Avignon, petite chanson matinale - et exposition au Petit Palais
amis je m'étais perdue
en longue maussaderie
dans la fuite de ce jour,
j'hésitais à avoir mal
heures coulées sans pensées,
monde regardé sans voir,
sans même attendre le soir,
amis je m'étais perdue
le ciel bleu dur m'étais gris,
je n'avais ni froid ni chaud,
ou plutôt ne le savais,
j'hésitais à avoir mal
a surgi devant mes yeux
dru soleil sur fleur jaune,
amis n'étais plus perdue,
le monde m'était présent,
oublié était mon mal
Petite chanson qui m'est venue au petit matin, à l'heure d'entre sommeils, un peu frissonnante, quand la conscience se déplie doucement, fait un petit tour, de légers projets, avant de se replier peine d'espoir.
Et puis, au réveil que le cadran disait définitif, comme toujours transgressif puisque tardif par rapport à une norme imaginaire, je me mouvais dans une irréelle indécision, sans accroche dans un jour qui avait oublié lumière, énergie, forme, et mes projets, sensés ou moins, s'en sont allés sous la douche.
Me suis plantée devant le gris, ai mis un cardigan léger sur ma robe et les molles baguettes nommées bras qui en sortaient, et m'est venue brusque envie de beauté, et l'idée que par ce temps de début d'automne, la climatisation fort redoutable du petit palais me serait insensible.
J'ai traversé la tout de même jolie affluence de la place du palais, mélange de shorts, de débardeurs, de robes décolletés et de blousons, répartis avec fantaisie, et le désert de l'esplanade du petit palais, que j'ai eu pour moi seule ou presque. J'ai salué le gisant et son provisoire masque de poisson, et suis redescendue dans la salle du rez-de-chaussée sur la cour – et il n'y avait, en effet, pour une fois, aucune barrière thermique à briser.
Suis restée un moment, pour entrer dans ce monde, devant une belle pala (une ou un, ne sais jamais) un peu postérieure, un rien moins hiératique encore que Duccio, mais toujours teintée de sacré, et au moment d'en noter, dans un réflexe peut-être idiot mais habituel, les coordonnées sur le carnet que je ne relirai pas, me suis aperçue, premier léger couic, que mon stylo-bille était mort.
Alors me suis contentée de mes yeux, et j'ai goûté, à des degrés divers (mais la plupart du temps, fortement) quelques panneaux du 14ème – gothique international à l'accent catalan – visages qui découvraient les ombres et cette façon douce de les creuser par des ocres verdis – et puis à côté d'une autre annonciation statufiée, en bois, avec des plis creusés mais déjà souples, bordés de marques de cabochons, une luminosité siennoise, avec, dans sa perfection, les petites notes qui me la rendait tendre : la forme écrasée du coude de l'ange, le visage plat et large mais si doux de la vierge)
J'étais plantée devant ce panneau, essayant d'emmagasiner, de pénétrer, de garder trace en moi de sa saveur, comme des quelques oeuvres qui dorment dans ma mémoire, ou ma façon de voir, depuis l'adolescence, quand j'ai vu un très bel appareil fonctionner à côté de moi, sous l'oeil bienveillant de la jeune gardienne, alors j'ai choisi cette autre méthode (uniquement sur ce qui me retenait aussi en lente contemplation) et voici traces de détails d'oeuvres, après le virage dans le 15ème, que j'ai spécialement appréciées, moins tout de même que la géométrie si merveilleusement humaine de ce buste jaillissant hors de la tombe, robuste et refermé fragilement sur lui-même. (et la maladresse de certains motifs à droite)
Et curieusement, à côté de cette saveur de plus en plus savante (Sienne n'était pas loin), quelques oeuvres dont je n'ai pas gardé trace, au fort goût de maladresse provinciale, plus proches des imagiers, décoratives et naïvement pieuses à la fois.
