Avignon sur bleu – tourner autour de Kafka – musique
«Écarquillement constant des yeux, naturel à l'acteur, les yeux demeurant un instant fixes, encadrés par les sourcils relevés. Vérité intègre de sa déclamation : le geste atténué de lever le bras droit dont l'impulsion vient de l'épaule, la manière d'ajuster le lorgnon qui paraît emprunté, tant il tient mal ; la position de la jambe sous la table, tendue de telle sorte que les faibles os entre la jambe et la cuisse se meuvent sans cesse ; la courbe du dos qui est d'aspect chétif, un observateur ne se laissant pas tromper dans son jugement par l'aspect d'un dos uniforme comme il pourrait l'être en contemplant un visage...» J'ai emmené Löwy lisant (je le voyais si bien) dans mon sommeil après avoir refermé, aux petites heures de samedi, le journal de Kafka, repris pour faire suite au Procès, et à la relecture de cette merveilleuse phrase de fin : ««Comme un chien !» dit-il, c'était comme si la honte dût lui survivre.»
un qui partait à l'assaut de la mairie le matin, pour introduire quelques images d'Avignon en lumière en guise de ponctuations
Ai repris, trente ans après (une petite cinquantaine pour le Procès), la lecture du Journal (m'a fallu les racheter) grâce à sa présence dans le tiers.livre où j'ai découvert les carnets que je reprends régulièrement, en contrepoint à la lecture des petites histoires ou bribes publiées presque chaque jour par Laurent Margantin sur Oeuvres ouvertes - plaisir de ses choix, et de cette nouvelle traduction à laquelle il s'attelle après celle des Grains de pollen de Novalis http://www.publie.net/fr/ebook/9782814503496/les-grains-de-pollen - découverte qui ouvre mes journées, comme
«Poséidon
Poséidon était assis à son bureau et comptait. L’administration de tous les océans représentait une somme de travail infinie. Il aurait pu avoir autant d’assistants qu’il aurait voulus, et il en avait beaucoup, mais comme il prenait sa charge très au sérieux, il recomptait tout lui-même, et ainsi les assistants ne lui étaient pas d’un grand secours. On ne peut pas dire que son travail le réjouissait, et il ne l’accomplissait à vrai dire que parce qu’il lui était imposé. Il avait déjà postulé souvent à des emplois plus joyeux...» la suite = http://www.oeuvresouvertes.net/spip.php?article699
Lire , je vous le conseille, «retour à Kafka» http://www.oeuvresouvertes.net/spip.php?article694 où il expose son projet, et, en cliquant sur les petites vignettes de l'auteur en sage jeune homme vaguement rêveur, les petits trésors offerts.
J'avais chois Kafka pour ma nuit, parce qu'il était dans l'air de ces journées, parce que, aussi, le dernier atelier nocturne dirigé par François Bon à la belle bibliothèque universitaire d'Angers, «je suis un monstre des solitudes» (mais ça c'est de Beckett) http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article2339 partait du Journal et de tous ces moments où Kafka parle des conditions de son écriture
«Vers le soir, sur le canapé, dans l’obscurité de ma chambre… Si la lumière du vestibule et celle de la cuisine tombent en même temps sur la porte vitrée,...» et que, comme il nous y invite, après avoir lu attentivement - je le croyais du moins, l'avais tenté - sa belle évocation, j'ai, comme chaque fois, cédé à la tentation.
Ce qui a donné, beaucoup trop long, beaucoup trop primaire, cela que, redevenue lucide, en le relisant après les phrases qui ouvraient au désir d'écrire d'Elonex et de Christine Jeanney, et la poésie de Maryse Hache (nous sommes des fidèles de ces invitations), j'ai trouvé furieusement évocateur d'une recette de cuisine, que Christine Jeanney, plus indulgente, a nommé «making-of de Paumée»
Écrire chaque jour, obligation, colonne vertébrale, marquer le passage du temps qui dans ma solitude s’étendrait indéfiniment. Une idée qui vient de l’ouverture sur le jour dans la cour le matin, un mot entendu ou lu, et immobile j’attend un moment qu’une phrase s’esquisse, et une autre, et si cela se dessine, retrouver l’écran, ouvrir Open Office, commencer. Les mots qui s’enchaînent, ou rien, et l’abandon. La musique qui vient de la radio. Un frisson. La chaise qui racle les carreaux quand je me lève, et plus tard le souvenir d’un texte, le dos crispé, la nostalgie d’une saveur, les pieds nus sur les carreaux, le retour inconscient vers la chaise, ma place. Tassée devant l’écran, yeux levés, l’angle du plafond et du mur, et le haut cintré des volets intérieurs, une trace de poussière, l’idée paresseuse de l’enlever. Juste de quoi baisser les yeux, regarder les lignes commencées, en ramenant le fichier au premier plan, relire, changer un mot, chercher à raccorder sur la saveur évoquée. Sauvegarder, se lever. Faire du thé ou prendre un bonbon. Laisser rouler la pensée, ou le rêve ou rien, le froid ou la lumière qui descend, l’idée d’une photo prise le matin.
