Matin reprendre le chemin rue Carnot, marché des Carmes, halles, en ramener photos, sourires ironiques, achats inconsidérés majoritairement (de quoi grossir encore… c’est le but mais y arriver m’agace) dont ne retiendrai qu’un petit clafoutis de légumes (en avais deux… garde le second pour une consolation)
Nouveau départ le soir, munie de mon ordonnance parce qu’il me manque un médicament, et en quête de monnaie parce qu’une fois encore j’étais trop riche techniquement pour le billet de 20 euros désiré vers la place Jean le Vieux pour le rendez-vous rituel avec mon faux petit-fils.
Et ceci dit, entreprendre une cueillette dans l’Impossible n°2 d’avril 2013, recopiant outrageusement les notes qu’Eric Bouvet lui a confiées (1995)… je crois qu’il s’agit d’une guerre en Tchétchénie… on s’y perd.
Enfin le village, le convoi s’arrête à distance respectable et sont envoyés les cosaques comme éclaireurs-nettoyeurs. Presque tout le monde s’endort dans l’herbe, réchauffé enfin par le soleil revenu. Quelques coups de feu réveillent le major qui grogne d’envoyer quelques hommes en appui aux cosaques. Je somnole, impossible de décompresser. Trop de questions me viennent à l’esprit : à quoi bon faire ce métier ? Pourquoi prendre tant de risques ? Pour dénoncer les horreurs de ce monde ? Pour cette belle utopie qu’est le témoignage journalistique ? pour aller toujours un peu plus loin ? Repousser mes limites physiques et psychiques ? ou tout simplement pour l’ego ?
La vérité est peut-être un mixage de tous ces faits, et c’est dur de se l’avouer. Ma conscience me crache toute crue cette certitude d’aventures, de poussées d’adrénaline, d’épopées, de plaisirs, de folies mais aussi d’égoïsme. Je m’en veux de m’ouvrir les yeux. Que suis-je venu chercher ici ? Faire un bon coup ? Pauvre imbécile, cette profession n’a cure de toi comme d’autres. Se hisser dans les limbes mais cela te servira à quoi ? J’ai déjà gagné de nombreux prix et que cela m’a-t-il apporté ? N’as tu pas compris que nous ne sommes que des photographes « kleenex », tu devrais le savoir depuis le temps que tu te donnes pour ce travail, mais que faire ? Rien, juste continuer sur ce fil, mais attention de ne pas tomber, on ne peut pas vivre en permanence à deux cents à l’heure, un jour ou l’autre on loupe le virage de trop. Je me réveille transpirant et tremblant, un mauvais signe, moi qui ne fais jamais (ou presque) de cauchemar…
Les tripes nouées, j’attends l’explosion et l’irruption des flammes qui vont détruire à jamais mes papiers, mon argent, mon deuxième appareil photo et surtout les pellicules qui contiennent tout mon travail de ces derniers jours. J’attends, mais rien ne se passe. La poussière retombe.
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Une discussion avec le major met la situation au clair, il me dit : « Eric go home », je lui réponds « Eric want to go home ». Baissant la tête il acquiesce tristement, comme si j’allais lui manquer, je ne comprends pas ce que je peux leur apporter. J’ai honte de lâcher une telle histoire mais mon organisme et mon talon cassé ne sont plus trop aptes à continuer, les scènes photographiquement intéressantes se déroulent la plupart du temps la nuit donc impossibles techniquement à retransmettre, et pourtant combien de professionnels souhaiteraient être à ma place.
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Moscou, Georges l’ami qui m’accueille me fais téléphoner à ma femme, heureuse de savoir que tout va bien. Elle m’apprend que Claudia Schiffer, avec qui j’ai déjà travaillé, m’attend à Prague pour faire des photos. Je sais ce que représente financièrement ce genre de sujet. Je passe de l’enfer au paradis.
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Le passage de douane se fait avec quelques regards accusateurs, je perle à grosses gouttes, mais, presque à poil, ils ne trouvent rien à redire mis à part que je dois être drogué pour être dans un tel état. J’accepte n’importe quel rôle, mais surtout n’allez pas croire que je reviens de la Tchétchénie avec des photos sur les commandos russes…
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Roissy, enfin, ma femme enceinte de 8 mois et mon fils de 4 ans sont venus me chercher mais en me plantant devant eux, leur regard cherche ailleurs. Ils ne me reconnaissent pas. La hasard fait qu’il y a l’inauguration de mon exposition au Carrousel de Louvre sur le monde de la mode intitulée : « Fashion victime », ça ne s’invente pas. Ma femme a eu la bonne idée de m’apporter un change vestimentaire car j’ai horreur du genre « regardez-moi bien, je débarque direct de la guerre ». Si si, ça existe, certains reporters font ça très bien.
Ça marche très fort dans les salons… J’appelle ça du show, pour rester correct. Je me change dans le parking souterrain. Je ne suis pas dans mon assiette, le relâchement certainement…
Arrivé au milieu de tout ce monde merveilleux, je suis abasourdi par les « formidables, tes photos ! », « quand est-ce qu’on travaille ensemble ! », « Mais tu as l’air malade, mon pauvre faut te soigner ! », tout cela au milieu d’un brouhaha, de bouchons de champagne qui explosent, de ce monde si merveilleux. Je suis partagé entre vomir devant tout le monde, hurler « vous n’avez rien compris ! », voire tous les étrangler. Ma femme ne me laisse même pas réfléchir et m’emmène loin, de ces paillettes, de ces superficialités… Le lendemain matin, je suis dans les bureaux d’un grand hebdomadaire avec mes photos. Je suis forcément déçu du résultat comparé au vécu mais l’ambiance est quand même présente. Le directeur de la photo est en réunion et ne peut me recevoir. Son adjoint regarde mes planches. Il me dit : « Putain, on dirait le Viet-Nam ! ». Je lui rappelle que je suis très pressé et que je veux savoir si ils sont intéressés. Il va déranger son chef en réunion, ressort deux minutes plus tard pour me faire non de la tête.
(…)
Heureusement, un autre hebdomadaire m’offre une belle publication sur cinq pages ainsi que les Italiens de Serre, en gros ce fut tout. Le soir même je m’envole pour Prague faire quelques photos de Claudia qui a fait arrêter le tournage du film pour m’attendre !
Que les saints me pardonnent ce pillage éhonté, sans me faire remarquer (grande est leur indulgence) qu’ils ne sont en aucune façon concernés par cette affaire.
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