
Et puis j'aime cet opéra, la façon dont la musique colle aux sentiments des personnages plus qu'à ce qui est dit – ce flot continu, avec des heurts, des voix fusant comme des cris, les intermèdes dansant, presque désinvoltes etc...
Suis rentrée pour trouver un ordinateur rétif (mais il a repris vitesse de croisière)
12 commentaires:
j'aime beaucoup ce texte ... beaucoup. Pour une journée végétative Brigitte !
Nous l'avons échappé belle. Je n'ose imaginer cet ordi faire des siennes. Nous n'aurions pu apprécier ce plaisir échappé autour d'une table anonyme et nous n'aurions pu avoir accès par l'image et le mot à cet opéra de Poulenc. Nous l'avons vraiment échappé belle.
L'Opéra de Wallonie ? Un peu de Liège (seule ville du Royaume fêtant le 14 juillet) au pays d'Avignon...
délicate pose déjeuner, j'entends encore la cascade du rideau. Je vais voir, Non, définitivement, il n'y a personne.
c'est quand même accueil et bienveillance que cette ouverture sur du vide et du silence.
Une nappe à carreau rouge invite toujours à avoir faim et rend le repas bien meilleur que ce qu'il aurait été sans cet attribut !!! J'en suis convaincue !!!
à "carreaux rouges", il n'y en pas qu'un seul quand même !!!
tu sais l'orthographe et moi... le seul r faisait couleur locale
Deux chaises, une table, un pot de fleurs, le silence.
Le repos à la place du repas.
Que demander de plus ?
Curieuse cette harpe au balcon????
Pourquoi pas
J'envie, sans aigreur bien sûr, ta chance d'avoir à ta portée de semblables soirées culturelles. Immobilisée dans mon cher hameau berrichon par la santé et le peu de ressources, c'est un bonheur que tu me donnes et que je goûte sans modération. MERCI. Bises.
des pans bagnats ? il y a longtemps que j'avais entendu ce mot !
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