« - Comme si l’on prenait peur tout à coup d’être comme on est, d’être comme on est au lieu d’être autrement, au lieu même d’être autre chose, peut-être ?
- Oui, d’être à la fois comme tous les autres, tous les autres et d’être en même temps comme on est. Oui, c’est cela même, je crois, d’être de cette espèce-là plutôt que de n’importe quelle autre, de celle-là précisément….
- Si compliquée, oui, Monsieur, je comprends.- Parce que de l’autre peur, Mademoiselle, celle de mourir sans que personne ne s’en aperçoive, je trouve qu’elle peut devenir à la longue une raison de se réjouir de son sort. Lorsqu’on sait que sa mort ne fera souffrir personne, pas même un petit chien, je trouve qu’elle s’allège de beaucoup de son poids. »
Je suis passée, je l’avoue, passablement à coté de Marguerite Duras, de la lecture simple de ses livres tout au moins, à cause au début de mon instinctif, et assez stupide, recul devant toute célébration un peu trop unanime, tout trop grand succès. J’ai admiré le personnage, lui ai trouvé intelligence et charme, ai été agacée par des articles où je voyais un certain dandysme (j’ai toujours tendance à soupçonner ce trait chez autrui, n’en ayant pas été exempte en mon jeune temps) et me suis demandée si le goût que j’avais pour certains textes ou dialogues qui m’arrivaient par la radio ou le cinéma ne tenait pas surtout en l’intelligence et la voix des acteurs, ou la sienne (avec les dernières années la culpabilité qui me venait en entendant ses difficultés).
Toutes sortes de mauvaises raisons. Et puis, après « moderato cantabile », « India song », « Vera Baxter », « le ravissement de Lol V.Stein » (je me rends compte que la liste pourrait être longue finalement) il y a eu « la douleur », découvert avec retard, d’où ce charme était absent, remplacé par un ton direct, et le courage des deux récits qui y étaient joints, et cela m'a renvoyée à la lecture. Comme par exemple celle de "le square », peut être mineur, l’autre nuit, qui m’a touchée, que j’ai lu d’une traite, pour ce qui est dit, pour la construction aussi, la légère distance venant de ce traitement de la parole, travaillée, légèrement détournée, improbable et d’autant plus vraie.
« - Ah ! Monsieur, vous avez raison, nous sommes les derniers des derniers.
- Mais je ne veux pas dire, à mon tour, que je suis malheureux ou triste quand je dis que parfois j’éprouve un besoin de parler si vif que je m’adresse à des enfants. Non, ce n’est pas ça puisque j’ai quand même un peu choisi la vie que j’ai là, ou alors il faudrait que je sois fou pour avoir choisi mon malheur.
- Je n’ai pas voulu dire cela et, à mon tour, je m’excuse. Non, cela m’est sorti de la bouche à la vue de ce beau temps seulement. Vous devez me comprendre et ne pas vous en formaliser. Le beau temps, parfois, me fait douter de tout mais cela ne dure que quelques secondes. Je m’excuse, Monsieur…. »
- Mais je ne veux pas dire, à mon tour, que je suis malheureux ou triste quand je dis que parfois j’éprouve un besoin de parler si vif que je m’adresse à des enfants. Non, ce n’est pas ça puisque j’ai quand même un peu choisi la vie que j’ai là, ou alors il faudrait que je sois fou pour avoir choisi mon malheur.
- Je n’ai pas voulu dire cela et, à mon tour, je m’excuse. Non, cela m’est sorti de la bouche à la vue de ce beau temps seulement. Vous devez me comprendre et ne pas vous en formaliser. Le beau temps, parfois, me fait douter de tout mais cela ne dure que quelques secondes. Je m’excuse, Monsieur…. »
11 commentaires:
Il est difficile d'apprécier Duras pour son innovation principale - d'être FEMME célèbre parmi des auteurs francophones. Maintenant, ce genre d'oiseau est moins rare.
(oui, bon, c'est mon opinion de cuistot littéraire, tu me pardonneras bien, j'espère, miss Brige)
Des livres tels des oliviers... Ils prennent le temps de vous laisser découvrir leur ombre.
J'ai une préférence très marquée pour Moderato cantabile... dont je n'ose avouer (mais oui, il faut bien) qu'il me fait beaucoup penser à certains Simenon... M'étonne que personne ne parle jamais de cette proximité de l'écriture...
ouille !dois je avouer que j'ai un blocage anti Simenon, me venant sans doute plutôt d'une antipathie pour le bonhomme qui fait que je n'ai quasiment rien lu de lui
superbe cette idée de mort "anonyme" plus légère pour celui qui part...
Parfois, je m'arrange pour décrocher le pompon et hop ! je peux revenir vous lire à l'oeil.
J'aime votre travail, chère Brigitte.
Duras ... le personnage et ses livres. Ecriture, écriture...
Les oiseaux sont des sages: ils se cachent pour mourir. Pas les fleurs. J'aimerais être oiseau.
J'apprends et j'apprécie !!!!
Merci Brig !
Je sors le nez de ma cuisine entre un départ de nos invités et avant l'arrivée des prochains...pour te trouver toujours fidèle au poste, te faire un petit coucou et te souhaiter une bonne journée.
Le square fait vivre
Il y a beaucoup de Duras que j'ai aimé à commencer par le barrage. Sa production est si importante que je dois avouer ne pas avoir tout lu. Un cependant peu connu que j'aime beaucoup "la vie matérielle". Maintenant que je suis un peu (re)posée, je reviens lire ceux et celles qui me réjouissent
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