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désolée, Paumée se veut à l'abri, sauf quand un acte fait déborder le vase, des allusions à la politique ambiante.. et si je suis reconnaissante aux envies de commenter je vous demande de me pardonner de rétablir la modération

lundi, avril 26, 2010

Samedi, dans la nuit, mon dîner de hareng, pommes à l'huile, s'est étiré en bouchées espacées et distraites pour durer le temps de la lecture, lente et attentive, dans la dégustation des mots, des 91 Pages de «Géographiques» de Bertrand Redonnet.

Ce qui se cache derrière les mots, climat, ("Un climat, oui messieurs. Votre cher et maître mot. Un des plus beaux mots de la langue française, un mot qui a beaucoup vu. Un mot de voyageur. Ouvert à tout vent, conjugué à bien des temps et qui essuya bien des intempéries.") pays, pagans, paysages etc... qui est notre rapport à ces endroits que nous investissons et qui nous investissent - en une petite sottie, faux entretien entre le poète qui parle des mots et un groupe de savants, océanographe, climatologue, géographe, etc... , chacun décrit avec saveur, en un de ces débuts précoces de soirée comme il y en a au bord de la Vistule, et qui, dans le plaisir de la nourriture, d'un vin exceptionnel, de l'envie qu'ils ont d'une autre approche, oublient leur rigueur doctrinale pour revivre le climat, la terre de leur enfance, et ce qu'elle a fait d'eux, adoptant le regard, le sens des mots que donne le poète qui est l'auteur (les autres aussi un peu) en une joyeuse conversation.

"Des "ah" et des "oh" d'une vive réprobation fusent autour de la petite table. Sans doute craint-on que le monsieur mafflu, timidement couperosé, le cheveu blanc coupé ras, visage débonnaire du bon vivant, m'ai heurté par sa franche répartie. Alors on lui dit que l'heure n'est pas franche répartie. Alors on lui dit que l'heure n'est pas aux mauvais augures de laboratoire, qu'il tombe un peu l'uniforme, bon sang d'bon sang, qu'il reprenne un peu de vin."

Autobiographies et d'abord de lui qui est passé de l'ouest niortais au fond de la Pologne, par choix, à cause de l'envie que lui a donné la douceur de sa terre d'en vivre une autre "Enfant, nous, quelque chose de non identifié ne collait pas entre le climat océanique et moi.»

venu de cet ouest

"Ainsi là-bas, à l'embouchure de la Sèvre Nortaise où se prélasse Charron. Le soleil est encore haut suspendu au-dessus de l'horizon brumeux à l'heure où, ici, au seuil de la nuit, nous entrechoquons nos verres. Tout est imprégné par des embruns salés, la plaine est grisâtre et son herbe échevelée se couche à toute vitesse en tournant le dos à la mer, comme si elle tentait éperdument de la suivre. C'est une plaine aplatie sous le vent, qui déroule sa mélancolie sans une saut d'humeur et qui vient se noyer ainsi jusque dans les gouffres de l'océan. Sans transition. On passe de l'herbe où paissent les bovins du producteur de viande à l'eau saumâtre du mytiliculteur. Puis, sans transition encore, on passe au large où croisent des navires en partance pour les antipodes, puis enfin, toujours sans transition, au ciel où tournoient inlassablement des cormorans inquiets."

à la plaine ouverte, noeud des vents, et proie de l'hiver qui bien sûr, pour les polonais, leur vient, comme tout ce qui est dur, de Russie.

"Les rus et les rivières, les étangs, les mares et les petits lacs partout disséminés sur les champs, hibernent dès lors dans l'immobilité. Les pêcheurs trouent la glace, comme Maître Renard le fit faire à Ysengrin et, de ce puis glacé où s'engouffre l'oxygène, ils sortent des silures ventrus au bout de leurs hameçons...

Parfois le ciel est anxieux, lourd et noir comme à l'orage, et, entre deux nébulosités accroupies sur la lige d'horizon ouest, le soleil baigne dans cette platitude blafarde d'un sang jaune et rouge. Beauté chagrine de ces fins de journée où le mercure n'a pas réussi à remonter plus haut que les moins dix degrés et où la lumière, congédiée en plein après-midi, en pleine adolescence, répand son agonie menstruelle sur des champs immaculés."

Il y a aussi l'Auvergne d'un fumeur de pipe, où le froid est dans les fonds, et les petites fleurs naissantes sur les sommets ronds et usés, la cour de l'école normande "sous ce climat grognon" qui a fait l'océanographe amoureux des suds, et de la plaine où il s'est établi, sous le Mont Ventoux ("Il arrive aussi qu'au-dessus des vignobles le bleu du ciel soit si brûlant qu'il en est transparent, qu'il se gondole comme le fer de la forge chauffé à blanc et battu sur l'enclume.."), le vent d'autan etc...

