les messages du répondeur téléphonique - sujet de la semaine pour http://coitus.impromptus.free.fr/dotclear/
Avant que je m'installe, la maison s'était déjà compromise et l'électricité était installée. J'y ai ajouté une chaîne pour entendre et parfois écouter des voix et de la musique. Et quand je peux m'en passer je vais m'asseoir au milieu du pré avec un livre ou sans, un carnet de croquis que j'ouvre ou non, un couteau et un bout de bois...
Et j'étais bien. Pas du tout un ermitage comme le prétendent mes enfants, juste ce qui m'est indispensable. Nous pouvions rester liées en pensée, et il y a les lettres, voyons...
Tout de même j'ai cédé après un déjeuner sous ma tonnelle. Caroline, son frère, leurs annexes, entre des moments de béatitude silencieuse, insistaient sur le besoin qu'ils avaient de savoir ce que je devenais, sur le plaisir que nous aurions à discuter, l'envie qu'auraient les petits enfants d'entendre ma voix. Je me suis imaginé un moment en grand-père sentencieux, mais j'ai fait une nouvelle concession, et j'ai fait installer le téléphone.
Quand les gentils techniciens ont amené leur câble jusqu'à mon vallon, je les ai appelés, mes enfants ; et je suis tombé sur des messages enregistrés, un peu agacé par la fausse fantaisie des mots et de la voix de la femme de Jacques, un peu refroidi par la correction lapidaire de Caroline. J'ai bafouillé, voix dans le vide. Echange ? Comment parler à l'absence autrement que par des signes sur une feuille, qui me laissent le temps d'organiser mes mots, de leur faire exprimer ce que je veux. Echange ? mais peu à peu l'habitude s'est installée de conversations très espacées, et j'ai appris à contempler un coin de ciel découpé par ma porte en les écoutant me dire ce qu'ils ne m'auraient pas confié autrement, ou à échanger rapidement des nouvelles qui étaient devenues importantes depuis que nous pouvions le faire. Et si un fâcheux arrivait jusqu'à moi je pouvais poser le récepteur et revenir de temps en temps pour une interjection.
Mais je vieilli, et un jour de faiblesse je me suis laissé aller à me plaindre auprès de ma fille de l'extrême rareté de ses appels. Je serais trop souvent absent - on se demande bien ce que je fais (marcher, rêver, vivre, aller au village acheter des cigarettes et boire avec d'autres vieux). Nouvelle concession - j'ai fait installer un répondeur. Coquettement, j'ai composé mon message : rester sobre, pas de fausse originalité, pas de sécheresse de bon ton (étonnant comme les gens se dévoilent avec ce truc). Je me suis amusé de ma voix, un peu précieuse et, à cause d'elle, je m'applique maintenant à utiliser des mots relachés.
Et depuis, chaque fois que j'entre dans la fraîche pénombre du salon, le voyant rouge m'appelle, me dit "zéro" - et je suis mortifié d'en être un peu triste. Je hais les répondeurs - pour les messages je ne sais pas, faute d'en avoir.
Et si j'ai été long, mettons cela sur le compte de mon grand âge.
9 commentaires:
si seulement les doux payasges pouvaient enfanter des êtres doux aussi
j'ai souri en lisant la plainte (en était-ce une ou une simple constatation ?) Rareté des appels ... pfff ! mais ces petits ont tant d'autres chats à fouetter ... oups, je m'égare !
Tellement vrai, tout ceci.
Certaines scenes on dirait, moi !.
si le mail fonctionne bien chez moi je dois dire que la messagerie reste une "grande inconnue" surtout si c'est celle de mon portabl, auquel je ne suis toujours pas faite...
Phrase type de nos jours pour abréger tout dialogue et contact immédiat......
" on se rappelle "...l'horreur !
Superbe description et le répondeur muet, forte symbolique !
Je suis une inconditionnelle de tes textes !
A bientôt
Au fait, Brigetoun , n'oublie pas de me faire le compte-rendu du voyage d'une heure en car d'aujourd'hui et de ce qui s'est passé à destination. Et puis Dijon en TGV c'est guère plus (2 H 40 depuis Avignon TGV : départ 12h40 arrivée Dijon 15 h 30 !)
Un bien beau texte sur ce qu'on pourrait communément appeler "dialogue de sourds"
Ton texte est très émouvant, comme ça, à petites touches, du bout de ta plume tu me fais réfléchir à la vieillesse, aux relations avec les enfants qui se distendent.
Mes parents sont encore jeunes (disons jeunes par rapport à mon âge) mes enfants aînés sont adultes et moi je suis entre les deux
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