Les blasés de la neige, excusez les médiocres photos qui se succèdent - j'ai rarement vu la neige (ou plutôt la boue à Paris, et je téléphonais à mes concierges pour vérifier qu'elles avaient assez de sable pour éviter une amende), une fois enfant à Toulon, une fois, joliment mais brièvement, à Avignon et en principe je m'en passe fort bien. J'ai passé, longues années il y a, quelques jours dans une station de sports d'hiver, regardé les gens faire la queue pour descendre tous les mêmes pentes, sur des trucs que je ne savais pas manier, frissonné d'ennui, et loué des raquettes pour errer un peu en attendant de pouvoir repartir et oublier, ce que j'ai fait.
Mais la chute a duré toute la matinée, le travestissement de mon petit monde me fascinait, et le plongeon répété de mon olivier girafon, son ensevelissement, avant que je patauge pour le redresser et le déplacer, mes inquiétudes sur sa survie et celle du buis et autres plantes qui elles sont restées traces, gonflements de la masse blanche, m'ont occupé toute la matinée – comme mon irrésolution devant le repassage, dédaigné au nom de la modération recommandée dans la consommation électrique et des petits assoupissements migraineux, l'après midi.
Je n'ai fait que quelques pas dans ma rue, et elle était belle - j'ai imaginé la neige sur la ville, et repris les quelques pages du testament de Christophe Manon, qui venait d'être publié chez Publie.net http://www.publie.net/tnc/spip.php?article297 , lues à demi jeudi en fin d'après midi, avant de passer ma soirée à enregistrer et mettre en forme le grand testament de Villon (le joli petit livre de mon adolescence ne m'a pas suivie à Avignon, il était en trop mauvais état n'ayant pas apprécié que je le noie), en agitant férocement mes orteils dans mes petits bottillons pour tenter de les réchauffer.
Dans la présentation il est dit : «Il nous offre là son "testament" plus "L’épitaphe de Manon ou ballade des poivrots", qui est traduction et très libre, très large adaptation du Testament de François Villon. », et je l'ai relu en comparant les passages dont il est parti dans Villon,
l'évolution des langues vertes retravaillées et des façons d'être, un peu, en marge du gros de la société, en admirant la plongée, le travail que cela représente, le respect des formes fixes des ballades, lais ou rondeaux – avec tout de même moins de désinvolture que n'en avait le François dans la découpe des vers, cette façon d' »aller à la ligne » qui fait paraître extrêmement sages les audaces inaugurées par Hugo. (et Fred Griot dans sa présentation sur le site de Publie-net en parle fort bien)
« mais s’ils ont été durs et cruels
qu’ils soient châtrés ou pendus par les couilles
il faut savoir pardonner à ses ennemis »
résume ce qui fut dit en autre temps
« S’il m’a esté dur et cruel
Trop plus que cy ne le racompte,
Je vueil que le Dieu eternel
Luy soit doncq semblable, à ce compte !…
Mais l’Eglise nous dit et compte
Que prions pour nos ennemis »
et par moment, la parenté est grande
Manon
« certes
si j’avais étudié quand j’étais jeune
et si j’avais été plus raisonnable
j’aurais maintenant un bel appartement
et un lit bien douillet
mais je préférais courir les filles
et boire des coups. »
et Villon (en ces vers qui flottent dans la mémoire de tous les anciens lycéens)
« Bien sçay se j’eusse estudié
Ou temps de ma jeunesse folle,
Et à bonnes meurs dedié,
J’eusse maison et couche molle !
Mais quoy ? je fuyoye l’escolle,
Comme faict le mauvays enfant…
En escrivant ceste parolle,
A peu que le cueur ne me fend. »
et la belle heaulmière, devenue la belle boulangère, se lamente toujours, avec toujours cette verte glorification de son ancien temps, qui dément le remord évoqué en passant, quand elles injurient les ans qui les ont dénaturées, et se souviennent de l'homme pour lequel elles ont « gaspillé » leur jeune splendeur
«lui je vous jure que je l’aimais
pourtant il ne faisait que me cogner
et ne m’aimait que pour mon fric
…
le fumier
qui avait le diable dans la culotte
me serrait dans ses bras»
ou
« Jà ne me sceut tant detrayner,
Fouller au piedz, que ne l’aymasse,
Et m’eust-il faict les rains trayner,
S’il m’eust dit que je le baisasse
Et que tous mes maux oubliasse ; «
et Manon lui attribue, comme Villon à la heaulmière, une des ballades qu'il reprend
comme il en offre une à sa mère,
« aussi je donne à ma pauvre mère
à qui je n’ai apporté que douleurs et chagrins
ce poème en hommage à Louise Michel » aussi parfaitement « ballade » que celle léguée par François Villon à la sienne pour prier Notre Dame
« Item, donne à ma bonne mère
Pour saluer nostre Maistresse,
Qui pour moy eut douleur amère,
Dieu le sçait, et mainte tristesse ; «
et l'irruption de Marx, de Louise Michel et de leurs antagonistes se veulent correspondant aux gens d'ordre auxquels était en bute le pauvre, et donc aimable, « mauvais garçon » que veut incarner Villon.