Il y a une certaine bonhomie dans cette fausse assemblée, il y a surtout une poésie simple, drue dans tout le texte, le goût de la terre et de ses rapports avec les hommes.

Dimanche, après-midi, profitant des rayons de soleil qui parvenaient jusqu'à moi, debout contre le mur de la cour, j'ai griffonné un paragraphe pour le convoi des glossolales, au lieu de m'occuper de ma garde-robe d'été http://leconvoidesglossolales.blogspot.com , et je reprends les deux précédents :

Assises sur assises, marqueterie de tons du blanc vieilli à l'ocre, sur laquelle brodent les zones brunes, là où la pierre s'est laissée gorger d'humidité, en rectilignes redans, contreforts, appuis, la muraille s'élance vertigineusement vers le ciel violet, irradié, et en renversant la tête pour la suivre des yeux je garde conscience, dans cet essor, de la solide pesanteur qui le crée, l'accompagne, pulse ce mouvement figé. Envolée plus solidement ancrée que je ne le suis sur mes jambes écartées.

Sur une table de marbre blanc, le couvert était ocre et rouge sombre - le rouge des carrelages du palais ; assiettes et verres étaient placés dans les coins des sets en boutis posés en biais, et cela dessinait une petite géométrie vaguement esthétique, un peu, juste un peu, surprenante, violemment colorée (mais les dessins des assiettes et du tissu, dissemblables, étaient sobres, un peu étriqués, comme un baroque à la fois avorté et desséché), qui, dans son semblant d'originalité, appliquait toutes les règles des décorateurs en vogue. Marie a surtout pensé, comme sans doute tous les convives, que c'était parfaitement inconfortable. Ils se regardaient ; des petites phrases, en léger bourdonnement, voletaient autour de la table, avec prudence, tâtonnement pour se deviner, se classer, chercher des sujets de conversation entre des hommes au visage lisse, bronzé, costume de lin de couleurs évanescentes ou classiquement blancs, chemises au col ouvert, avec, parfois des foulards qui lui ont rappelé sa jeunesse, et certains nez autoritaires, quelques rides, lui ont fait signe, lui ont donné envie de connaître leurs porteurs, de pénétrer derrière la banalité, parfois la sottise de ce qu'ils disaient – il y avait aussi, lui provenant du bout de la table, de rare incursions du violoncelle d'un complet bleu de ciel mourant, et l'homme, assis un peu en retrait, avait les yeux perdus dans le vague, et puis en face d'elle les très beaux yeux brillants d'un très jeune homme qui lui ont souri, avant de se détourner vers la blonde au beau décolleté et à la moue lasse un peu plus loin, avec la même cajolerie, qui a continué le tour de la table, passant de femme en femme. Une majorité de cheveux souples, blonds ou auburn brillant, d'épaules plus on moins rondes et très nues, quelques casques de cheveux noirs, assortis à des voix profondes, creusées par la vie et les cigarettes, des jeunesses éclatantes, ou reconstituées, quelques ingénues. Un jeune couple, très dru, très frais, campagnard, faisait des allers et retours depuis la maison, apportant des couverts noués en bouquet et de grands plats de crudités décoratives, de petits coquillages, des grands bols de sauces colorées. Elle s'est préparé à s'ennuyer.

7 commentaires:

Lautreje a dit…

"se préparer à s'ennuyer"...une complicité avec le temps. Belle et grande journée Brigetoun !

jeandler a dit…

Un beau plan sur un mur
l'autre
pas celui dont on parle
un mur qui me rappelle un autre mur

Chr. Borhen a dit…

J'aime beaucoup l'aspect "liquide" et "solide" de ce texte.

Nathalie H.D. a dit…

Brigetoun tu es merveilleuse. Cette description à la fois fine et cruelle d'un monde suave et content de lui est un régal. Tes adjectifs surprenants mais justes font mouche.

Sur cette scène où le décor est planté comme dans Côté Sud ta dernière phrase tombe comme un couperet. C'est très réjouissant.

JEA a dit…

allergique à tout complet (ou non), néanmoins, une agonie bleue de ciel en forme de violoncelle, là...

PS : vérification de mots - renom si...

Brigetoun a dit…

Nathalie, mon ego te révère

arlette a dit…

Ce mur forteresse en passant dessous semble m'ensevelir brusquement et je crains ce passage ....
Par contre un complet bleu de ciel mourant !!!! ça c'est quelquechose !!quant au regard balayant l'assemblée.....euh ! cela m'est arrivée( sans en parler si joliment chute finale itou) à certaines" messes" les plus éprouvantes. Désolée d'être si lg ce soir