Un peu plus tard, relire ce qui était là en massant mon genou, décider de le garder. Choisir une image ponctuation. Écrire, à la suite, la lumière qui descend, le thé, l’histoire que racontait l’image. Trouver que c’est mauvais, parce que avec les jours, les lignes quotidiennes, un besoin est venu que cela ne le soit pas totalement. Avoir mal ou faim. Garder, sans se réconcilier. Revenir aux textes des autres. Aimer ou non. Trouver une idée, la laisser se développer dans le vide. Une phrase à la radio, les yeux sur la boite tibétaine où il n’y a plus de crayon et le souvenir d’une colère. Une ligne rajoutée qui contredit ou conclut. Copier/coller sur Paumée.
suis partie, en début de soirée, c'est-à-dire, maintenant, dans la nuit, vers l'opéra pour un concert de musique russe, dirigé par Alexander Vakoulski.
Avec une petite entrée en matière française : la musique de Pascal Dusapin pour « entre les mains » un film d'Anne Fontaine : lente montée aigüe des violons, les contrebasses viennent calmement en dessous, entrelacements de timbres, tout en tension, en longues phrases, qui m'a laissée agréablement froide.
Arrivée du soliste, Alexander Kniazev, chemise, pantalon noirs et coiffure de chanteur rive gauche années 70. Pour le concerto n°1 pour violoncelle et orchestre de Chostakovitch, pour lequel j'ai, personnellement, un fort goût.
L'attaque martelée, un peu acide, comme une musique populaire, les éclairs des flûtes et du hautbois, l'entrain, les cordes et les vents en houle profonde, avec des stridences, la fin qui se meurt lentement.
Et le second mouvement - auquel les suivants se sont enchaînés sans autre interruption qu'une césure marquée par le violoncelle – le moderato, lenteur solennelle des cordes, mélopée douce et chaude du cor et l'entrée discrète du violoncelle, le chant qui monte, la dynamique des volutes souples, sans que se perde la marche, les saccades, les interventions des vents, la clarinette en vedette, la volubilité du violoncelle, les réponses, le cor péremptoire, toujours la progression – la césure, reprise du violoncelle, avec plus de velours, d'autorité, de force, sur un chaloupement de l'orchestre, les phrases graves se déroulant sur des pizzicati, les interventions des instruments à vent.... une belle richesse. (notes pagailleuses, dans le noir, inachevées)
Comme bis, deux suites de Bach, la première avec une sonorité que j'ai trouvée un peu sèche, et je ne sais laquelle, très connue, belle sarabande.
Un entracte avec grande envie de fumer, sans rien pour céder à la tentation, dans la douceur de la nuit sur le balcon, au dessus des cabanes fermées (qui empêchent les restaurants et bars de déployer leurs terrasses pour les derniers beaux jours)
Et puis une bonne interprétation de l'Oiseau de feu de Stravinski, avec tout de même, pour moi, dans les passages où le thème, entre les brillances ou les moments forts, s'éternise avec les cordes, un ennui mêlé d'envie de fumer, qui fait que me suis levée après le second salut du chef, lequel a donné un bis pendant que je descendais la première l'escalier,
comme je l'ai constaté sur la télévision dans le hall. Je me suis fait une raison. J'ai salué les ouvreurs dans leur nouvelle tenue, un peu grooms mais en bleu gris, et suis redescendue vers l'antre.
10 commentaires:
Comme ce sentiment que vous décrivez est juste:
"Trouver que c’est mauvais, parce que avec les jours, les lignes quotidiennes, un besoin est venu que cela ne le soit pas totalement."
On le pense souvent de ce qu'on a écrit, enfin, on...
J'ai lu Kafka (ses contes) au bord de l'étang l'été 2009. Je ne sais pas si je le lirais juste avant de me coucher : trop troublant.
De Kafka à Jean-Sébastien. Une journée comblée. À vous lire, j'ai eu soudainement le goût de réécouter une cantate avant de regagner le lit.
en harmonie avec tes séances d'écritures.
me fais une raison de ne pouvoir entrer dans toutes tes demeures..
J'aime beaucoup comment tu racontes ton écriture ... et je souris parce que même sans ça, je le voyais déjà tant tes mots sont vivants.
Quel dommage qu'une telle journée "comblée" s'achève sur cette image des "cabanes", si laides, si laides que pour rien au monde y crécherait
je retiens la peinture au rouge dominant
Tiens pour Chostakovitch :
http://bit.ly/9ZQshV
Et pourquoi pas d'autres "petites images " de l'ami Franz:
http://www.gerard-bertrand.net/albumprem.htm
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