Néantissime, d'où trop long pillage
Ciel bleu dur sur la cour, mais jolis restes de mistral froid – froid, je le supposais, à tort je crois, mais le croyais sans vérifier parce que carcasse grommelant, courage se désagrégeant, me complais dans la petite défaite de l'âge et l'érosion des enthousiasmes, me rencogne, ne risque point ma peau dans l'air, et me chantonne Villon, et les premiers vers du petit testament, qui me furent longtemps refrain, quand justement de se rencogner ne pouvait être question :
«En ce temps que j'ai dit devant
…
que les loups se nourrissent de vent
et qu'on se tient en sa maison,
pour le frimas près du tison » même si de tison je n'ai pas – et reviens sur les lectures qui se sont glissées dans mes moments de conscience ces jours-ci.
« la science des lichens » de Mahigan Lepage http://www.publie.net/fr/ebook/9782814504059/la-science-des-lichens son troisième texte sur Publie.net après le très aimé « vers l'ouest » http://www.publie.net/fr/ebook/9782814502857/vers-l-ouest (et http://brigetoun.blogspot.com/2009/12/y-avait-la-foire-aux-chevaux-lundi.html ) et le « carnet du Népal » http://www.publie.net/fr/ebook/9782814501515/carnet-du-népal ramené d'un voyage dont ce dernier texte pourrait être un prolongement, un approfondissement,
«j’aurais mieux fait de m’en tenir au circuit principal et marcher d’un guest house à l’autre bien gentiment mais non, j’ai préféré grimper une montagne par un sentier impossible et boire de l’eau sale et manger du vieux dhal bat bourré de coliformes fécaux, tout ça pour aller effrayer des enfants avec ma pauvre paire de jumelles, tout en répandant mes billets de banque un peu partout dans le village,»
Une seule longue phrase, une litanie de navrances, désillusions, refus, explications, articulée sur des groupes de mots repris comme des refrains, comme des appuis qui permettent au verbe de prendre appui, de rebondir, de continuer, en s'infléchissant le cas échéant, d'introduire un nouveau thème. Un Thomas Bernhard (je ne sais, je crois que cette impression n'est pas partagée mais elle fût chez moi instinctive, et s'est installée – et cela faisait partie du plaisir, comme une compagnie, une presque familiarité) qui aurait renoncé presque définitivement aux points, qui rebondirait sans pause – cependant à quelques reprises les propositions s'enchainent ex-abrupto sans cet appui du refrain ou d'une subordonnée et le point est peut être là, invisible mais sensible furtivement.
Je me demande s'il serait audible dans la belle expérience que pourrait être une lecture à haute voix, comme un fleuve dont il faudrait rendre évident la façon qu'a le déroulement de la phrase de ne jamais perdre de vue le sens, de faire récit.
« ou bien la ville dans notre dos qui éclaire, au nord de Paris le jour était faux, maintenant au sud c’est la nuit qui est fausse, on oublie que tôt ou tard les illusions vacillent, les illusions vacillent et reste la science des lichens, les arrêts de la ligne B portent les noms attendus voyez, »
De l'amener jusqu'à cela : que cette phrase, ce discours, c'était façon d'accompagner la désespérance.
« nous voilà au bout de la ligne, dehors sont pour vous les rues et d’autres trajets, en ces proliférations que vous appelez vos villes, toundras de lichens craquant sous vos pieds, les portes s’ouvrent et nos corps se disloquent, partez maintenant je me tais, il y a ce tunnel creusé sous les voies, attention à la marche en descendant du train. »
et puis, ai profité des offres , celle de Joachim Séné dont j'avais aimé « sans » http://www.publie.net/fr/ebook/9782814503687/sans ( http://brigetoun.blogspot.com/2010/10/honte-moi-entre-ma-forme-physique-et.html) et la crise http://www.publie.net/fr/ebook/9782814503045/la-crise ( http://brigetoun.blogspot.com/2010/02/encephalogramme-plat-et-paresse-grande.html) et puis les petits et jubilatoires « hapax » http://www.publie.net/fr/ebook/9782814501584/hapax et « roman »
« http://www.publie.net/fr/ebook/9782814502246/roman », qui sur son blog http://www.joachimsene.fr/txt/spip.php?article232 offre un texte inédit « maître et esclave », fable sur les appartenances, roman à la De Foé
« Muraille, frontière. Entre domaines semblables à celui de B. Où, si je tombais en cherchant à m'évader, je deviendrais immédiatement prisonnier, condamné à de plus durs travaux qu'aujourd'ui, dans des conditions abjectes dans lesquelles sont traités les fuyards et les meurtriers
…...............
