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désolée, Paumée se veut à l'abri, sauf quand un acte fait déborder le vase, des allusions à la politique ambiante.. et si je suis reconnaissante aux envies de commenter je vous demande de me pardonner de rétablir la modération

mercredi, janvier 30, 2013

Wozzeck à Avignon


Suis restée dans l'antre, à part quelques pas vers la boite aux lettres, écoutant des ouvriers se disputer ou rire sur un toit voisin, et évitant de stagner devant la fenêtre de ma chambre pour ne pas prendre parti dans leurs débats, repassant un peu, nettoyant les faïences qui traînent, lisant, dormant, un peu fiu, écoutant un peu ce qui se disait à l'Assemblée, et puis j'ai pensé au soir.

Vous connaissez certainement l'histoire de ce pauvre jeune soldat nommé Woyzeck, de sa femme, du docteur, du capitaine et du tambour-major.
J'ai vu plusieurs versions de la pièce de Büchner, plus ou moins condensées, plus ou moins réussies, jamais indifférentes – grand souvenir d'une troupe d'Afrique du Sud dans les couloirs et une salle de la Cité universitaire, il y a long long temps, d'une cage il y a long long temps à Bobigny.
Woyzeck, devenu Wozzeck, est aussi le héros de l'opéra de Berg, que l'opéra avait mis à son programme – l'histoire est plus resserrée, Wozzeck est toujours soldat..

le temps a passé, notre Europe est en paix, mais notre paix est guerre économique, déshérence sociale, ce qui se marque, entre autres, sur nos murs, ceux d'Avignon – ci-dessus -, ceux du décor du spectacle mis en scène par Mireille Laroche. N'ai jamais assisté à cet opéra, si l'ai entendu et si j'aime – beaucoup – la musique de Berg. La lecture, des intentions de Mireille Laroche, dans un long et beau billet http://www.opera-avignon.fr/focus/wozzeck/ (que vous devriez lire, même si le constat n'est pas d'une originalité folle) m'avait séduite, avait accru mon attente, nourri ma vacance de cette fin d'après midi

(image illustrant les articles annonçant cette production)
Au lieu d’une caserne, un no man’s land d’une grande ville européenne d’aujourd’hui. Au cœur même de la cité. Ces violences que notre vigilance policière a cru pouvoir expulser vers les périphéries, ont fait retour au cœur même de nos capitales. Des «espaces invisibles» s’y sont créés, où se reconfigurent des hiérarchies violentes. Entre désespérance et sauvagerie, les seuls repères sont devenus les rapports de force et de faiblesse. Dans les interstices de nos démocraties fardées à grand renfort de médiatisation, s’insinue la nudité d’autres organisations sociales, qui ne reposent que sur l’aliénation du plus faible. Sous le costume de théâtre de la démocratie, grouille l’intolérable. Une rue, une impasse, une palissade derrière laquelle une friche attend la prochaine opération immobilière du quartier, enfin un échafaudage qui domine ce no mans’ land. Dans ces lieux que personne ne veut voir, on ne se fixe pas, on ne fait que passer, le décor lui-même passe devant nos yeux.
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Une seule image fixe la vie des gens : dominant la palissade, un énorme panneau publicitaire. Elle est l’instance de contrôle quasi totalitaire des désirs : elle les tire vers le haut, suscite l’imagination, le fantasme, l’espoir d’atteindre (de consommer ?) un jour, la beauté ; et puis vers le bas, elle écrase le désir sous sa domination, elle fait mordre la poussière aux pulsions jamais assouvies : dépendance

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Ici, c’est la musique de Berg qui sauve. Une énergie et une vitalité héritées du cabaret allemand, qui ont marqué l’écriture musicale jusqu’à nos jours. Vitalité qu’il faut exalter jusqu’au paroxysme, quelque part entre folie et féerie. Car « le monde est fou ! Le monde est beau ! » s’égosille Wozzeck. Une humanité rageuse adossée à une palissade : clameurs, rythmes, scansions, heurts sonores de cette musique inouïe de révolte, d’impuissance, de mélancolie et de compassion.