Parfois, surtout au début, l'effort se sent un peu, mais les vers peu à peu coulent avec la même apparente simplicité, la même drue saveur que chez l'ancien, et la poésie est là (tout spécialement d'ailleurs quand il se plie aux formes fixes) jusqu'à l'épitaphe, jusqu'à, juste avant, la dernière ballade et son envoi
« camarade coquet comme un petit roquet
sache ce qu’il fit au moment de crever :
il se prit une bonne cuite au whisky
quand il a quitté ce monde »
« Prince, gent comme esmerillon,
Saichiez qu’il fist, au departir:
Ung traict but de vin morillon,
Quand de ce monde voult partir. «
et point ne m'en veuillez si longue je fus, ou je vous recommanderais à mon voisin, qui se sentant presque en terrain favorable est descendu de sa rue à la mienne. Je vous laisse avec lui et m'en vais découvrir les ballades en jargon de messire François, que point ne connais, que je comprendrai fort peu, et qui m'ont été communiquées, mon enregistrement du testament terminé, en même temps que mon cher petit testament dont je connais par coeur (avec deux erreurs venues au fil des années) les trois premiers huitains qui m'étaient un grigri.
PS le convoi des glossolales avait quatre wagons ou paragraphes, http://leconvoidesglossolales.blogspot.com/2010/01/57-jeudi-7-decembre-2010.html
15 commentaires:
J'ai pensé à toi hier quand j'ai vu de images d'Avignon enseveli sous cette épaisse couche de neige. Espère que tu as suffisamment de provisions et pas besoin de sortir.
Ici il n'y en a que quelques 4 ou 5 cm, elle continue de tomber sous un vent glacial.
Bonne journée.
Arhh (j'improvise l'interjection) les ours blancs sont déjà là ! J'aime bien tes photos, comme Mathilde tu as su capter l'impression "neige" et point n'est besoin d'aller bien loin pour cela. J'aime bien aussi où cela t'entraîne.
Vous avez croisé un ours polaire ! Et on nous parle du réchauffement climatique...
Merci de nous rappeler de nous rendre à Villon! Il y a tant à visiter.
J'aime beaucoup tes photos colorées qui pourtant, je n'invente rien, devraient ressortir quasiment en noir et blanc avec toute cette neige tombée, transformant les paysages en demi-teinte ! Mais non, Brigetoun a su pêcher les couleurs de la vie ! Je confirme à nouveau, tu es une vraie "gosse" méditerranéenne, sans doute élevée aussi aux poissons multicolores !
Les ours blancs ont quitté la banquise en dérive et ont vogué jusque sur les bords du Rhône?
Nous avons, toute la journée d'hier, suivi la progression de la tempête, imaginions, frissonnions avec vous mais les images vont au-delà de nos pensées!
A Paris, une neige molle, pas encore transformée en gadoue. Un petit centimètre. Et il n'y a plus d'ours blanc au Jardin des Plantes.
C'est beau une ville sous la neige… pas longtemps… mais cela a le charme de l'éphémère.
ce matin c'est de la glace qui diminue insensiblement - bien dure, bien froide et encore bien épaisse - je vais continuer à me faire du lard à l'appui
Très belle ces photos..
la neige ne tend pas que des pièges...
Ils auraient donc vu juste avec le réchauffement de la planète
c'est pourquoi il y a chaque jour dans le Monde un ou deux articles pour expliquer que cela ne prouve rien, que ce froid est tellement normal qu'il est quasiment la preuve du réchaufement
Dis donc, l'Avigon s'iowanise !!!
;-)
Comment s'en lasser, cela me semble impossible !
Villon (encore un François) me fait me souvenir d'un petit classique Hatier (traduction, préface et notes de mon père).
http://www.priceminister.com/offer/buy/50072014/Hasselmann-Jules-Rutebeuf-Charles-D-orleans-Francois-Villon-Livre.html
Enregistrer un commentaire