Auteur, auteur
«Qu’est-ce que tu fais dans la vie ?
- Je suis comédien.
- Génial ! Et tu travailles dans quel restaurant ? »
(Blague new-yorkaise).
«Qu’est-ce que tu fais dans la vie?
- J’écris des livres.
- Des livres pour enfants ?»
Je ne sais pas pourquoi, la question des livres pour enfants arrive systématiquement lorsque je dis ce que je «fais dans la vie». Sans doute parce que je suis une femme, et que je ne suis pas encore très âgée. Mon interlocuteur veut bien que j’écrive des livres, mais alors seulement dans le genre mineur des ouvrages destinés à la jeunesse.
Pour ruser, de temps à autre, je réponds que je suis auteur (car telle est la catégorie dans laquelle me range la sécurité sociale) :
- Auteur compositeur ? me demande-t-on alors.
- Non, dis-je, j’écris des livres.
Et là, immanquablement, surgit la question que je voulais éviter : «des livres pour enfants?
Je pourrais prévenir cette question en précisant d’emblée «j’écris des livres pour adultes» mais bien sûr, cela générerait d’autres confusions.
Je me souviens de la fois où avec mon mari, nous sommes allés demander un prêt immobilier à la banque. Le conseiller financier qui devait constituer notre dossier a d’abord examiné le cas de mon mari. «Vous êtes donc réalisateur, monsieur, et vous touchez, outre vos salaires, des droits à la diffusion de vos films, des allocations d’intermittent du spectacle, ce qui, à raison d’une année vous fait donc un revenu équivalent à peu près à…»
Il remplissait un imprimé tout en récapitulant à voix haute, cochait des cases. Il s’est ensuite tourné vers moi. «Et vous, madame?
-Je suis auteur, ai-je dit.»
Je lui avais donné tous mes papiers ; mes revenus, il les avait sous les yeux.
Il a hoché la tête d’un air compréhensif avant de demander : «Et comme profession, je mets quoi ?»
Dans un film que j’aurais écrit, j’aurais répondu : «Mettez donc éboueur, monsieur.» Mais nous avions besoin de ce prêt. Je suis donc restée poliment assise, et j’ai répondu poliment, avec une platitude dont je rougis encore aujourd’hui, et que je te laisse imaginer, ami lecteur. Ca n’a d’ailleurs servi à rien : nous n’avons pas obtenu de prêt, faute de revenus assez sûrs, et assez réguliers.
Depuis, je me suis rendue à l’évidence : le malentendu est la forme normale, inéluctable, de l’échange entre êtres humains et peut-être même de l’existence. Ca doit d’ailleurs être la raison pour laquelle je me suis mise, très tôt, à aimer les livres, puis à en écrire, devenant de fait auteur et espérant par ce biais parvenir à une communication plus précise, plus juste, plus satisfaisante pour moi avec mes semblables. Comme on le voit, la partie n’est pas encore gagnée.
Paumée est heureux, admiratif, amusé et très fier de porter les mots de Marianne Jaeglé, si fier que, chez elle, http://mariannejaegle.over-blog.fr/ , et avec sa permission, Brigetoun plaide sa cause.
« Tiers Livre et Scriptopolis sont à l'initiative d'un projet de vases communicants : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d'un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre. »
une liste des vases communicants de ce mois, que j'espère complète, ci-dessous :
17 commentaires:
Auteur ?
un mètre quatre-vingt à peu près.
Paumée est très fier de la visite - Brigetoun chemine
Ah ! quel confort de lecture !
Décidément, on aime pas beaucoup "auteure"... quand on pense qu'il existe aussi "autrice" !!!
On a sans doute le droit (d'auteur) de choisir.
oui mais Paumée n'aime pas cette taille et j'ai galéré jusqu'à bouffer (ô honte) une phrase
Mark Twain a écrit des chefs-d'oeuvre pour la jeunesse (retraduits excellement chez Tristram), ce genre n'a rien de "mineur". Après, si les gens sont assez cons pour le penser, grand bien leur fasse. De toutes façons, une écrivaine ne sait pas penser, juste s'occuper de la tête des enfants. Cela n'a rien à voir avec le genre littéraire mais avec le genre déterminé par votre sexe cette condescendance.
Oui, Anna je suis 100 % d'accord pour la condescendance en rapport avec le sexe féminin...
Je n'aime pas beaucoup Auteure, encore moins autrice... voilà pourquoi je laisse auteur considérant que ça me représente aussi.
merci à tous de votre lecture et de vos remarques.
MJ
Nous sommes tous des malentendants... malvoyants sinon malveyants.
excellent, le malveyant, Jeandler !
ce texte est une petite merveille ironique et auto-tendre. je le cueille aussi et je me le garde pour les jours où ca m'arrivera à moi aussi ( on peut rêver, puis.. le prêt, je l'ai déjà obtenu heureusement).
Ca me rappelle quand je faisais mes études d'Histoire. A la question qu'est)ce que tu fais comme études, je répondais "Histoire", et immanquablement on me rétorquait : "Histoire tout court?" Car la seule histoire acceptable pour l'humanité, pas chiante et avec de belles images, c'est l'Histoire de l'art. L'autre, ce n'est que dates, guerre et vieillotteries passéistes, bien sûr.
:-)
suis contente pour le prêt... merci de votre lecture...
Sur cette histoire de condescendance :
1. elle ne tient pas vraiment la route
2. ou alors : la condescendance exprimée ou sentie est le symptôme d'autre chose que ce qu'on en dit
3. ou encore : on ne peut pas empêcher qui que ce soit d'avoir les opinions qu'il a
4. ou peut-être : celle ou celui qui doit écrire écrit quoi qu'il en soit
Cela dit, très heureux de découvrir Marianne Jaeglé.
Ben, il se fait que j'en écris des livres pour enfants, et je ne me suis jamais senti dans un genre mineur. Sauf si on considère Lewis Carroll, Stevenson, Roald Dahl, Andersen, Collodi, Twain, comme des auteurs mineurs... et j'en passe un paquet. Sinon, pour le reste, c'est vrai qu'on entend souvent : "Et à part qu'est-ce que vous faites pour vivre ?"
Il va de soi que ce n'est pas moi qui considère la littérature jeunesse comme un genre mineur... Pardon si ce n'est pas clair dans le texte.
J'aime bien "et à part ça qu'est-ce que vous faites pour vivre ?"
Héléna Villovitch raconte, dans le bonheur par le shopping qu'on lui pose souvent la question "et tu en vis ?" quand elle dit qu'elle écrit des livres. Et qu'elle a toujours envie de demander ensuite à son interlocuteur qui dit qu'il est ingénieur "et tu en vis ?"
Mais elle aussi, elle se retient...
Comme on le voit, la partie n’est pas encore gagnée.
Ce n'est pas une tare d'écrire des livres pour enfants !
non mais sinon c'est quoi votre vrai métier ? :)
J'aime bien le dernier paragraphe qui remet les pendules à l'heure en allant chercher là où il faut la condescendance dont vous avez été victime.
..de la difficulté d'être soi quand nous ne sommes "bon qu'à ça"..
..de cette nécessité de n'être que là..
oui.. honte sur ces regards, mais peu importe puisque l'art n'est que respiration..
eux.. ces autres.. en aurait bien besoin..
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