Le soleil s'était fait tendre - attiédi par la balance de l'été, il caressait les plantes et les murs.
En buvant son chocolat, Angélique-Marie s'interrogeait sur ce qu'elle pouvait demander à Vivien, et fixant le pot de miel d'un regard sans doute stupide, elle en arrivait à chercher la raison de ce besoin d'intervenir, de jouer un rôle dans la vie de son ancienne presque amie de couvent. Descente en soi qui lui a donné un léger vertige, qui n'entrait ni dans ses habitudes, ni dans ses possibilités.
Elle joue avec sa petite cuillère, regarde le jour qui entre par la fenêtre, le mur à droite, entre son petit jardin et la cour voisine, recouvert d'une plante assez mal entretenue, dont, dans sa tentative d'introspection, elle ne trouve plus le nom, froisse légèrement la nappe en la griffant à la recherche des miettes.
Et au moment où elle se risque à "qu'attendre de Vivien ? Pourquoi lui", et même peut-être où elle effleure une drôle de petite concrétion qu'elle ne veut pas connaître, qui serait peut-être le plaisir de tester l'éventuel pouvoir qu'elle peut encore avoir, je prends conscience, moi, qu'elle m'ennuie.
Depuis qu'elle est arrivée, le 23 juin, j'aime bien la joliesse que je lui suppose, sa sensualité simple, l'évidence de son goût pour la matière, et la gentillesse qu'elle vient de montrer. Pour avoir traversé ce mariage décidé par la bonne bourgeoisie et la noblesse montante des dernières années de l'ancien monde, et, avec son Jean-Gaston, vécu la révolution et l'empire, non seulement sans dommage, mais, puisque cela crée son cadre, en accroissant l'importance de la famille du Bernaux jusqu'à une certaine opulence, elle ne peut être sotte. Mais je ne la veux pas matérialiste, et je n'aimerais pas qu'elle se détermine uniquement par l'instinct et la ruse.
Je n'ai pas su faire deviner, sous son apparence et ce qui flotte dans sa conscience, les étages d'ébauches d'idées, de désirs, de motivations qui doivent bien l'animer comme tout être vivant. Il est vrai que son éducation, dans ce qu'elle a eu de limitée, son dressage, peut-être ce qui subsiste des miens, ne me facilitent pas la chose.
Et maintenant c'est par moi que me gagne l'ennui. Donc, Angélique-Marie se lève, secoue sa jupe, et fouille dans les tiroirs du vieux chiffonnier, vaguement. Mais elle s'arrête, un peu comme son chien dans les chasses qu'elle s'obstine à suivre, au grand dam des dames d'Avignon (petit jeu avec les mots auquel elle s'amuse), et puis elle prend sur le secrétaire la lettre qu'elle a reçue, il y a quelque jours, de sa fille Marie. Excellent prétexte à sa visite aux parents de son gendre.
Et abandonnant Angélique-Marie à sa bêtise et à la mienne, je m'en vais déjeuner à Grignan, en espérant que je serai moins cotonneuse que dimanche. et non finalement on verra demain, aujourd'hui je ne suis pas au mieux.
7 commentaires:
J'espère que tu vas aller mieux, Brigetoun.
Merci pour cette suite tout à fait délicieuse.
Meilleure santé et bonne journée à Grignan.
Des images affluent en te lisant et font remonter en moi des tranches de vie.
c'est une bigogne, non, que voit Angélique Marie ?
je te souhaite de sortir de tout ce coton en attendant ;-)
Pourvu que ce déjeuner te requinque et t'inspire une série d'épisodes suivants.
"La joliesse que je lui suppose"... Quelle charmante formule, toute de pleines et de déliés...!
j'ai bien aimé la suite Brig, mais ce qui m'importe c'est de savoir si tu vas mieux, je le souhaite ardemment...
Bon rétablissement (en retard), et puis vivement la suite !
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