commentaires

désolée, Paumée se veut à l'abri, sauf quand un acte fait déborder le vase, des allusions à la politique ambiante.. et si je suis reconnaissante aux envies de commenter je vous demande de me pardonner de rétablir la modération

samedi, mars 14, 2009

très, trop, long, au fil de mes "mieux" du jour, dans le remachage d'une lecture éblouie, et son détournement-assimilation.
Dans la profondeur de la nuit, avant le coeur d‘icelle, dans un apaisement de ma carcasse, entrée, comme autrefois j'aurais marché sur une petite route qui se glisse, entre prés, le long de coteaux, en descendant roide sur un ruisseau, et je la quitterais pour le suivre, en me tordant un peu les chevilles à la lisière de l'herbe coupée ras et de la rive arrondie, je suis entrée dans "un peu de bleu dans le paysage" de Pierre Bergounioux, bouche un peu ouverte, mes chers murs dégringolant silencieusement autour de moi
"Au nord, on butait aussitôt sur l'âpre escarpement du Limousin, la vieille échine bossuée, granitique au pelage d'ajoncs, de fougères, de genêts. Il fallait peiner beaucoup pour gravir l'épaulement méridional, franchir de fortes rampes avant de s'enfoncer dans le sud où nous avions notre penchant, avec les esplanades calcaires et l'accent chantonnant, la sécheresse et la chaleur, le tabac, la tuile ronde et la vigne, le maïs, l'éclair riant du midi."
et me suis enfoncée dans ce recueil de textes, réunis et liés par cette terre - que j'aime (le Limousin et Brive) et dont je n'ai aucune photo (alors je remplace au hasard), où je me voyais attendre la fin, qui a été remplacée par les pierres et le ciel dur d'Avignon, en correspondance, amour, avec une autre région de mon moi - réunis par cette terre au moment où, dans les années soixante (virage qui s'est fait dans nos vies aussi, citadins déjà "entrés dans la vie" comme il le dirait) elle a quitté l'immémorial pour entrer dans le monde moderne

Et bien sûr, c'était plus radical,là; que dans les grandes villes - ou les moyennes de plus de prétention, quand nous nous tenions devant une porte fenêtre, au Mourillon, ouverte sur la rade de Toulon, avec le soleil qui se posait sur les tomettes et le bruit du changement de vitesses des voitures qui basculaient dans la raide descente vers le Littoral - là :
"dans la vieille, la pluvieuse Corrèze au milieu de ce siècle, c'est-à-dire quelque part entre l'an mil et l'entre-deux-guerres où le temps s'est arrêté, à supposer qu'il ait jamais passé sur ces froides, ces trop vertes solitudes. Quelque chose finissait quand on a commencé.... Des gestes, des mots, des allures que j'ai regardés comme l'évidence même ont disparu.."
Vérité pour les campagnes âpres (que j'ai découvertes, enfin un peu plus au nord, dans les "montagnes" du Limousin, en y trouvant la vie moi qui venait de mon monde de calcaire brûlé et du nid ouvert, mais clos de barrières invisibles, de la "marine", qui laissait entrer une culture choisie mais se protégeait dans l'entre soi, auquel j'appartenais, auquel j'étais irrémédiablement étrangère)

Vérité pour lui, mon cadet de quelques années, mais juste un peu plus profonde que pour nous, et la proximité devient totale quand il parle du monde des femmes, du monde domestique, qui fait de nous des étrangers, pour une part, à celui dans lequel nous évoluons facilement, comme notre, mais avec toujours cette richesse que nous donne le fait d'avoir vécu les temps arrêtés de notre enfance.
"C'était l'extrême fin de l'âge millénaire dont la pénurie fut le maître mot... L'équipement grossier, pesant; sommaire des foyers reproduit, en abîme, le tableau de l'industrie archaïque héritée du siècle passé. Aux locomotives à vapeur qui parcourent la campagne.." (mais pas seulement et, longtemps, pour moi, l'idée de voyage, à part une traversée de la méditerranée dans un avion qui semblerait un monstre préhistorique aujourd'hui, a évoqué l'odeur froide et un peu sale des gares noircies) "répondent dans la sphère privée, les inamovibles cuisinières de fonte et leur compère, le seau tronconique à charbon qu'on remplit trois ou quatre fois par jour à la cave" (et le poids se communique au long du bras jusqu'aux épaules que je sens se détacher) "la lessiveuse en tôle étamée que les mères hissent d'ahan sur la plaque brûlante.." (mais les femmes charmantes, comme ma mère, qui prennent le temps de veiller sur l'esprit naissant de leurs enfants, de lire et de parler de leurs lectures devant le thé fumant sur une table basse à côté d'un bouquet de roses épanouies, au bord de l'effeuillement, en fin d'après midi, avec des amis habitués, doivent pour cela donner le linge à un blanchisseur qui passe régulièrement et employer une bonne qui règne sur tout le côté matériel de la vie de la famille, et la discipline des enfants) ...et il évoque les longues courses "tous les jours, en l'absence de réfrigérateurs, de grandes surfaces de voitures. Les dimanches de juillet, vers onze heures, dans la rue incandescente, désertée, passe le fourgon isotherme, d'un bleu polaire, de la glacière municipale. L'ouvrier, ganté de caoutchouc, extrait de la caisse aux parois épaisses, de grand pains translucides, glauques. D'un seul coup de son crochet d'acier, il les brise à l'exacte dimension du bac de la glacière..." et, comme j'ai quelques années de plus, le fourgon municipal était remplacé par une carriole dont l'arrivée était annoncée par un coup de trompe glorieux, et les pains de glace, posés sur les planches, étaient protégés par des serpillières mouillées (pour l'eau nous avions à Alger cette merveille disparue, la gargoulette). Et le même grand bonhomme, célébrité locale dont j'ai oublié le nom, passait le matin avec d'énormes bidons de lait dans lequel il puisait à la louche pour remplir notre petit récipient métallique qui dansait sous son anse, et j'entends le choc du métal, et me souviens de l'arrivée des premiers récipients en plastique, un peu plus tard.

