Un chiffre, un nouveau chiffre et, sans y croire, mais le proclamant, inlassablement, cherchant à varier leurs dires, pour que visibles ils soient, que le sort les repère, ou que les autres les admirent, les humains fêtent le renouveau, l'embellie, la désirable jeunesse du monde.
Tant de bruits ils font que le temps, Saturne, ou quelque nom qu'ils lui donnent, soulève peut-être un sourcil, plisse peut-être ses lèvres en un sourire, et continue à être, immuable. Lui qui n'est pas le temps, pas Saturne, mais une force, qui coule, point ne s'arrête, et la connaissance qu'en ont les plus savantes des grenouilles humaines, leur jeu avec lui, l'action qu'ils pensent avoir sur lui ne peuvent ébranler son existence.
Il est, indifférent, sans limite, il est et passe sur le monde, ce que nous faisons et sur nous, mais le peuplons, l'habitons d'actions infiniment concomitantes - et modifions le futur des autres, connus et inconnus, le notre - et pour le garder, y trouver notre place, nous avons créé le jadis, le passé, le présent cette fiction essentielle, et le futur, et les chargeons d'espoirs, de regrets, de désespoir.
Il est, nous roule, nous emporte, et pour y tenir fermes, pour l'humaniser, nous avons trouvé les chiffres, les jours, les années, nos créatures auxquelles nous croyons.
- Té, petite tête, t'as pas fini de délirer ? ça ne te va pas d'essayer de penser – à table !
Un instant pour comprendre, une seconde pour se redresser, une minute pour tapoter sa robe et se mettre en mouvement, combien de minutes pour entrer dans la conversation ?
La seconde ne peut se penser, a fui - la minute est un notaire, précise - l'heure est une obligation à venir, on peut la déjouer en filant autour de la terre mais en nous elle manque d'élasticité - le jour et la nuit sont tangibles, on peut les nier, ne pas voir, mais vers trois heures du matin la nuit se rappelle en nous - le mois est sujet à enluminures - l'année nous l'avons créée pour y accrocher nos souvenirs et en oublier les millésimes - les calendriers se font la guerre...
- Alors - oui, j'arrive.. un moment...
Ne pas bouger, ne plus bouger, ne plus franchir ces limites, arrêter le temps.
Oui da, arrêter la vie...
- j'arrive... j'ai pas faim.
Au réveil ce matin, devant la masse gelée qui ne diminuait qu'insensiblement dans la cour et les trous que j'y avais pratiqués, sans difficulté insurmontable, en forçant un peu tout de même, avec ma petite pelle à poussière, la conscience m'est venue, un peu tardivement, et la décision, puisque personne ne s'en chargeait dans l'immeuble, de nettoyer notre bout de trottoir et celui des deux maisons inhabitées qui encadrent la notre.
Et comme je pensais que cela me prendrait temps et force j'ai cherché une image vaguement en rapport avec le temps pour reprendre ma version du vase communicant du 1er janvier.
En fait, après quelques coups de pelle, et comme je me demandais comment éviter que l'espace dégagé ne devienne, par le verglas, plus glissant encore que la neige damée, une équipe de cantonniers est arrivée et s'est attaquée, avec une efficacité dont j'aurais été bien incapable, à la tâche qui nous revenait à nous, habitants mal équipés et rétifs. Les ai remercié avec enthousiasme et suis remontée.
Et, après les pâtes, pendant que le soleil rongeait un peu la glace des parties hautes, sans parvenir jusqu'à mon domaine, j'ai pris le sujet des impromptus littéraires « Nous vous proposons de vous y employer activement en vous inspirant du premier vers d'un texte célèbre, celui de "La mort du loup" d'Alfred de Vigny. Poème ou prose, selon votre envie, votre texte devra obligatoirement comporter cet alexandrin : "Les nuages couraient sur la lune enflammée", inscrit intégralement là où vous le jugerez bon. » http://www.impromptuslitteraires.fr/dotclear
Pas franchement inspirée, j'ai laissé tomber Vigny et me suis débarrassée de la chose, pour pouvoir, esprit vide, m'endormir en douce et courte sieste (plaisir de la retraite oisive)
« les nuages couraient sur la lune enflammée », du moins je le suppose - c'est après avoir lu ce vers de Vigny que j'ai appuyé sur l'olive de ma lampe de chevet, étendu mes jambes, laissé le calme dénouer tous mes muscles et fermé les yeux, dans l'attente d'un sommeil qui me laverait de la hargne du jour.
Et flottait à la limite de ma conscience une envie de violence, dont je n'aurais été que témoin, témoin délivré par le rêve, regardant avec une passion tendue des crocs, du métal, du sang, entendant gronder des voix, avec des éclairs de lumières violentes et colorées zébrant l'obscurité, éclairant un peu de peau, une arme, une bouche humaine ouverte sur un juron, un pelage, je ne savais quoi, des images et des sons que je découvrirai, échos de cette phrase, échos de la violence de ma retenue pendant toute cette journée.
J'avais entendu dire que les rêves ne connaissaient que le noir et le blanc, mais j'étais bien certaine que je saurais voir les couleurs absentes, si, pour une fois, une seule, j'arrivais à rêver.
Et en attendant que le sommeil descende, j'ai laissé venir en moi ces images, ces mots, et la détente les a accompagnés, jusqu'à ce que je glisse dans le sommeil.
Au matin, j'avais tout oublié, ne sais si le programme avait été respecté, ne sais ce qui était né ainsi en moi, ne sais ce qui m'avait nettoyée, le sommeil ou cette ombre de déchaînement.
9 commentaires:
Pas sûre d'où venait ton envie de violence ? Juste de la stimulation des mots de Vigny, ou d'une source interne ?
Bravo pour ton essai de déblayage civique et méritoire. Ravie que tu aies promptement reçu du renfort.
Reste au chaud et sois prudente si tu sors, j'ai vu quantité de chutes sur la glace hier.
relu avec plaisir l'entrée du 1er janvier .....le temps, cet adversaire bien aimé..
pour moi le rêve: tous les extrêmes qui sont en nous un peu moins censurées... en noir et en couleurs
Dans l'attente que tout cette neige fonde, dans le calme absolu mais dans un contexte bien inhabituel, autant employer le temps à regarder des démons passer ne serait-ce qu'en rêve, balayant sur leur passage si ce n'est la neige, au moins toutes les ondes remuantes, toutes les secousses désagréables, pour laisser la place à une nouvelle respiration aussi fraiche que cette neige !
Je trouve que 2010 ne ressemble pas à 2009.
C'est peut-être personnel.
En tout cas la saison nous assaisonne.
Pourquoi avons-nous tant nécessité de repères? Laisser des traces dans le temps? Ne dit-on pas que le temps efface tout?
Aurais tu des goûts de luxe à 10 h 07 ?
exact : style pommes de terre et moutarde
Je me sens perdue dans ce grand espace on dirait qu'il neige sur la page
§
Seul le silence est grand; tout le reste est faiblesse.
§
(bizarre de demander qu'on extrapole à partir de la première ligne, moi, je trouve...)
;-)
Oui, je sais.
Miaou.
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