Lecture pour mes dîners et débuts de nuit de samedi et dimanche de « contre l'oubli » recueil d'articles écrits entre octobre 1944 et décembre 1948 par Henri Calet pour « Combat », « Terre des Hommes », et un peu « France soir » et autres. Renouer avec ce qui fut (en un peu moins dénué) ma prime enfance, et qui s'ouvre sur ce climat de pénurie et de petite angoisse rampante derrière les joies dont je me souviens tout de même, qui nous aide peut-être, par delà l'aisance, la presque opulence que nous avons connues ensuite, à accepter un peu plus facilement des manques que nos cadets, même nous les relativement privilégiés qui ne connaissions pas beaucoup de ce qui semble indispensable aujourd'hui. Et puis ouverture sur les faux remèdes qui ont amené cette paix, cette postérité, que nous risquons de payer, sans que jamais la base, même si elle en a bénéficié en bonne partie, n'ait été véritablement décisionnaire, ni sans doute consciente.
Et, navrée, mais pour moi, pour fixer ces impressions, de longs passages, juste de quoi redonner une ambiance, celle de 1945, avec ce ton calme, sourdement révolté, humain, juste avant l'étalage prédicant qui est celui de Calet (sa gentillesse vraie)
« Terre des Hommes » - 13 octobre 1945
« Mais on aimerait qu'il fût parfois question de la paix en haut lieu, plutôt que de zones d'influence ou de partages de territoires ou de bases stratégiques. Ces gens usent encore d'un ancien langage.
La paix. Nul ne prononce plus son nom que de façon timide et presque clandestine.
On voudrait déclarer tout de même, que tant de chair et tant de sang, cela pourrait donner un ciment durable, sinon définitif. Car on ne croit plus exagérément à la paix éternelle, sauf, bien entendu, pour ceux qui reposent dans les cimentières de campagne. En somme, nous nous contenterions de peu.
Pour se rassurer, on se dit que la guerre vient à peine de finir et que l'on meurt beaucoup moins en Europe, et ailleurs ; que l'on souffre moins aussi. La rumeur des batailles a tout d'un coup cessé, sur terre, sur mer, au ciel ; la puanteur des charniers se dissipe. Et l'on s'en réjouit. Mais il ne semble pas que ce soit la paix véritable ni dans les esprits, ni dans les coeurs, ni tout autour de nous. Le contraire de la guerre n'est pas forcément la paix. On le voit... »
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« Terre des Hommes » - novembre 1945
« .. Sixième hiver sans feu, sixième hiver de privations de toutes sortes, et peut être pas le dernier. Nous nous lamentons un peu, et sans trop insister. À quoi bon ? Les explications qui nous sont fournies en haut lieu nous paraissent valables, en général. On nous démontre par des statistiques et des chiffres de catastrophe que nous sommes ruinés, que nous ne possédons plus rien ; nous le croyons. Le monde subit les conséquences d'une guerre au cours de laquelle il a été détruit le maximum de choses ; sans compter les hommes qui se remplacent plus aisément qu'une usine ou un barrage. On ajoute que cette misère, d'autres peuples le connaissent également. L'Europe entière est dans la misère. Nous sommes convaincus de tout cela et c'est pourquoi nous rouspétons à peine ; nous nous montrons compréhensifs. On souligne par ailleurs que nous vivrons dans la même gêne durant des années ... »
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« Terre des Hommes » - 1er décembre 1945
« Les journaux d'à présent ne parlent plus que de la désintégration de la matière. Le professeur Einstein vient de déclarer que les deux tiers de la population du globe peuvent être anéantis par les bombes atomiques. Ces prophéties apocalyptiques nous font réfléchir. Une chance sur trois, c'est peu. Et nous nous dévisageons les uns les autres avec commisération.
On mange cependant, bien sûr, on dort, on travaillotte à la reconstruction du pays, on prolifère malgré tout, mais plutôt par routine, on tâche de faire encore de modestes économies, par tradition, et puis, pour les réjouissances hebdomadaires, on se rend à l' »Océanic ».
…
Mais quelles prières faudrait-il dire pour être entendu des hommes alors que Dieu lui-même ne les entend pas ? On pourrait essayer : saint Truman qui êtes à Washington, saint Attlee qui êtes à Londres, saint Staline qui êtes à Moscou, protégez-nous, ayez pitié de nous.."
Bon, la misère de masse nous a quittés, les voitures ne sont plus privilèges, et nous déplorons leur prolifération, nous avons apprécié de pouvoir acheter le confort, nous avons appris à avoir d'autres désirs, nous faisons fonctionner l'économie, et, si nous risquons fort de redescendre la pente, ce n'est pas encore certain pour tous, ou très lentement, nous n'avons plus eu de guerre, en Europe de l'ouest du moins, nous nous sommes accoutumés à la bombe et ne craignons plus, vaguement, que d'éventuels accidents de nos centrales (plus bien entendu notre incapacité à savoir que faire des déchets), nous avons approuvé avec joie, et enthousiasme au début, les décisions de nos dirigeants qui ont « fait » l'Europe, mais on aurait aimé, simplement, qu'ils ne substituent pas à la guerre cruelle la guerre économique. Bien entendu pour que les affaires marchent il faut une guerre et celle ci paraît un moindre mal, mais nous sommes insatiables, nous aurions aimé que vous inventiez une véritable paix. De quoi nous permettre de chercher vraiment à l'étendre au monde, en accord avec les autres peuples.
10 commentaires:
Pardon pour l'indigestion provoquée par mon billet hi hi.
Bonne nuit tout de même.
oui nous aurions aimé, au moins
---que tout le monde ait à manger, c'est tellement naturel que les pauvres doivent être punis pour avoir volé..et les pays aussi
--- que les pourvoyeurs de drogue soient nourris autrement qu'en cultivant ces plantes de la misère
--- que la chair des canons ne soient plus étoiles admirables sur les frontons et les plastrons
--- nous aurions aimé tant de choses simples pour commencer.
Il viendra peut-être le temps des vases communiquants où les plateaux de la balance s'équilibreront ou bien tous nous mourrons
la guerre est là aujourd'hui encore. Quand je vois le nombre de personnes inscrites au resto du coeur, secours populaire, secours catholiques...
C'est une guerre discrète mais jusqu'à quand ?
La transparence des choses : belle photo à tiroirs.
Je repense à un livre de Maurice Clavel : il avait repris comme titre ceux des journaux dans lesquels il s'était engagé => "Combat de Franc-Tireur pour une Libération" (Pauvert).
Quand les hommes redeviendront bonobos on en sortira peut-être ? Belle photo, oui.
Tu n'as pas besoin de filtres graphiques pour que tes photos ne soient plus des photos mais des tableaux.
Photo saisissante à travers ce reflet. Un rappel pour que l'oubli ne nous envahisse pas. Un rappel pour mémoire qui est si éphémère. Des mots pour se souvenir. Sans effet de passéisme.
percutante ta dernière photo
un montage bien entendu
...qui me parle de guerre et de populations civiles.
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