commentaires

désolée, Paumée se veut à l'abri, sauf quand un acte fait déborder le vase, des allusions à la politique ambiante.. et si je suis reconnaissante aux envies de commenter je vous demande de me pardonner de rétablir la modération

mardi, mai 05, 2020

Journal du C force 3 – 50 (avec tentative)

le bleu avait retrouvé sa violence, l'hôtel continuait à dormir dans son raffinement, ne trouvant plus de travaux à faire avant son éventuel réveil,
petite vieille s'en allant acheter poisson presque digne de faire oublier tout ce qu'il avait subi depuis sa sortie d'eau, rêvait de sardines grillées
la rue Joseph Vernet comme toujours sauf au cœur du festival, et encore, était tranquillement vide, comme les petites rues, animées de temps en temps par la musique venant de fenêtres maintenant grandes ouvertes
plus loin les passants avaient pris une petite insouciance anticipant sur la proximité de la libération en laquelle ils croyaient, la circulation dans les allées du super-marché était un jeu de cache-cache un peu plus ardu que ces derniers temps, et pendant que nous attendions sagement chacun derrière une ligne orange, une caissière pour éviter un détour nous a bousculé avec bonne volonté, bonne foi et candeur pour nous servir plus vite
petite vieille a ri derrière son masque ne pouvant faire autrement mais a promis à tous ces braves gens les flammes de l'enfer s'ils rendaient inutiles les précautions prises depuis deux mois et s'est offert des roses en se moquant d'elle-même, certaines qu'elles seraient au bord de leur évanouissement final, ce qui semble être faux.
Et petite vieille s'est décidé à écrire ce qui lui était venu à l'esprit, l'autre jour, en écoutant François Bon proposer un atelier à partir de W de Georges Perec https://youtu.be/7SA8UlFcDAI (me reste à y apporter des notes... tenterai demain, si me tiens parole)
Il s'appelait JB et il a sans doute, sûrement, été présent quelques fois comme un immense jeune corps à côté de moi, de moi et des trois gosses qui me suivaient, mais je ne me souviens pas de lui. J'ai le souvenir de deux photos. Sur l'une il est au centre d'une ligne ascendante tracée par trois enfants dans un jardin à Santiago du Chili, entre ses deux sœurs en robes blanches et fines ceintures de cuir, ceinture portée sous les bras de la petite, un peu boudeuse, à sa gauche, ceinture sur les hanches comme un rappel des robes des adultes de l'aînée, qui a déjà la grâce souriante de la future jeune femme. Sur la seconde il est en kaki, mince, visage un peu long comme tous les jeunes premiers de l'époque, assis sur une barrière en bordure d'un jardin allemand, pause finale sans doute, ou de peu, dans la trajectoire qu'avait été sa première guerre. Et si je ne l'ai pas connu, vraiment, j'ai pour lui depuis ma pré-adolescence la tendresse navrée de la seconde des sœurs, ma marraine, qui me parlait de lui avec une adoration désolée. J'ai aussi deux souvenirs ; l'un très flou, qui se situe avant ces après-midi chez elle, ma seconde mère, souvenir où il n'est qu'une absence qu'on nous annonce comme définitive, nous petit troupeau dans le jardin d'Alger, gardé par une jeune fille, une cousine, écoutant, contre le mur de la maison, notre mère qui pleure, et j'ai mis longtemps avant de savoir qu'en fait il n'était pas mort par une balle ou autre instrument de guerre, mais de maladie, contractée sur le fleuve, là bas, en Indochine. L'autre souvenir se situe plus tard dans ma vie, plus tôt dans la sienne, et c'est cette phrase dans les mémoires de mon grand-père que je lisais, presque en cachette, avant de m'endormir dans le lit installé pour moi dans son bureau parisien, hébergée le temps de faire ma philo pour une pause dans la guérilla mère-fille, cette phrase, au détour d'évocations des petites luttes opposant les différentes forces préparant à Alger, aux Pins Maritimes, le débarquement, qui note, avec la réserve neutre qui lui allait si bien, «mon fils J est arrivé d'Espagne hier». Il est revenu il y a quelques jours cheminer dans cette mémoire embrouillée, souvent endommagée, transformée par ma tendance à rêver nos vies, trace presque effacée maintenant que son jeune frère, le tard venu, est mort et je pose cette petite note en me gourmandant de ne pas en savoir davantage.

6 commentaires:

Dominique Hasselmann a dit…

J'ai écouté ce matin Stéphane LIssner sur France Inter : enfin un discours vigoureux sur la culture sous le règne de la Macronie : ça fait du bien à entendre ! :-)

Claudine a dit…

on entend craquer les poutres dans les bibliothèques jusque avant le déconfinement <3

Brigetoun a dit…

Dominique, merci l'écouterai en replay

Brigetoun a dit…

Claudine, vraiment ?

Unknown a dit…

Commentaire dédié à Bridgetoune seule :
Le tard venu, dit Tityves, dit aussi Papa, fut le premier informé de la disparition de J., puisque seul à Paris alors. Il ne s'est jamais épanché sur le sujet, mais ne l'a jamais occulté. Quelques phrases lâchées avec cette moue vaguement dégoûtée et si typiquement B., mélange de pudeur et d'autodérision. Il avait 17 ans à l'époque et s'est retrouvé investi de la perpétuation d'une vocation tombée à Percy. Qu'il n'a d'ailleurs jamais reniée, encore qu'il soit retourné par la suite à sa prédilection. S'il est vrai que les morts ne le sont pas tant que leur souvenir est présent dans la mémoire, alors J. vit toujours dans la mienne sans que je l'aie jamais connu.

Brigetoun a dit…

Merci ma belle, et merci pour la précision... le connaissais pas tellement non plus Y à ce moment, mes joyeux souvenirs de lui remontent à ma boudeuse adolescente qu'il réjouissait