Long pillage en faux voyage
Cul posé sur chaise, ou parfois jambes circulant mais à l'intérieur de mes murs protecteurs, sans idées, juste capable d'avoir plaisir du jeu de la lumière sur eux, je me suis offert voyages en imagination, presque réels par la grâce des mots, de leur puissance d'évocation quand sont choisis, mis en forme par Gracq, en plongée dans les «carnets de grand chemin» (avec le plaisir des pages à couper, ô les surprises des occasions sur Amazon) mais je me sers de mon présent pour peupler de quelques images mon pillage.
sautant à travers la France, et même un peu le monde, en longues et attentives routes, avec, un peu au hasard, et parce que, parmi les pays que j'aimerais connaître il est moins souvent évoqué que des destinations lointaines, le Gers, qui, oublieux des Armagnacs du temps de Charles VII «s'est donné par le coup de soleil d'un mariage de coeur à une fiction romanesque et folâtre» pour être le département des Trois Mousquetaires
«Le chapeau pointu des médecins de Molière coiffe ça et là, non sans humour, la tourelle des gentilhommières éparses dans la campagne : il flotte un air de gueuserie à la fois délabrée et parodique sur les gîtes de cette noblesse amie de l'opérette qui semble vraiment,, à considérer son standing rustique, n'avoir compté que des cadets. Castels paysans de peu d'apparence, bâtis de matériaux médiocres sous le crépi qui s'effrite : des grumeaux d'argile jaune, plutôt que des moellons, font ici le plus souvent, quand le pisé ne les remplace pas, la substance des murs........ On comprend que les beaux fils de la Gascogne, aux longues rapières et aux longues dents, se soient échappés par volées de leurs pigeonniers faméliques comme des corbeaux de leur corbeautière. »
et, de route en routes, de sensations en réflexions doctes et rêveuses, celles qui traversent le plateau central, parce que même souvenirs de leur fausse monotonie, et même goût, j'en ai, du temps où les faisais, en petit bloc calfeutré dans l'habitacle avec mon père, variant l'itinéraire comme cela était possible avant l'autoroute, chance pour les petites villes, regret pour l'intimité supposée qu'elles permettaient avec les plateaux, les vallées brusques, ces vues immenses et animées, la terre ingrate produisant des pierres ou les creux humides :
«dans cet équilibre instable et plus que menacé, il suffit à chaque instant d'un accident minime du terrain ou du relief : une plaque de lave ou de calcaire soudain plus chaude, un versant raide exposé au midi, pour que le sud brutalement, à un détour du chemin, éclate et flambe au creux de la verdure mouillée........ Seulement, dès qu'on sort des gorges mouillées et que de nouveau on s'élève, on a changé de région : on a quitté le repaire des arbres, on est entré dans le pays des lointains calmes, dans la région des montagnes bleues. Les poumons s'emplissent d'une inspiration délicieuse quand on roule vers la fin de l'après-midi sur la route qui, par St Sernin, avant de plonger vers Lacaune, suit pendant longtemps une ligne sommitale, tandis que partout au loin émerge et s'allonge sur l'horizon, sans arêtes, le troupeau des douces montagnes rases, fourrées de bruyère, et parfois sommées de longues barres de forêts, dont la couleur semble déjà toute infusée de nuit, et fait penser à ces teintes d'ardoise tendres et de cendre bleue qui flottent autour du disque de la lune, quand il apparaît longtemps avant le coucher du soleil dans un jour clair.»
mais au bout de 100 pages, la maison me réclamait, j'ai levé la tête, me suis souvenue que j'exécrais la voiture (sauf justement les routes hors foule et qui prennent leur temps) et puis, après un peu de ménage, un peu d'épluchage, un rien de repassage, j'ai attrapé un de mes Giono préférés, de ceux de la fin, quand il devient plus sec, laisse parler la nature de son sud, autour d'une histoire de gens «à côté», «l'Iris de Suse», et j'ai accompagné, un peu, Tringlot, dans sa montée à pied de Toulon aux pays perdus de la montagne.
«À mesure que l'heure passait, la lumière écartait davantage les branches de son éventail ; des décors s'effaçaient, d'autres se dressaient : un pan de forêt en écailles noires, des rochers ruinés qui échangeaient quelques gros oiseaux, la couronne grenat d'un village de bois au sommet de vertigineuses prairies, la chapelle de Saint-Basile (dit Loubet) avec son clocher en fer de lance, en équilibre dans de fragiles éboulis d'argent, une étroite chute d'eau dressée immobile sur le socle des bosquets, bourdonnant comme un bourdon, une forteresse dépenaillée dans des ardoises, la fourrure des frênes le long des sentes, les éclats de lumière dans les pierriers, les jardins potagers très hauts, gros comme des timbres et peints en violet à coups de pioche...»
et puis j'ai fermé les volets sur la nuit qui emplissait la cour, presque, avec un peu de jour enclos, et me suis tolérée, moi et mon vide en ce jour.
11 commentaires:
Giono, Gracq pour mater les vides... Bonne recette.
pas si faux que ça le voyage !
"les jardins potagers très hauts, gros comme des timbres" ah, c'est très beau ça.
Julien Gracq, jamais trop tard pour le découvrir.
le découvrir non, mais les carnets oui
Tolérer son vide ... la grande histoire de chaque jour :)
N'est-il pas un homme des grands espaces, influencé dans son enfance par la présence du fleuve de la Loire? Et nous avons un point en commun : nous exécrons la voiture.
Pierre R.
Ça berce !
Il est bon de capter les mots oubliés au passage Merci j'aime cette façon de "piocher" par ci par là
Un voyage autour de ma chambre,
autrement dit.
ça a un grand avantage:
on peut s'arrêter quand et où l'on veut sans risquer de manquer de crêche.
Giono, un bonheur lorsqu'il parle de ses gens du sud.
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