Mise au défi par soeur mienne d'aller au marché potier (où devait exposer une amie-professeur sienne) et comme depuis un quart d'heure les plantes ne s'étaient pas couchées, suis partie, pleine d'une envie de sieste, après le déjeuner, cueillie par belle rafale sur le pas de ma porte. Ai dansotté pour reprendre équilibre, me suis voulue figure de proue et j'ai continué. Le mistral d'ailleurs s'est calmé légèrement en route.
Par contre, j'ai eu beau me frotter les yeux, prendre photos en témoin, il n'y avait ni stand, ni belles oeuvres, pas même le plus petit cendrier sur la place, et une commerçante m'a confirmé que les potiers, pas plus entêtés que moi, avaient renoncé devant le mistral et que le marché était annulé. J'ai récupéré, un peu jaune, le rire que je désirais depuis le réveil, et suis rentrée en me cramponnant au muret le long de l'opéra.
Me suis lavé les cheveux, emportant les dernières idées qui n'étaient pas partie au fil du vent, et pour ne pas en rester là, je reprends trois des paragraphes accrochés au convoi des glossolales http://leconvoidesglossolales.blogspot.com
Se vouloir locale. Se souvenir de la cuisine simple, goûteuse et commentée, de Gaby, des histoires qu'elle aimait raconter sur les plats, de son refus de nous «avoir dans les pattes» pendant leur confection, du mystère qu'ils gardaient, dans la sophistication cachée qui permettait, en quelques gestes, de combiner des aliments simples en une merveille de saveurs équilibrées, qui s'épanouissaient lentement à partir du plaisir immédiat, et dont, certains jours de détente, d'orage familial endormi, nous commentions la réussite, l'histoire de nos dégustations. Alors on achète des petits pots de l'industrie alimentaire locale, affichée ou réelle, des barquettes chez le marchand d'olives, en imaginant qu'elles ont été préparées par les femmes de la famille.
Marie était arrivée chez elle au crépuscule, chez elle enfin, après ce trou qu'elle décidait, dents serrées, d'oublier, enchaînement d'un travail provisoire et astreignant, juste assez pour lui permettre de glisser inconsciente dans cette grande ville étrangère, d'un accident, d'une longue hospitalisation, juste assez pour y dissiper ses gains, d'une trop longue errance d'asile en asile, chez des parents et amis, pour reprendre force, tenter d'émerger, grâce et malgré les communautés où elle se trouvait propulsée, de récupérer son corps, renouer avec la sensation d'être au monde, sans réellement y parvenir. Elle avait souri, et puis flotté un peu dans la crainte que les murs, les meubles, aient perdu l'habitude de sa présence, et son corps retrouvait, sans presque qu'elle s'en rende compte, les gestes, les évitements, les enchaînements familiers. Elle avait trouvé un gratin dauphinois, une salade, un feu, un lit préparés par la vieille Madame Lepers, dîné rapidement sur la grande table de la cuisine, devant la cheminée - et c'était aussi simple et bon, que le fin sourire ridé et les yeux de son amie - pris un livre au hasard, s'était endormie dessus. Elle s'est réveillée assez tard. Le soleil faisait une grande tache sur la terre cuite du carrelage dans la cuisine. Elle s'est fait du café, a trouvé que son odeur était incomparable, a pris un bout de fromage, est sortie pieds nus, en liquette. Caresse encore un peu fraîche, piquante, mais attiédie, sur ses jambes, son cou, le haut de ses seins. Elle s'est cambrée, a regardé, s'est figée. De l'autre côté du ruisseau, au bout de son petit carré en désordre, les volets de la maison étaient ouverts, des draps séchaient, un édredon pendait de l'appui d'une fenêtre. Un mélange de réactions simultanées, sans qu'elle arrive à les ordonner. Le souvenir tendre et douloureux de ceux qui avaient habité là, le regret de la liberté qu'elle avait, au bout d'un certain temps, après la mort de la mère et le départ des autres, découvert peu à peu, savouré avec de moins en moins de honte, cette impunité, cette royauté sur ce petit espace sien, et puis aussi le plaisir de voir revivre ces murs, une petite curiosité, une petite crainte, l'idée découragée des rapports à établir, aussi cordiaux et aussi distants que possible. Elle a eu honte brusquement, a vérifié qu'aucun humain n'était visible, est rentrée s'habiller.
Buste large, si large que sa lourdeur faisait presque mal à voir, et bras curieusement malingres, yeux enfoncés sous des sourcils froncés, yeux fixes dont on ne savait s'ils étaient perçants, concentrés ou absents, long et fort nez qui attirait à lui tout le visage, le résumait, l'exprimait en force, cou quasi absent, le peu qu'il en avait enfoncé résolument par l'effort entre les épaules, toute la douceur, qui était grande, réfugiée dans l'ondulation des cheveux, la barbe fleuve, et les méplats tirés des joues, bouche niée par une moue, il portait sur lui la voûte, mon ciel provisoire, le monde, avec une générosité inconsciente, renfort désintéressé et non pesant, et, circulant sous sa garde, je sentais sa présence à la lisière de mes pensées.
11 commentaires:
Comment ? Brigetoun s'armant de courage en affrontant le mistral et les artisans ont annulés ! Je suis outrée ! Ils devraient à la prochaine foire, au moins t'offrir un bel objet ! Je rêve là ! Et si tu venais depuis Arles à pied ?
je dois aller me laver les yeux..et poursuivre..
3e photo : comme prise au fil d'une eau limpide
Juste vous dire, te dire combien je te trouve belle sur cette photo, rayonnante, vibrante, vivante et sensuelle !
Je reviendrai lire plus tard !
Il nous est arrivé exactement la même chose en début d'après-midi : surprise devant une place vide.
Te voila avec quatre blogs et si differentes aussi, bravo!
grande merci pour tes visites et commentaires!
Après avoir dansotté, repris l'équilibre et t'être frotté les yeux, aucune belle oeuvre à admirer,... c'est décevant mais, tu as masqué ta déception sous un beau sourire.
Je te souhaite une bonne semaine.
Pas de bol!
Pas de pots.
Rien que le vent
Lorsqu'on a un sourire de faïence, la poterie importe peu !
;-)
Petite photo à gauche dite "Avatar"est vraiment très belle bravo au modèle et à l'opérateur
Cadeau sourire ! merci !
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