Place du Change un grand beau sapin a trouvé place, et malgré sa taille, les passants l'effleurent sans un regard – mais sur ma place, les petits tas de sièges, tables, parasols, attendent leur enlèvement, bien groupés, comme des îlots semés dans l'espace vide, dans l'espoir de l'arrivée éventuelle d'un arbre à notre échelle, qui doit cheminer tranquillement, fort du long temps qui nous sépare des fêtes.
C'était crâne brumeux et ciel glorieux.
C'était caresse du regard, envies freinées, devant les dizaines de chèvres, admirer les petits boutons roses, les micro-galettes rudes comme des cailloux clos sur saveurs, les pâtes à peine formées qui baignaient dans un peu de liquide, les rochers d'un gris poudreux, les palets frais de la région, les picodons de toutes maturités venus d'Ardèche, les fromages fermiers frais, ceux plongés dans une huile relevée, les banons dans leur feuille.... élire un pélardon ivoire tout tacheté de brun, niché dans une corbeille au milieu de ses frères sombres, y joindre un rectangle de brebis et un quart de maroilles.
C'était traverser l'allée, se contenter d'une bouteille de l'huile de Serge, puisque les bidons de 2 litres manquaient, et que point n'ai force suffisante pour plus, choisir un gros pavé de morue tout grumeleux de sel et un filet de belle épaisseur à la chair doucement jaune.
C'était trouver que les courgettes étaient trop minces, pauvres en chair, poser dans une corbeille de plastique vert deux chayottes pas trop tachées, trois grosses tomates bien sincères, les dernières, trois comices joufflues et, main tremblante de honte, une botte d'asperges totalement hors saison (fort bonnes au demeurant)
C'était passer en revue poissons nobles, poulpes, piste et coquillages, et se borner à un tout petit sar, deux très petits rougets, un maquereau et un filet de lieu pour l'effeuiller dans les gamelles de pâtes..
contempler les saint-pierres, d'un oeil aussi intelligent que le leur, pendant que le garçon vidait, écaillait, s'activait – et en sortant ajouter, à la limite du portable, provision de bintjes et huit cent grammes de noirmoutiers.
C'était avoir regardé la vitrine d'un chausseur, avoir senti son besoin d'un complément aux bottes, se recroqueviller à la vue de la neige qui voulait être tentante.
C'était, sur le chemin du retour, poser panier et sac dans l'espace d'un soldeur, tourner entre les piles de cartons pendant que des pieds tournaient autour de mes provisions, repartir avec ,aux pieds, des bottines à talon pour 30 euros.
C'était s'ahurir de leur laideur, c'était se résigner à sa sottise.
C'était s'être sentie parfaitement obtuse le matin, avoir pourvu à l'essentiel, ventre et pieds. C'était lire sans savoir ce que je lisais, c'était vaporiser un peu de Mozart et de Vivaldi sur son humeur bovine. C'était peut-être bien.
17 commentaires:
Belle opulence et grands libations. Je me croirais un jour de célébrations avant les fêtes chrétiennes. Un repas sans Vivaldi ou Mozart serait impensable.
si vous permettez une suggestion : plutôt qu'un Maroilles, tester des mêmes horizons un Gris de Lille (pour son ardeur), un Dauphin (pour son histoire) ou encore une Boulette d'A. aux herbes (pour sa pyramide) ou un Rolot (pour encourager le fermier-fromager)...
Délices de saveurs ............et réconfort de leur"laideur"en pensant bien galoper au temps incertains d'un hiver qui ne veut pas de nous
C'était plaisir de lire les descriptions de ces étals de marché, de sourire de ton humour et de ton "humeur bovine".
JEA la boulette d'Avesnes avec ferveur mais nous sommes à Avignon et chez un fromager qui promeut le régional (en y englobant le massif central) plus quelques bons reblochons ou coulommiers pour le classique
L'fromage de bique, ça pique ...
Bien, sans trop de doute, mais... elles sont fourrées!
J'aime lire vos courses, n'ayant pas de halle à portée de pas.
Sur le marché, vous êtes brave et gaillarde.
@ brigetoun
lisant que votre fromager se fendait pour un maroilles, j'espérais que sa générosité ne s'arrêterait pas là
sinon, au temps des vieux trains à petits compartiments, en plein été suffoquant ou en hiver quand le chauffage débloquait gravement, je montais à Paris avec du Vieux Lille pour un copain
mon compartiment ne manquait jamais de se vider vite fait bien fait
les fuyards me réservaient des regards aux nuances passionnantes à décrypter
vous me rappelez les samedi soirs dans le RER et avant le métro quand j'allais dîner chez mes parents à Bougival en amenant le poisson et le fromage (le XIème arrondissement de petite bourgeoisie est un arrondissement de très bonne chère contrairement aux banlieues chics) oui le Maroilles, mais le Livarot ou le Bruccio un peu fait, ou un Brie très mur ce n'est pas mal aussi, mêlé au gros bar ou rouget et aux fleurs que je posais dessous - j'étais dans une bulle vide
Et que dirais-tu d'un petit Chécy et d'un Olivet au foin à moins que tu ne le préfères cendré ?
@ brigetoun
hors concours, il y le Herve piquant (fromage belge entre Liège et les Fagnes)
là, c'est tout le wagon qui se vide
il y a comme un trop plein de tentations..mais ne dit-on pas qu'il en faut toujours trop pour qu'il y en est assez!
Tu veux de frotter au bonheur ? Fromage pur chèvre Ste Maure AOC avec un Chinon rouge Clos de l’Écho 2006
assez d'accord pour le Ste Maure (d'autres autant) mais pas de Chinon rouge pour moi ce serait du gachis
C'était pour moi le petit bonheur du jour que de vous lire Brigetoun :-)
Un régal, je souris en pensant au Saint-Pierre et à vos échanges de regards hihihi
Et le choix de fromages, une merveille de poésie fomagère hihihi
Bon week-end,
Flore
Le fromage est toujours poétique, même en photo.
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