Zigzags d'une ancienne élève distraite - ou comment distiller l'ennui en s'amusant. Je suis tombée, au fil d'un billet de François Bon sur http://www.larevuedesressources.org/article.php3?id_article=209 à propos de Walter Benjamin, sur l'histoire d'un instituteur (chez Jean Paul que, bien sur, je n'ai pas lu) qui, trop fauché pour acheter des livres, écrit ce qui pourrait être derrière une liste de titres, et je me suis mise à rêver.
Je case ici cette photo parce que j'en ai envie : ce pourrait être l'entrée de ma très belle bibliothèque, et je constate que pour les livres techniques ou philosophiques me manquent science et langue, et pour romans et poésie me manque d'avoir vécu.
Il reste les livres sur les livres ; là aussi me manque la science ; j'en suis restée à une première classique rêveuse, si enthousiaste, il y a, je crois, 48 ans, et les mots de l'analyse littéraire sont pour moi objets de songerie. Je voudrais des livres qui m'évoquent un texte et m'en donnent envie, plutôt que de vraies études - et, paresseuse, je cherche des modèles.
Logiquement, je prends un recueil de Benjamin, pas le bon, celui que j'ai sous la main, et, contrairement à mon souvenir, n'y trouve aucun plaisir, n'étant pas d'humeur scolaire. Peut-être ceci, à propos de Proust : "Et ce travail de remémoration spontanée, où le souvenir est la trame et l'oubli la chaîne, plutôt qu'un nouveau travail de Pénélope, n'en est-il pas le contraire ? Car ici c'est le jour qui défait ce qu'a fait la nuit.." Oui, bien, mais je préfère lire Proust (ce que je fais rarement, à moins d'y plonger).
Une oeuvre vue plus intimement ? Primo Lévi, à propos de sa traduction du Procès : "Parce que c'est un très beau livre, mais qui vous transperce comme une lance, comme une flèche. Chacun de ses lecteurs à l'impression de passer en jugement. En outre, lire un livre ... sans s'arrêter est une chose, le labourer mot à mot, motte après motte, comme on fait en traduisant en est une autre." et j'ai envie de lire la suite..
Évocation décalée d'un auteur, qui laisse filtrer un climat, uniquement - Tabucchi à propos de Proust de nouveau : "Parfois, lui et Agostinelli arrivaient dans une petite ville déserte à la nuit tombée, la traversaient, s'arrêtaient sur la place, légèrement en pente pour que le faisceau des phares soit dirigé vers le haut. Éclaire le tympan, Agostinelli, disait Proust, puis il ouvrait Ruskin". Oui j'aime bien, y compris la légère invraisemblance, et la suite aussi, mais je ne suis pas sure que ce soit à cause de Proust.
Alors l'auteur sur lui même - Cervantès dans Don Quichotte : "Quel est ce livre qui est tout auprès ? - C'est la Galatée de Michel de Cervantès, répondit le barbier - Il y a bien des années, reprit le curé que ce Cervantès est de mes amis, et je sais qu'il est plus versé dans les infortunes que dans la poésie. Son livre ne manque pas d'heureuse invention : il propose et ne conclut rien".
Pour les courageux qui m'ont suivie, ce petit jeu, à la longue, m'a impatientée - j'ai renoncé à écrire les livres que je rêvais d'après ceux des autres - et j'ai passé la fin de l'après midi, dans l'air si lourd qu'il se muait en solide, avec un délicieux "à propos de" : Foe de Coetze, qui m'a menée, sérieusement et drôlement, jusqu'à :
"Vendredi apprend-il à écrire ? demanda Foe
- Il écrit à sa manière, dis-je. Il écrit la lettre o.
- C'est un début dit Foe. Demain, il faudra que vous lui enseigniez la lettre a". sur ce, je me suis endormie. A ceux qui auront avalé ce mauvais devoir, qu'ils aillent en paix et que la journée leur soit douce.