Et si je partais, ma vie ici disparaissait. Qui serais-je au dehors ? Et que pouvait être le dehors de tout, puisque tout ce que je connaissais était le domaine.
…...............
J'avais l'effet de surprise avec moi, j'étais au coeur de la forêt riche de nourriture, de bois, riche de vie, silencieuse d'un brouillard humide qui collait mes vêtements contre ma peau et les bruits loin de mes oreilles, forêt peuplée de peur, de la peur du garde devant moi qui a peur de ma peur de le voir.
…...............
Tout ce temps où j'étais esclave, j'étais maître. Maître du domaine. Maître de toute chose en ce domaine. Maître de mon travail qui faisait vivre le domaine. »
y ajouter des cieux, des arbres, des plantes, une garde.. et dégustez.
Et chez Laurent Margantin, qui met en ligne http://www.oeuvresouvertes.net/spip.php?rubrique60 ses traductions de Novalis et Kafka, des textes de Maupassant, Baudelaire, Montaigne, et, découvertes pour moi, Marc Bonneval, Lêdo Ivo (très beau poème) et Serge Meitinger (qu'il me semble avoir lu, que je vais redécouvrir), ses « dits de Reger » et des textes de lui regroupés sous le titre de « Visions secondes » (goûtés comme l'avais fait d' »insulaires » http://brigetoun.blogspot.com/2010/01/comme-le-ciel-etait-moins-bleu-mais.html)
où j'ai retrouvé et découvert choses délectables et graves, à travers son écriture précise, régulière, habile, sensible, satirique
« On se souvient en effet des événements tragiques qui, au cours du vingtième et unième siècle, accompagnèrent la disparition des livres en papier : nombreux suicides spectaculaires de rats de bibliothèque, immolations par le feu de groupes entiers de lecteurs dans des librairies, attentats visant les boutiques où l’on vendait des tablettes numériques. »
ou
« Tu te souviens des fleurs ? Jaunes, oranges, roses, rouges, toutes les fleurs que nous avons déposées autour du trou de feu ? Et les dieux et les déesses que nous avons portés sur leur socle ? Et les grandes herbes que nous avons parsemées ? Et l’eau des noix de coco dont nous avons aspergé les braises ? Et les femmes en sari jaune et orange qui sont venues s’asseoir tout autour du trou de feu ? Et les visiteurs derrière les barrières, silencieux ? Et la procession à laquelle nous avons participée sur la plage un peu plus bas, avant-dernière purification avant l’ultime purification ? Et nos muscles et tout notre corps affaiblis par les dix-huit jours d’abstinence ? Et le rythme des tambours qui nous vidait le crâne, nous préparant à la dernière épreuve, la marche sur le feu ?
ou
« Surtout, j’étais troublé de ne ressentir nulle chaleur à son passage. L’un d’entre nous se risqua même à s’avancer vers la torche humaine, qui se retourna et voulut lui serrer la main. Son vis-à-vis accepta, sans être brûlé. Il me sembla même que la torche humaine dégageait un grand froid, oui, un froid polaire en cette nuit si chaude, encore brûlante des feux qui avaient été allumés partout dans les rues autour. Etais-je en revanche le guide, je reculais, me tenais caché dans le noir, pétrifié, bouleversé par la venue de la torche humaine qui, je le savais, allait désormais habiter toutes mes pensées jusqu’à la fin de mon existence»
et puis la beauté du premier des nouveaux textes confiés à Publie.net par Jacques Ancet, regroupés sous le titre de « la Tendresse » http://www.publie.net/fr/ebook/9782814504042/la-tendresse (je n'ai pas eu encore le temps de lire les deux autres)
Ce premier texte, donc, «un travail du noir» : savoir que c'est là, présence devinée, recherchée, appel entendu, à côté de la femme aimée, des enfants - avancer dans cette quête, le souffle retenu, haché par le texte qui progresse en groupe de mots attentifs – et, avec crainte, depuis l'obscur, aller vers cette lumière, tenter de connaître, de saisir. Le calme qui vient avec le jour, la présence qui se devine, indistincte encore et que le jour efface, mais qui s'approche, qui va émerger, depuis les profondeurs de l'histoire humaine, des recherches des hommes de toujours, en accouchement/éloignement. Et les mots, toujours, dans la quête. C'est tendu et très beau.
