Vent réduit en brise, bleu sans rigueur, trop de paresse et départ tardif
et les jambes qui reprennent un peu d'entrain pour le petit trajet, devenu idiotement pour moi inimaginable ces jours-ci, vers Carrefour, et me ramènent dans la gloire des platanes schématiques sur la lumière vers mon antre.
Et après tours sur le net, nourriture et repassage, me suis enfoncée, totalement, en apnée, dans la beauté de « la ligne de crête » de Jacques Ancet.
La montagne (et dans la dernière partie, il dit l'histoire de cette attirance), cette montagne là dont il ne donne pas le nom mais qu'il regarde, qu'il essaie de connaître en tous ses détails, en tous ses aspects, selon les heures, le temps, la vision qu'on en a depuis l'emplacement où s'est arrêté le corps, et même la carte, les noms, l'histoire, pour la dire, pour que ses mots soient la montagne comme Cézanne voulait cerner la montagne Sainte Victoire.
Les moments où il est encore à distance
« Inextricable, la forme n'occupait pas l'espace entier. L'oeil pouvait la franchir, la contourner, explorer à gauche, à droite, derrière, l'inépuisable profondeur du paysage. Aujourd'hui, il ne peut que s'y heurter ou s'y soumettre, accompagner le perpétuel jaillir d'un élan arrêté. Les terres montent, se superposent en couches successives, dressant soudain cette tache rocheuse dans la cascade transparente de l'air. Tout est bleu : la pierre, les ombres, les forêts, jusqu'au vert des prés, au rose des toits. Tout est une même quiétude chromatique à laquelle participent cris, bourdonnements, rumeurs et la lenteur du corps qui s'est mis à flotter. »
L'approche délicate, précise, entêtée, de tous les aspects, toutes les façons de la connaître, son silence, les bruissements, les senteurs, la quête de cette chose indispensable et effrayante, la beauté, et le corps en mouvement qui s'oublie dans l'effort pour monter.
«A chaque instant recommençant. Au bord toujours d'abandonner.. D'en rester là. Perdu. Sans autre repère que le souffle, le coeur qui bat trop fort. Comme au bord de la phrase inachevée. Quand il n'y a plus rien à voir, à dire, à penser. Et qu'on avance, pourtant, mot à mot, sur le vide. Et qu'on n'en finit pas. »
Parce que, toujours, l'écriture, la phrase, qui doit être serpentine comme le sentier et en mouvement toujours, en un élan sans cesse renouvelé.
«La marche et l'écriture se ressemblent. Une chose obscure, impérieuse, insiste, emporte, et si l'on avance c'est pour savoir, pour la découvrir... Pas à pas, mot à mot, avancer c'est s'approcher de cet autre côté dont on sait bien pourtant qu'on ne l'atteindra pas. »
Jusqu'à arriver « dans » le motif, dans la montagne que l'on tente de mettre en mots. Y cheminer sur la ligne de crête. Et puis redescendre vers le village, la grande ville un peu plus loin.
« Et c'est comme si, peu à peu, la montagne entière redevenait ces images qu'on avait mis si longtemps à traverser. Front obscur, muraille crènelée, face de pierre, page grise offrant à nouveau ses signes indéchiffrables, tandis que d'une seule phrase sinueuse on glisse dans l'ombre clignotante, interminable des sous-bois, leur fraîche odeur de terre, leurs bruits de pas étouffés, leur silence de grotte où ce qui pousse c'est maintenant la pente, la facilité de la marche.... ses visions rassurantes, près d'un vert lumineux au soleil déclinant, vaches paisibles, ruisseaux traversés dans un bruissement d'eaux, premiers toits entrevus... »
et, boudiou, voilà qu'avec mes longues citations vous ai peut-être fait fuir, me suis peut-être rendu hautement coupable de piraterie.
15 commentaires:
un pirate pour notre plaisir!
il y a pire comme pirate...
Il n'y a pas pire athée.
"Au bord toujours d'abandonner"
que c'est beau, que c'est encore désespérément la vie de pouvoir pirater
gravir la montagne par procuration
Magnifique extrait bien choisi, c'est beau !
Ils ont du goût les pirates sur le net !
Fuir? Que non!
Cela me rappelle mes Cévennes, ces poses obligées pour reprendre souffle à la montée et la somptuosité à redescendre, comme en apesanteur. Euphorisante.
Superbes extraits !
C'est chromatique, on dirait l'œil d'un peintre...
le livre est une merveille - belle édition en outre - (même confortable pour yeux vieillissants) 125 pages claires 9,50 euros - à lire en un souffle
Ces belles citations donnent envie. La montagne, toujours et encore violée gardera son mystère et seuls ceux qui la connaissent bien, ou un peu mieux, peuvent en parler avec cette poésie.
brigou ? pirate ?
Hmm...fais voir tes dents d'or et le perroquet sur ton épaule.
Sinon, je n'y vois qu'une citation littéraire qui sert à prouver ton estimation dudit texte.
J'aime bien l'évocation de Joye, dents en or et perroquet sur l'épaule - il te manque aussi la jambe de bois. Donc pirate tu n'es.
Ai aimé aussi l'humour sophistiqué de Michel - irremplaçable.
Sinon bien sûr que tu ne nous as pas fait fuir.
Me suis demandé si vraiment l'écriture devait être serpentine. Il existe aussi une écriture claire, limpide, phrases courtes et directes, qui pourtant n'est pas une autoroute.
J'aime beaucoup cette évocation de la marche en montagne et de la redescente. Merci pour ce bel extrait.
l'écriture serpentine comme une sente pour mieux cerner et pénétrer "le motif", ce n'est pas de moi, c'est ce à quoi s'efforce Jacques Ancet
Aucune envie de fuir mais de commander chez mon libraire ce récit pour Me le lire et l'offrir à une marcheuse qui tourne aussi autour de sa montagne.
Alors merci , vraiment.
Ce n'est pas du piratage mais du partage .
Belle écriture , donne envie de lire tout entier
Que nenni toujours là en haut de la ligne de crête...secrète !
Enregistrer un commentaire