Absente au monde et les yeux pleins du souvenir du bleu, et la peau pleine du souvenir de la caresse douce d'une tiédeur timide, suis partie dans les rues en quête de nourriture,

et le froid a enserré ma tête nue, a durci, à peine - parce que froid, hein, c'était mais froid de notre sud -, mes joues, mes épaules se sont rétractées et mon sac en tombait.

Me suis contentée de la rue de la République et du Carrefour, et suis rentrée, crispée, en regardant la ville écorcher le ciel de ses fers et de ses branches.

Et si bel effort faisait que, par moment, par place, le bleu, doux à en pleurer, qui était sous le gris apparaissait, contaminait l'ensemble, la lumière transperçant doucement les nuages jusqu'à les imbiber.

Pendant que je flottais dans ma journée, le bleu profond et rayonnant s'est installé. Ai suivi du coin de l'oreille l'Assemblée Nationale, ai mixé avec un peu de poésie et de repassage. Ai attendu tout doux en priant carcasse de se taire le soir,

parce que j'avais très envie du concert donné par Anne Gastinel (violoncelle) et Claire Désert (piano) et, ma foi, il en valait la peine, dans l'ensemble, même si j'aurais préféré que les deux premières pièces soient gardées pour la fin et partir sur le bonheur qu'elles m'ont donné.

Violoncelle doux, mélodieux, rejoint par notes égrenées au piano et la simplicité nerveuse de l'andante de la sonate n°3 de Beethoven. La construction. La beauté inouïe et tendre du violoncelle dans l'andante et le début du dernier mouvement.

Ensuite, la sonate en ut majeur écrite par Britten pour Rostropovitch. Une musique que j'aime tout spécialement. Une très belle exécution.

J'étais si contente que j'ai hésité à partir à l'entracte, parce que la suite, à mes yeux, et tant pis j'assume, et fortement, était de moins belle facture. Et puis je me suis gendarmée.

Et c'était souvent beau, mais Schumann, que j'aime souvent beaucoup, m'a semblé d'une sensiblerie un peu collante dans le premier morceau de la Phantasiestucke pour violoncelle et piano (pourtant le violoncelle s'étirait en miel profond fort agréable), même si j'ai préféré la suite.

Mon recul venait plutôt de mon parti-pris exaspéré contre Chopin, si ce n'est qu'en effet je préfère nettement la sonate n°4 aux très aimées pièces pour piano. Apprécié la construction, aimé le jeu et la sonorité du violoncelle. J'ai été souvent séduite, spécialement par le début du finale mais pointait souvent, mauvaise foi ou non, l'irritation qui me vient devant cette sensibilité profonde exhibée avec tant de talent et de sincérité commerciale. Je ne suis absolument pas idiotement partiale, mais tout de même quand pour le bis on a annoncé Chopin, j'ai empoigné manteau, sac, lunettes, programme et suis bien vite sortie

J'ai salué Molière stoïque sous sa lanterne, et suis repartie, la première, dans le petit vent qui se levait, en regrettant une fois encore la mort au champ d'un vase renversé du disque qui comportait l'enregistrement de la sonate par Britten et Rostropovitch.