Et comme ne sais en parler, je pille :
« les voix des vivants qui semblent désigner le lieu de ta venue, t’appeler comme je t’appelle dans l’obscure marée de la phrase, comment continuer avec ce poids mort des heures qui te recouvrent et qu’il est dur de les repousser, tenter d’être ton rythme d’eau, ne pas me perdre dans l’encre de ton signe au matin avec la neige légère sur la grisaille des murs quand je voudrais que mes mots soient comme les flocons, lents et rapides à la fois, révélant en la couvrant ton absence si proche »
« pour que dure l’instant, construisant un présent dilaté où je suis bien, où tout ce qui m’atteint devient silence, blancheur, toute parole brille et s’efface, chaque objet flotte et se dissout ne laissant que ce vide où je t’imagine, rose à peine dans la lumière, forme comme montant du fond, mais il n’y a pas de fond, tout est présent et nous déborde infiniment, montagnes poussière feux tournant, caillou crevant le noir, doigts, silences impénétrables, ressacs de l’espace et du temps, l’eau, cette souffrance qui me poursuit, malgré moi, ce vertige, et toi, au bout, »
« de vagues rumeurs me parviennent à travers l’épaisseur d’un silence où je suis bien, frissons, flux et reflux de la phrase, pour un instant je rejoins ta paix de sang tiède, écume, sillage d’un geste dans l’obscur, nuée pâle du visage, je t’enveloppe d’une membrane de syllabes, ma phrase est rouge, elle ondule jusqu’à toi, tu t’en nourris, par elle tu respires, tu pressens le feu soudain de la lumière, l’air froid qui s’adoucit déjà au milieu d’une rue où je marche, remontant le courant des corps, cette rumeur de vie qui n’est pour toi qu’un souffle à peine comme la mer lointaine où tu flottes, »
« j’ai tracé des lettres, des mots, une phrase comme un fil traversant ma mémoire, remontant jusqu’à cette main solitaire crispée, entrouverte, crispée encore, pulsation lente que je sens maintenant sous mes doigts, coulée obscure, irrésistible, je plonge mon visage dans l’encre, les mots sont étincelles, lunules dansantes, filaments, fissures, sillons dans la nuit étroite, crépitement encore, suif ou résine, éclat soudain et la main s’ouvre, immobile, sur la paroi rouge, elle monte, est-ce la tienne, je vais la toucher mais le jour une fois de plus efface ton vertige, »
Et je m'en vais, dans le creux du jour, ou des jours, terminer ce recueil et, esprit affuté, reprendre les textes, que je trouve importants et goûteux par les images choisies, de François Bon dans « Après le livre » http://www.publie.net/fr/ebook/9782814504103/après-le-livre
9 commentaires:
Comme une parfaite simultanéité du texte et de l'image.
merci beaucoup !
mais il faut que je corrige:
"On se souvient en effet des événements tragiques qui, au cours du vingtième et unième siècle..."
fait ! et merci
Je te suis...
ET comme ne sais en parler, je pille...
Avec bonheur, devrais-je ajouter, vous pillez bellement.
je fais une "fixette" sur tes lunettes volantes et aussi sur la paume de ta main où on voit clairement le mont de Vénus ! c'est dommage que je ne puisse pas transmettre cette photo en tant qu'explication de texte de ma dernière publication, où il y a eu confusion dans la tête de certains lecteurs !
Ici, c'est moi qui suis confuse avec ces arrêts sur image !
merci pour la correction !
ces pillages offerts ...quelle intarissable générosité
noël au balcon ..tu as encore le temps pour les tisons ! !
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