commentaires

désolée, Paumée se veut à l'abri, sauf quand un acte fait déborder le vase, des allusions à la politique ambiante.. et si je suis reconnaissante aux envies de commenter je vous demande de me pardonner de rétablir la modération

lundi, décembre 27, 2010

Il était massif, aussi massif que riche, c'est ce qu'on savait de lui en l'abordant, et donc qu'il était puissant. Forcément. Il était là, borne vers lequel tous se tournaient, le voulant ou non. On aurait dû le détester, ou le craindre, ou le maudire, ou le flatter, ou au contraire (pas forcément d'ailleurs) vouloir attirer son regard, le garder, se frayer une place à sa suite. Et, toujours, il faisait face. Il ne cherchait pas à plaire. Il regardait. Il appréciait, découvrait en chacun une petite trace de beauté, ou d'intelligence, ou de charme et, un temps, il le mettait en évidence. Il semblait parfois, souvent, venir vers vous, avec simplicité. On en venait, certains en venaient, à le juger simple, bienveillant mais malléable, peut-être légèrement creux – cela bien entendu on ne le disait pas. D'autres soulignaient que, pour saisir avec une telle perfection des personnalités diverses, y répondre, il possédait évidemment de multiples facettes, et, comme on ne pouvait le soupçonner de frivolité, d'inconséquence, un cerveau puissant, une grande capacité d'assimilation, sans doute une riche vie intérieure. On ne savait pas son âge. C'est insensiblement, lentement, que les ans l'attaquèrent, et on fut surpris, un jour, de s'apercevoir qu'il marchait plus mal, qu'il semblait avoir perdu un peu de son gigantisme, de son éclat, de celui que nous tirions de lui. À sa mort on découvrit qu'il tenait un journal, et on en attendit avec impatience, curiosité, un peu de crainte d'être déçus, de le lire. On jalousa, pour cela aussi, son héritier, et on insista pour qu'il le publie.

(22 décembre)

Pour l'enterrement de mon beau-père, ses quatre fils se sont retrouvés, pour la première fois depuis des années. Je ne connaissais que le second, Jacques, qui représentait l'entreprise en Italie et passait donc régulièrement quelques jours à Montrobier, pendant lesquels son père grommelait un peu, s'agaçait de sa supposée frivolité, avec une gourmandise inavouée. De Guillaume je savais seulement qu'on n'en parlait pas, mais qu'il vivait en Californie et que la tante Gauthier correspondait avec lui. Et Bernard, bien entendu, était dans son couvent. J'ai entendu des voix dans le salon et je suis entrée. Ils se sont retournés et m'ont regardée. Grands, secs, petits yeux d'un bleu trop clair, longs nez droits dans des ovales plus ou moins larges, un peu raides – ne différant que par ce que cette raideur laissait deviner de possible souplesse, et bien entendu par leur chevelures, le gris classique de mon mari, le catogan beige de Guillaume, la mèche drapée sur le front de Jacques et le hérisson brun de Bernard... sa tonsure aussi bien entendu. Je me suis sentie petite et étrangère, face à leur mur, et j'ai prié silencieusement pour que les fissures ne se déclarent pas avant leur dispersion, que la paix soit maintenue sans manœuvres trop pénibles, que le pouvoir de mon mari soit reconnu, que cela lui permette d'afficher un courage serein en apprenant mon départ.

(20 décembre)

Elle était là et elle était belle. C'était évident, présent, on n'en parlait pas. C'était une part de la trame sur laquelle nous brodions nos vies, nos discussions, nos remises en cause de tout et de rien. Elle parlait rarement, et jamais de choses matérielles, de projets, de ce qui organisait notre cadre matériel, et davantage, notre chemin. Cela elle l'assurait, le faisait en silence, avant que nous y ayons pensé, nous laissant juste la possibilité de variantes, d'inflexions, ce qu'il fallait pour que nous nous sentions libres. Et quand nous écoutions ce qu'elle avait laissé tomber dans un silence, quand nous y prêtions attention, en un choc rapide, fugace, nous nous émerveillions, et puis le fil continuait, nous passions à autre chose, ses mots restant comme un dessin sous-jacent. Nous aurions dû l'en détester. C'était impossible.

(17 décembre 2010)

j'ai cultivé la flemme qui m'a fait renoncer à un aller et retour vers Grignan, et n'ai guère fait plus, sauf lire – je reprends paresseusement des participations au convoi des glossolales http://leconvoidesglossolales.blogspot.com et leurs photos-sources

8 commentaires:

D. Hasselmann a dit…

Le journal posthume qui apparaît soudain semble porter avec lui, au creux de ses pages, des grains de la terre où reposait celui qui l'avait tenu.

Lautreje a dit…

les sources donnent de jolis ruisseaux.

jeandler a dit…

Le journal, l'autre côté du miroir...

Michel Benoit a dit…

La nuit, le rocher est d'or !

joye a dit…

Merci donc pour les jolis amuse-tête.

Pierre R. Chantelois a dit…

Faut-il publier un Journal? Journal posthume dans lequel sont consignés tant de secrets et, parfois, de petites et grandes mesquineries.

arletteart a dit…

Tout ce que l'on ne dit pas ...qui reste là au creux du coeur
même des petites "mesquineries" nul n'est parfait et cela fait du bien

Gérard Méry a dit…

Comme l' OR massif de ta première photo