Dans l'après-midi, la pluie jouait une musique endiablée sur les seaux, l"arrosoir et les dalles de la cour. Et le soir, je suis partie, sous une pluie battante entendre dans une salle à moitié vide (les avignonnais se méfient, semble-t-il des récitals comme de la musique de chambre) dame Félicity Lott et Graham Johnson; son gentil visage rond et son joli piano.
Elle, au début dans une fluide robe mauve plissé rebrodée d'argent, avec son allure et son visage pétri d'esprit.
Une première partie de lieds - Quatre de Malher sur des poèmes de Rückert : (aussi peu germaniste que l'on peut l'être, j'en reste aux traductions, et ce sera sans doute ennuyeux mais ça me sert de pense-bête) "je respirai un doux parfum" où j'ai eu l'impression que sa voix avait perdu de son assurance, mais ça n'a pas duré - "si tu aimes la beauté,/ alors ne m aime pas !/ Aime plutôt le soleil/ Qui porte une crinière dorée" spirituelle - "ne regarde pas mes chants" expressive, et toujours cette voix souple que j'aime - et "J'ai pris congé du monde;/ Le monde pour lequel j'ai perdu mon temps.." superbe, ardu, et une mélodie merveilleuse.
Elle a enchaîné avec Schumann, toujours sur Rückert, avec sa façon inimitable de chanter merveilleusement, en donnant l'impression d'être une dame intelligente, facétieuse quand elle le veut, qui vous reçoit dans son salon. "Dédicace" et "des roses orientales" romances plus simples que chez Malher, même dans les emportements : "de la douloureuse tourmente qui fait rage en mon coeur/ je t'envoie le souffle..." - "Chanson d'amour" où la dame avait laissé la place (malgré l'âge) à une jeune fille - et "Philine" scherzo bon-enfant qui lui allait moins bien.
Puis Wolf sur Goethe : "printemps pérenne - ... pleines de suffisance, les primevères font les fières" simple et beau - "le tombeau d'Anacréon - .. du printemps, de l'été et de l'automne/ jouissait l'heureux poète.." profond, sans lourdeur - "Mignon III" fil du chant simple et tendre - "Connais tu le pays ?" somptueux - de belles et importantes interventions du piano, joué autant que chanté.
Après l'entracte une robe prune pas très seyante et une grande écharpe rose à volant que je n'aimais pas du tout, le tout très salon parisien décadent 1900 pour des poème de Baudelaire mis en musique par Henri Duparc "l'invitation au voyage" belle technique, belle sensibilité mais je n'ai jamais aimé cette mélodie qui me fait toujours penser à "défense de déposer des notes sur mes vers" - "je n'ai pas oublié" de Pierre Capdevielle que pour une raison ou une autre, malgré ce qui précède, j'aime ; simplicité apparente de la ligne musicale - "le chat" d'Henri Sauguet où l'on retrouvait l'actrice, et toujours sa diction formidable - "le jet d'eau" de Debussy, que j'ai beaucoup aimé, les vagues du plaisir, assez merveilleux et puis "la vie antérieure" de Duparc à nouveau, mais que j'aime, peut être parce que le poème est (à peine) moins célèbre et puis pour la belle montée vers "..les tous puissants accords de leur riche musique/ aux couleurs du couchant.."
Elle a changé d'écharpe pour des chansons de Noël Coward, gaies, jolies, spirituelles, qui lui vont aussi bien qu'à Yvonne Printemps pour laquelle elles ont été écrites "I"ll fellow my secret heart" et "leçon d'anglais" avec la Félicity Lott pitre à très belle voix, ne reculant devant aucune grimace, son élégance lui permettant tout.
Pour les suivantes, mon très très faible goût pour l'esprit de Sacha Guitry me gênait (l"air de la lettre" de Reynaldo Hahn et "la valse des adieux" d'Oscar Strauss qu'elle arrive à sauver de la fadeur) sauf bien sur pour "j'ai deux amants" de Messager qui lui permet de pétarader, toujours harmonieusement.
En bis, pour mon plus grand plaisir, nous avons eu "Dis mois Vénus..." qui est un de ses chevaux de bataille depuis la Belle Hélène montée par Minkovski (merveilleux souvenir) et où elle est éblouissante, puis avec le même abattage "je suis grise..." et après plusieurs rappels, pour la route, une chanson de Coward sur l'infidélité féminine, qui lui allait à merveille.
Désolée, mais ça m'a permis de fixer le souvenir d'une soirée délicieuse.
8 commentaires:
J'aime beaucoup l'expression "pétarader... harmonieusement". Le choc des mots,la force du verbe. Pas mal et pas surprenant sous votre plume !
Bonne nuit! Il se fait tard...
Ma chère Brig,
me voilà dans un monde musical que je ne connais guère. Ca viendra.
Au moins grâce à toi, j'apprends !
Bises,
OLIVIER
Chère Amie,
merci de ton soutien, et crois moi ce cher Fraise n'en a pas fini avec moi !
Je constate que tu as des moments de tristesse et des soirées délicieuses, comme tout le monde en fait.
j'imagine bien à la teneur de tes commentaires qui sont loin de nous ennuyer...juste à nous donner des regrets de ne pas t'avoir accompagnée
bonne journée Brig
Je ne connais rien à la musique mais ta description me fait prendre part à ton plaisir lors de cette soirée. Bienvenue à la Charlotte de la famille. Bonne fin de journée à toi.
Felicity Lott ? Bon sang, quelle chance vous avez, vous, chez les papes...
J'avoue ma jalousie. Comme Tanette, je souhaite la bienvenue, pour "la Charlotte", dans la famille.
Brigetoun, ton petit mot interrogatif me touche,on disparaît si vite quand cela vacille autour de soi , toi qui te bats , tu le sais , malgré tout ce qui emplit ton univers sensible et culturel . Contente pour toi de tout ce bain musical .
mes petits soucis ne sont rien que de très banal, c'est le potentiel vital qui s'épuise à la moindre occasion..
amicalement.
micheline
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