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désolée, Paumée se veut à l'abri, sauf quand un acte fait déborder le vase, des allusions à la politique ambiante.. et si je suis reconnaissante aux envies de commenter je vous demande de me pardonner de rétablir la modération

vendredi, avril 25, 2008

Alors que le repas était fini, pendant que Marie préparait le café, le papé trop vert et autoritaire s’attardait à table pour expliquer le monde à Pierrot et veiller à ce qu’il termine un dessert non désiré. Et les autres se pressaient contre les vitres arquées sur la cour d’entrée, interrogeant le temps, le ciel, sans voir cette jambe irréelle qui les foulait, sans voir, par delà le mur, Jacques qui s’était évadé, solitaire, et lentement, pour laisser son corps emprisonner la fraicheur et la nier, s’avançait dans l’eau, là bas, passé le jardin, le portail, la route - sans voir non plus les corps sombres et leur charge qui avançaient, pour une raison inconnue, sur cette route, dans la beauté de leurs méplats profonds de bronze.
Et Brigetoun, qui les regardait, entre ce pas qui les ignorait et l’histoire qu’elle leur prêtait, pour continuer l’éloge à Césaire devenu passage obligé (notre président tenu d’être muet lors de l’enterrement de celui qui lui avait prêté sa porte avec réserve), s’est tournée un peu de coté vers un qui lui fut voisin et de peu ainé, Jacques Roumain, le haïtien :

«Tu te souviens de chaque mot le poids des pierres d’Egypte
et l’élan de ta misère a dressé les colonnes des temples
comme un sanglot de sève la tige des roseaux
….
et quand nous arrivâmes à la côte
Mandingues Bambara Ibo
quand nous arrivâmes à la côte
Bambara Ibo
Il ne restait de nous
Bambara Ibo
qu’une poignée de grains épars….. »

et feuilletant des livres (est-ce pour cela ou à cause de l’âge que la journée a si vite coulé ?) le jeune togolais Gustave Akapo, et sa jolie insolence
« un jour ça va te pourrir à la gueule, profiter de la détresse des autres, et tu les encourages, tous ces jeunes qui se saignent pour priver le pays de leurs bras valides ! – je n’ai jamais jeté quelqu’un sur la route, moi : des exilés politiques, économiques et consorts je n’en ai jamais fabriqué ; je n’ai pas d’industrie qui presse les entrailles de la terre d’ici, sans que le petit peuple n’en voit les fruits !... Mon boulot – si c’est un boulot – est de faire passer ; pas comprendre ; moi je pense comme toi, on n’est jamais mieux que chez soi – il n’y a qu’à voir Pinochet, il a retrouvé la santé dès qu’il est retourné chez lui – mais qu’est ce qu’on y peut, il y a des gens comme ça qui naissent avec dans la tête une voix qui mange tout à l’intérieur….

Tu vois les gens d’ici, moi j’essaie quand même de les comprendre – ce n’est pas normal qu’ils n’aient droit qu’aux images. Je ne sais plus quel rigolo a dit que Dieu, un jour, a partagé en deux : « Les riches auront de la nourriture, les pauvres auront de l’appétit. » Et les pauvres forcément, l’appétit les dévore – c’est un maître exigeant tu sais l’appétit… Tu vois, je dois faire passer les pauvres aux riches… »
Mais vraiment ce fils le passeur, je lui ai tourné le dos, et plus tard ai trouvé, remontant le temps, mon ainé de peu Mbaye Gana Kébé du Sénégal, de l’armée et surtout du théâtre.

« Rassemblée la race !
Rebâtie la stèle !
Versé le lait aigre sur la proue de la pirogue orgueilleuse !
Splendide, l’ébène charrie, comme veine de palmier d’hivernage
La beauté des formes, la magnificence des gestes !
…. Sandang sandang !
Danses cadencées et chants des champions
Au clair de lune de savane…. «

9 commentaires:

Anonyme a dit…

Tu as l'air d'aller mieux, brige, j'en suis contente. De te relire aussi, tes textes sont toujours un défi pour moi. Cela me fait du bien.

micheline a dit…

ça ne nous a pas coupé l'appétit.. un peu quand même .. tous ces mots et ce bouquet de mots qui valent tant d'images ..
"je vous ai compris , j'ai compris que vous ne m'aviez pas bien compris .. alors faut répéter ..
"les chaussettes de l'archiduchesse .....

et merci pour le combat d'autres mots que tu déniches pour nous...
bonne journée .

Muse a dit…

Fini le grand bleu, voici l'heure de la savane où tu nous entraînes allègrement...et je me laisse prendre aux mots de cette Afrique, à ceux de cet Akapo si vrais! Cela me rappelle quelques Bonis du fleuve Litany qui, regardant un des leurs devenu député, lui disaient en lui tapant sur son ventre: "tu as grossi, tu sais, depuis que tu es à Cayenne!"

Brigetoun a dit…

épatant Muse !
le rire qui permet la survie
bon je vaque un peu et m'en viens vous lire

Anonyme a dit…

Les façades t'attirent...mais aussi les vitrines à bibelots !

Anonyme a dit…

J'adore ce billet. J'aime le "sans voir cette jambe irréelle qui les foulait" et j'aime aussi "il y a des gens comme ça qui naissent avec dans la tête une voix qui mange tout à l’intérieur…". Je n'étais pas venue depuis trop longtemps, j'avais sans doute oublié le plaisir si particulier de lire Brigetoun et les extraits uniques qu'elle propose !
Merci !

OLIVIER a dit…

Ma chère Amie,
ta richesse est grande ! merci pour ces découvertes !
Donne moi un conseil, si je dois lire Aimé Césaire, quel livre ?
Ah ! éclaire ma lanterne sur ta référence à Platon chez moi, merci.
Et affectueusement, merci pour "joli Olivier".
Beau week-end !

Anonyme a dit…

Billet sublime, bien entendu, qui vois réapparaitre des personnages aimés...

Sur Césaire, le plus bel hommage public qui lui ait été rendu, je l'attribue aux mots de Christiane Taubira, qui l'aimait tant :

"Nous avons le cœur lourd du chagrin d’orphelins courageux. Mais c’est l’âme apaisée que nous vous disons :

Envolez-vous, Aimé Césaire. Lorsque vous étiez parmi nous, déjà votre esprit avait des semelles de vent.

Envolez-vous, Aimé Césaire. Ainsi, à garder l’œil sur vous, nous garderons tête haute.

Aimé Césaire, Paix, Amour, Honneur, Respect"

Anonyme a dit…

Oui, une belle et fière insolence chez Akapo.