image Avignon
M'en suis donc allée, dans le début de nuit, en attente.

et petite crainte parce que cette musique, belle, sort de leur routine - mais, peut-être que mon jugement manque de lucidité et de pertinence, c'était une réussite.
Ai aimé le dispositif de Dorian Astor, une palissade, malléable selon les tableaux (et les bruits de manutention se mariaient discrètement à la musique) - tableaux séparés par le déploiement d'un grand rideau beige avec graffiti – bornant une rue,  un local comme une baraque de chantier ouverte sur une de ses faces, plus ou moins centrée, ou décentrée, ou absente, perchée sur un échafaudage, avec une échelle pour accès, local ou baraque qui est domaine du «capitaine», cabinet du docteur ou autre.. camionnette à gauche, à droite, ou absente, ouverte sur son intérieur, domaine de Marie et de l'enfant.. un espace que les palissades creusent parfois un peu pour être le lieu de réunion, de fête, ou par deux fois dessinent un rectangle occupé par une décharge.
Une coupure entre tableaux par ces passages du rideau, mais pas de coupure marquée entre les trois actes, une action menée en continuité et – oh joie – sans entracte

Un jeu qui est souvent, non pas bouffon, mais farce, en accord avec la véhémence, la violence de la musique, surtout quand c'est par opposition.
L'orchestre, réduit par nécessité mais très très présent grâce à la direction de Pierre Roulier et de la réorchestraction réduite par John Réa pour Lorraine Vallancourt et la Péniche-Opéra (co-productrice du spectacle avec les opéras de Limoges, Reims et Rouen-Haute-Normandie). Une très belle exécution (sincèrement)
Une distribution qui donnait l'impression d'une belle entente, et dont les voix s'harmonisaient fort bien. Des rôles bien pris en charge (joli jeu comique et ridicule sans exagération de Gilles Ragon (le capitaine)) – belle voix (à mon avis) de Philippe Do dans le rôle d'Andrès – une Marie un tout tout petit peu opulente mais très bonne (ne la connaissais que pour la musique baroque) Barbara Ducret et (je regrette finalement que les airs qui lui son confiés ne soient pas plus nombreux, mais c'est un opéra choral et le personnage est humble) un Wozzeck, Andreas Schneiber, dont j'aime le timbre et le chant.

Suis rentrée, dansant intérieurement, et saluant comme un signe d'arrivée dans l'antre, les dessous de l'hôtel cinq étoiles de ma rue.

J'ai trouvé, dans l'après-midi, une vidéo d'Andreas Sheibner dans une autre production de Wozzeck

11 commentaires:

Pierre R. Chantelois a dit…

Un opéra que je connais très peu, sinon que par des lectures. Vous y apportez un éclairage intéressant.

Anonyme a dit…

Partage l'amour de la musique de Berg.

Michel Benoit a dit…

Dans Woyzeck, Büchner meurt aussi.

JEA a dit…

Première photo : une raie de mer, un oiseau dans un courant d'air...

Anonyme a dit…

Façon très élégante et en même temps claire et généreuse de "raconter" vos journées toujours imprévisibles et denses de vie. On vous suit avec émotion, en respirant les vents, les odeurs, les couleurs tandis que vos mots réfléchis se glissent doucement dans notre écoute charmé.

Dominique Hasselmann a dit…

Et la magie de Berg opéra...

Brigetoun a dit…

c'est gentil - merci à vous

jeandler a dit…

La première photo est superbe : les amarres rompues, la toile, dans le vent, s'envole. Pas étonnant que rentrant sur la pointe des pieds, Paumée ait eu envie de danser...
Pour moi, c'est aussi une première approche de cette œuvre. Quelques bribes à la radio mais comme tout opéra, il faut vivre le spectacle dans une salle pour l'apprécier ou non.

arlette a dit…

Ne connais pas bien ... ou si peu
échos souvent défavorables
Merci effectivement pour ton ressenti

joye a dit…

Non, ne la connaissais pas. Comme souvent, c'est toi qui me l'apprends.
Merci !

Gérard Méry a dit…

Une fois n'est pas coutumes je connaissais le soldat Woyzeck