Et voilà que je constate que j'ai phagocyté le livre et que je n’ai plus place ni temps pour ce qui m'avait poussée à en parler, la façon de dire le paysage qui le rend présent, et ces figures, les êtres attachés à la terre, à la boue, à la vie difficile, à l'économie de mots et de pensée, et puis ces deux "types" merveilleux, et pas si opposés.
La "mince aristocratie paysanne" : "Des hommes qui abattaient les hêtres et les épicéas avec des coins de fer, des hans furieux, des emportements qui regagnaient la maison avec des feuilles et des brindilles, de la terre, des fougères accrochées à leurs vêtements, de la buée, pareils au monde qu'ils avaient affronté, aux créatures intermédiaires qui hantent le sous-bois, gnomes industrieux, infatigables azgipans, loups-garous, ogres, ces mêmes hommes; on les décoivrait l'instant d'après parés des atours sobres, un peu sombres, qu'affectionnaient les bourgeoisies provinciales, cérémonieux, parfumés, diserts, d'une éloquence désuète et fleurie, délicieusement, qui avait péri sous la guillotine à Paris, en l'an II, et tout naturellement; à y réfléchir, trouvé refuge sur ces marches où le passé n'était pas mort..." et puis "le vous qu'on donnait aux enfants.... surtout les demoiselles, la lumière, sur elles, que cela faisait". Et je crois en avoir rencontré un, ami de mon père, transporté par mariage dans ce monde fabuleux et familier qu'était une propriété (et la ferme et les terres et vignes attenantes) qui dominait des plages où nous étions seuls à part parfois des plaisanciers intimidés ou toisés s‘ils étaient encombrants, chateau où nous nous rendions après le bain, en visites protocolaires, enfilant pour cela une robe sur nos maillots.
Et cet autre personnage qui existe dans tous les terroirs, celui qui fait l'objet du dernier texte, "un peu de bleu dans le paysage", assez important pour avoir donné son titre à l'ensemble - le vieux célibataire dans une maison de deux pièces, sur un lopin trop petit, et ces pages qui sont nettes, belles, émouvantes, seront à découvrir pour qui se procurera ce livre d'une centaine de pages paru en 2001 chez Verdier.

En attendant, sur le site d'ARTE, pendant le salon du livre, on peut trouver en libre lecture, chaque jour, un texte publié chez publie.net. Vendredi c'était Éric Chevillard, samedi je ne sais pas... à voir.
et je me demande bien ce qui - diable - arrive à mes photos !

5 commentaires:

micheline a dit…

mieux??...
replongée dans le temps et dans l'espace...tout habité de connivences littéraires
M'en vais essayer, encore aujourd'hui, d'aller rejoindre rue d'Ulm... le vivace aujourd'hui qui me fuit.

Anonyme a dit…

Nouis avons tous un "terroir" personnel,devenu territoire des ombres et qui surgit ainsi en prégnances flagrantes.
Très belle, Brigitte, ta note de ce jour.
Connais-tu, de l'américain Eugène Weber, "La fin des terroirs" ?

Anonyme a dit…

Tu phagocytes le matin ..ben c'est du propre !

Brigetoun a dit…

Pierre mon ignorance est insondable

OLIVIER a dit…

Chère Brig, quel beau texte ! quel plaisir de te lire avec tes lectures partagées. Tu as voyagé dans des villes de rugby, Brive et Toulon, avec des cultures bien différentes.
Je te souhaite un beau week-end !
Olivier