La seule photo disponible sur les différents sites consacrés à l'exposition (ce qui me permet de la légender : diptyque des deux Véronique, attribué à Bernat Martorell, détrempe sur toile, fin du 15ème)
La saveur de cette prédelle (ou panneau de coffre d'après la taille, je ne sais) – dernier reflet -l'ai pensé, sans doute à tort me dis-je maintenant que la revois, dans mon désir stupide de trouver un lien avec Raymond Lulle ou Ramon Llull – d'un moyen âge méditerranéen, avant les dernières oeuvres de mon circuit, pleine de cette encore savoureuse sécheresse, anguleuse, du dernier gothique, qui s'éloignent de plus en plus de l'idée du «royaume au milieu de la mer» que se voulait Majorque.
et, puis, après cette martyre aux seins adolescents (et la belle tête du bourreau de gauche),
devant les oeuvres sur papier, cartes nées de la collaboration entre Barcelo et les termites), ai voulu vérifier que point trop ne m'était attardée, et j'ai constaté le second couic, un couac cette fois, la mort de ma montre.
Si dépitée j'étais (et consciente du peu que je l'avais payée) que je l'ai jetée dans une corbeille de la place, et suis partie en racheter une, qui me plaît tout à fait, et qui m'a couté un peu moins cher que le trop gros catalogue (regroupant les trois expositions) auquel je venais de renoncer puisque je ne les regarde presque jamais, et que grande place aurait prise.
Et puis j'ai continué à travailler à ma transformation en grosse vieille vache, de lutter contre ces stupides nez bouché et toux brutale, fort peu de saison, et de céder à profond assoupissement. Résolution prise de me vouer aujourd'hui aux tâches ménagères négligées depuis deux jours (sauf promenade du fauber et arrosage)
15 commentaires:
J'ai remarqué ces tags sur les poubelles. Désespérément urbain. J'ai oublié ces tags par la transcendance du texte sur l'exposition. Et j'ai regardé les images. Il y a encore de la place pour la beauté.
Pierre r.
oh ces tags là nous en sommes venus à les trouver esthétiques, à côté des tags sur les mus peints (qui me mettent en rage) - Avignon est une vile de tags, même la chaussée http://avignon-in-photos.blogspot.com/2010/08/street-art.html
Belle ritournelle salvatrice !
Stylo et montre avaient tenu bon pendant le festival...
il fait mouillé ce matin ici
propice à dormir prolongé
ne sois pas brutale si
carcasse s'en ressent
en Avignon aussi
Fouiller dans les poubelles
pour y trouver le temps
le temps que tu y as jeté
oui alors qu'une pile aurait suffi - je gaspille le temps, luxe extrême
Pendant ce temps nous visitions des églises romanes de Catalogne, leur granit rose qu'ils appellent marbre, leurs incroyables retables et leurs échantillons de vierges romanes...
Le stylo et la montre ont peut-être voulu te... rendre ta liberté ?
Tu es allé à Serrabone ? peut être pas exactement Catalogne et certainement moins désert que dns mon souvenir, mais un joyau
Non (regrets !) mais : Villefranche-de-Conflent, Corneilla-de-Conflent, St-Michel-de-Cuxa, Eus, Prades.
je ne connais que Saint Michel - imagine un Saint Michel de la taille d'un grand reliquaire (avec un minuscule et très fin jubé) perdu dans la montagne - il y a 30 ou 40 ans je ne sais plus, il fallait marcher - une merveille
Ne regrette rien en ce qui concerne le catalogue, les photos ne sont pas fidèles, il vaut mieux prendre l'une des revues, juste pour le souvenir. Je n'ai pas encore visité la partie petit palais.
jusqu'en novembre, et en ce moment il n'y a quasiment personne, tu n'es pas gênée, la seconde salle en entrant pour le gisant de l'affiche et un tableau-relief assez beau et puis uniquement la salle sous celle de Carpaccio, mais dense
sauf promenade du fauber ? qu'est ce ?
"balai constitué de cordes et servant à essuyer le pont d'un navire" sauf que c'est souvenir de la marine, et que là ce n'est pas ça mais un balai éponge pour laver le sol (démontable pour être lavé lui même), manie langagière
merci pour ce cours Brige.
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