Monsieur Blanc tenait boutique, boutique de trésors, objets de belle facture, avec belles estampilles, ou anoblis par leur voisinage, par son choix, ce goût qu'on lui accordait sans discussion ni examen, comme devant nécessairement accompagner sa réserve ou sauvagerie et cet aspect digne, rigide, à l'élégance neutre et appliquée, mais aussi étrange, avec ce semblant de folie dans la démarche saccadée, les rares grands gestes désarticulés, la mèche ondulée qui glissait sur sa calvitie, se refusant à tout rôle de camouflage, avec ses rares mots, sa façon de se limiter aux renseignements précis sur sa marchandise, en phrases si soigneusement plates qu'elles semblaient vouloir tuer toute tentation de rêve, de lyrisme, pendant que ses yeux brillaient d'enthousiasme.
Et puis un jour, inévitablement, avec un couple aimable et intéressé, qui d'ailleurs était reparti avec un carafon, un coffret à la laque brune joliment griffée, et un guéridon ostentatoire et instable, posé sur des cornes de buffles vernies, il y a eu, un peu en retrait, comme traînée à leur suite, Marie-Céline, et en répondant aux autres, et puis en les laissant circuler en s'exclamant dans la boutique, il la regardait, pas très jeune, pas très belle, encore fraîche, souple, avec des boucles brunes à la sagesse un peu défaite, et un sourire d'enfant rêveur, plantée sous une suspension bizarre, un peu absurde, très grande, qui aurait exigé un plafond démesurément élevé, imposante et fragile, ample et allongée, lourde comme une goutte gigantesque d'osier savamment tressé, menaçant de se détacher, sur laquelle elle levait des yeux perplexes et fascinés. Il s'est approché, il a souri, ils ont parlé en phrases vagues, en cherchant des mots qui disent un peu de ce qui les effleurait, ils se sont dessiné des goûts communs - peu à peu il n'y a plus eu que ses mots à elle, un torrent un peu futile, un récit de choses de sa vie où elle cherchait une explication improbable de son goût pour cette énorme pendeloque, et il n'écoutait plus, mais il restait là, au lieu de se retourner vers le couple, les laissant débattre sans intervenir, et il s'interrogeait légèrement sur ce qu'elle était, sur la raison de son intérêt, à lui.
Les deux autres les ont appelés, pressés maintenant de payer, après un marchandage distrait, pour la forme, et de partir. Ils ne se sont bien entendu jamais revus, mais pour quelque diable de raison il y repense parfois.
N'importe quoi, et comme, après ce n'importe quoi, j'ai eu l'idée d'un truc à accrocher au « convoi des glossolales http://leconvoidesglossolales.blogspot.com je reprends, ici, celui qui était joint au beau convoi de lundi.
Il était là devant moi, planté sur sa jambe gauche, la droite légèrement décalée, en avant, le pied tourné vers l'extérieur, un peu comme dans l'attente d'un pas de danse, dans une pose qui donnait une certaine élégance à son corps trapu, malgré l'habit un peu chiffonné, les pans un peu trop longs, la chemise tendue sur l'estomac, et qui sortait un peu du pantalon, à droite. Son visage vaguement poupin se plissait un peu sur le bois luisant du violon, et la bouche, que je voyais de biais, se tordait légèrement, entrouverte en un sourire rêveur. J'étais si près que le pianiste disparaissait derrière son piano, et que l'archet que le poignet plié, cassé, tirait vers nous, pendant que la note montait, s'éternisait, et que le corps se portait un peu en avant, paraissait immense. J'ai fermé un moment les yeux, écoutant la musique qui vibrait dans le silence, dans mon imagination, et puis je les ai ouverts pour regarder encore ce fabuleux dessin que j'aurais voulu emporter.
5 commentaires:
Et t'avais raison !
@ "la chemise tendue sur l'estomac, et qui sortait un peu du pantalon, à droite."
à l'agrandissement, on pourrait croire aussi à un plastron à deux pointes ?
(peu importe, reste le plaisir d'agrandir votre photo et donc de partager avec vous ce 76/100)
Très joli conte sur les croisements humains, mais celui-ci sans entrelacement. On dirait un tango tendu, retenu sans aucun lâcher prise, mais avec l'envie de danser quand même.
JEA je ne prétend pas à l'exactitude
C'est vrai qu'il est beau ce dessin de violoniste
Enregistrer un commentaire