Pour mettre à jour mon petit journal personnel, passé le temps des vases : suis allée voir «Matin Brun» au Chêne Noir jeudi, parce que cela faisait partie de mon abonnement, à la seule représentation qui n'était pas réservée aux enfants, et c'était bon, une coupure. A vrai dire, il y avait des enfants, en bon nombre, mais accompagnés par leurs parents ou grands-parents, raison pour laquelle cela débutait à 19 heures, et ce n'est qu'au dernier moment que j'ai réalisé la chose, hésitant un instant à me prétendre que je ne l'avais pas vu, me délivrant ainsi de l'obligation de sortir pour assister à un spectacle estimable, bien entendu, mais qui ne me tentait pas spécialement.
Et vendredi, j'ai interrompu la recension, mis une robe rouge, me suis recoiffée, et suis partie à l'opéra pour un programme fait pour me plaire : une courte pièce de Ligeti, le premier concerto pour violoncelle de Haydn, avec sa joyeuse énergie campagnarde (une campagne de toile de Jouy ou de Restif de la Bretonne) et, après l'entracte occupé à essayer de mettre de l'ordre dans mes notes sur les vases, le concerto pour violoncelle de Ligeti et la 8ème symphonie de Beethoven pour laquelle j'ai un faible. La salle était à moitié vide, mes voisins surpris mais pleins d'une attention bienveillante, et j'ai aimé le beau jeu, beau et humble, soucieux de son accord avec les violons, l'attitude simple de Marc Coppey. Mais plaisir gâché, à la fin, par l'annonce par Jonathan Schiffmann, le chef d'orchestre (souvenir du combat pour sauver l'OLRAP, plaisir du souffle nouveau qu'il a amené, de l'ouverture du répertoire) de son renvoi. Ne sais ce qui a provoqué cela.
Après une excursion sous ciel gris, samedi en fin de matinée, d'un pas alerte pour une fois, vers les Halles, pas aussi pleines que je le craignais, du poisson et des asperges, je me suis offert une longue sieste et j'ai écrit, un peu en élan non gouverné, un paragraphe pour les glossolales. http://leconvoidesglossolales.blogspot et je reprends les deux précédents.
Notre gardien était chaudement et presque élégamment vêtu, d'un bleu ciel comme la candeur. Nous étions brunis, basanés, sombres, dans nos pyjamas de raide toile noire. Notre gardien était souriant, sauf quand un énorme rire soulevait, secouait sa ceinture. Nous nous serrions les uns contre les autres, défaisant les rangées ordonnées qu'il exigeait de nous, malgré ses injures joviales. Notre gardien était si large d'épaules que sa corpulence en devenait harmonieuse ; il tendait au carré parfait. Nous étions maigres et déjetés, au delà de la laideur. Notre gardien nous vantait le travail et nous l'ordonnait. Nous, pauvres de nous, nous ne pouvions le faire, et pourtant le tentions désespérément. Nous savions, de longue expérience éternellement répétée, que notre gardien ferait un pas en arrière, avec une grimace désolée devant notre ingratitude et notre mauvaise volonté, et que, derrière lui, attendaient les hommes en kaki sombre et les chiens roux, d'un roux violent, aux yeux rouges.
Il était là quand je suis revenu sur l'île, comme toujours, comme autrefois, comme le jour où je me suis embarqué pour aller à terre, et puis dans la ville, là bas, loin de la mer, tournant le dos à ce qu'il m'avait appris, à la pêche petite, à la vie de peu, et à nos lectures aussi, aux longues conversations économes, renonçant même à chercher un embarquement sur un chalutier de mon parrain, et je m'étais fait, durement, à l'usine, au bruit, au métal, aux chefs et aux camarades et à ceux qui l'étaient moins, aux promenades le long d'un canal boudeur, aux dimanches après midi au café, et puis, quand il n'y avait plus eu de travail, ça avait été le camion, le circuit éternellement refait, et les bouilles des commerçants, quelques amis parmi eux, et d'avant, de l'usine, une fille. Il m'avait écrit une fois, au début, et moi deux ou trois. Pas grand chose. Mais dans le train, et sur le port en attendant la vedette, je pensais à lui, m'interrogeais sur son accueil, me préparais à rester neutre, en attente. Il était bien là, sur le banc, contre le mur de l'église, face au ponton, seul pour une fois, mais un peu tassé, et plus petit peut-être. Et quand je me suis approché, j'ai vu qu'il dormait, jambes un peu écartées, vareuse glissant sur une épaule tombante, menton sur la chemise, mais chapeau bien enfoncé, une main violacée et osseuse posée au creux d'une cuisse, l'autre, au bout du bras abandonné, pendant juste au dessus d'un litron vide, renversé sur le sol. Lui, le Jules, le sage.
Moi qui aime bien certains graffiti, j'avoue que je prends assez mal ceux-là.
13 commentaires:
Le rouge revient souvent, un élan de passion ? Cela prouve que derrière une soit disant non motivation, des désirs se cachent encore, et comment ne pas être pris de passion par le théâtre, la musique et la littérature ? Brigetoun nous fait un mixte là, prouvant sa pleine possession de ce qui regonfle l'âme et la sienne est bien jolie, bien bombée !
Il y a des trompe-l'oeil devant lesquels ce dernier ne demande pas mieux et même en redemande
il y a des graffiti agressivement tape-à-l'oeil et même qui le crèvent et c'est singulièrement moins drôle...
et ose jusqu'à deshabiller les murs!
j'aime l'illustration du space invader (oui, c'est le nom donné aux graffs de petits bonhommes en mosaïque, je l'ai appris récemment sur le blog de Fab http://pixgalerie.over-blog.com/ rubrique "le Paris graphique", il en a photographié pleins dans Paris). J'aime ces personnages qui inspirent tantôt la peur, la crainte, la bienveillance... et je trouve que votre histoire lui colle à la peau !
L'art de la rue est parfois d'une violence qui fait un peu reculer... mais la vie est violente dès notre premier cri, sinon pourquoi nous ferait-on obligation de gueuler en nous tapant sur les fesses pour nous forcer à hurler "je suis là" ?
Je les prends tous mal, mais celles-là font preuve d'une immondice (au sens vieilli) insupportable.
Je les prends mal aussi !
(Ceux-là comme beaucoup d'autres.)
Tiens, ça rejoint un peu ma publication du jour.
Bise.
Michel, j'y ai pensé en voyant ton billet - je dois dire que j'étais furax en les voyant et qu'à la réunion où on me parlait élection je répondais outrage fait à mon vieil ami sur le mur
à part les barbouillages le trompe l'œil est génial et criant de vérité
tout ce pignon, il y a aussi une fenêtre ouverte avec un homme etc.. et je ne sais si on peut enlever le graffiti sans abîmer l'ensemble
J'ai vu peindre la fresque, et cela a pris du temps et du savoir faire, plus que pour les graffitis minables qui sont venus depuis peu. Par contre j'aime beaucoup les petits pochoirs que l'on voyait un peu partout, plus artistiques et plus discrets surtout.
ok pour les deux - et pour le pignon suis vraiment furieuse
Le petit groupe d'extra-terrestres sous l'emblème des Space Invaders, assez humoristique et discret.
Mais contre les obscénités immondes autour de notre papy endormi au coin de la fontaine, il n'y a pas de mots assez forts. Je suis révoltée.
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