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désolée, Paumée se veut à l'abri, sauf quand un acte fait déborder le vase, des allusions à la politique ambiante.. et si je suis reconnaissante aux envies de commenter je vous demande de me pardonner de rétablir la modération

dimanche, janvier 23, 2011


Un médicament me manque et il se révèle, à l'expérience, indispensable – trop casanière suis, et c'est certainement, forcément, assurément, néfaste et indigne – le sac de linge prend de l'embonpoint – carcasse tire et ne veux pas lui céder – le ciel est bleu pâle – d'où je conclus, en ce samedi matin, que dois sortir.
Bottes enfilées, et l'une renâclait, chapeau enfoncé sur les yeux, trop, repoussé, et parka endossée, m'en suis allée,

négociant avec lenteur digne mon rude escalier, après avoir souri d'une amorce de vertige,

et, dehors, le froid était mordant, insidieux, et les charges lourdes me donnaient, de façon peu perceptible, plus ressentie que réelle, mais réelle pourtant, un pas irrégulier, équilibre légèrement fantaisiste.
Le web était riche, trop riche et lentement m'y promenais, y ai gouté - le sieston s'est imposé - point n'avais d'idée.
Donc je recycle, en invitant fortement à lire les présentations de François Bon et les autres contributions en commentaires (prière de ne pas me juger en fonction de... suis petite élève appliquée) – puisque pour le moment celles des participants sur place, à une très belle exception près, ne sont pas en ligne – je recycle donc mes contributions aux deux derniers ateliers nocturnes de la Bibliothèque universitaire d'Angers.

pour lequel - puisque, selon ma mauvaise habitude en tout, je m'étais ruée, coincée par le résultat de cet excessive spontanéité - la règle voulant que l'on puisse abandonner le texte initial, et ne garder que celui des renvois, est intervenue lorsque je pensais avoir terminé, entraînant un rapetassage
Je n'ai jamais su leur nom. Avec amitié (1), avec la désinvolture des parisiens, nous (2) les appelions « Ali ». Ils étaient deux. Ils se succédaient dans la boutique. Ils passaient quatre mois à Paris, un peu moins de quatre mois (3) dans leur famille (4) en Tunisie (5). Au début je ne les différenciais que par leur taille. Il y avait le grand sec, que j'avais baptisé le berbère (6), et l'autre, plus jeune, plus petit, plus rond. Ils tenaient une épicerie un peu bazar au bas de l'immeuble. Ils étaient précieux, surtout à cause de leurs heures d'ouverture (7). Peu à peu la différence se faisait. Et j'étais heureuse du retour du berbère. Une ébauche d'amitié, presque une fraternité s'était installée. Il était souvent bougon, fermé, mais si, comme souvent la boutique était déserte, il me suffisait de lire à haute voix un titre du journal qu'il lisait interminablement, ou qui était posé près de la caisse, pour qu'il réagisse. Et nous étions le plus souvent d'accord. Assez pour nous contenter de quelques mots rapides. Elliptiques (8). L'autre était plus populaire, avec lui la boutique était généralement pleine (9). Nous sommes toujours restés parfaitement étrangers. Je sais simplement qu'il était religieux parce qu'il se plaignait de la difficulté qu'il avait à respecter le ramadan (10). Cela a duré trente ans ou à peu près (11). Vers la fin, comme il savait, comme tout l'immeuble, que j'avais été, que j'étais malade, le berbère m'offrait du thé et des pâtisseries parfois, et insistait pour monter mes courses. (12)

  1. Amitié, ou ce qui en tient lieu entre commerçant et habitués, qui serait plutôt une indifférence à la fois bienveillante et légèrement condescendante – (2) « Nous les appelions », ce nous est-ce pour faire court ou pour me mentir ? – en fait les échanges avec les autres habitants de l'immeuble étaient d'une extrême rareté, et, alors, ils étaient généralement désignés par : l'épicier en bas, ou les arabes, et c'est moi qui disais Ali pour ne pas en rester à leur utilité ou à leur origine – (3) La période de passation de pouvoir, de co-présence dans la boutique, quand l'un revenait de Tunisie pour reprendre les rênes, était assez étrange, parce qu'on ne les voyait jamais ensemble dans la boutique ; ils se relevaient au cours de la journée, à croire qu'ils ne se supportaient pas – peu probable en fait puisqu'ils cohabitaient alors dans l'appartement du 1er étage - (4) Je ne sais rien de leurs familles, aucune femme ni enfant n'ayant jamais fait le voyage pour les accompagner, je sais seulement que le petit avait un fils qui a fait des études, à cause d'une conversation surprise entre lui et un des hommes qui se succédaient dans la boutique quand il était là, un cousin semble-t-il, et pour le grand, il me semblait qu'un homme avec une petite aisance, de son âge, était nécessairement marié – (5) Ils étaient tunisiens, c'est vrai, ce n'est pas parce qu'on parle de la Tunisie, enfin, en ce moment, (je viens de réaliser qu'on pourrait le croire) les allers et retours se faisaient entre la Tunisie, je ne sais pas quelle région, et Paris, même si je ne l'ai découvert que vers la fin, je les croyais marocains – (6) Quand je dis du grand sec, le berbère, je culpabilise un peu ; j'ai peur d'y voir un préjugé, l'influence de ma famille algéroise, mêlé il est vrai au souvenir d'amitiés avec des marocains, en archi, qui étaient en effet berbères. En tout cas j'avais eu une sympathie immédiate pour lui, et je crois que dans mon attitude il devait y avoir trace du respect que l'on porte à l' « oncle ». (7) En fait, comme les « traiteurs » chinois du quartier, les épiciers survivaient surtout grâce à leurs horaires « atypiques » (et vers minuit les laitues valaient de l'or). Même si je râlais un peu intérieurement à la fin, en me le reprochant immédiatement, parce qu'ils s'étaient mis à fermer un peu avant 22 heures – (8) C'était devenu un petit jeu, ces échanges rapides que nous avions sur les nouvelles du jour, ce plaisir de nous trouver d'accord, de maigre à maigre, avec notre souci de netteté, notre refus des slogans, des avis imposés, nos erreurs peut-être mais communes, ou proches, et j'avais droit à un sourire malicieux, sans ironie puisque de plus en plus il a parlé et que nous avions en effet les mêmes jugements. Mais généralement un mot, un qualificatif suffisait, et nous n'avions pas ou ne voulions pas avoir l'air d'avoir temps pour davantage – (9) Enfin, compte tenu de la taille de la boutique et de son encombrement, il me semblait qu'elle était pleine, lors des règnes du petit, dès qu'il avait deux ou parfois trois visiteurs, ce qui obligeait à ce qu'un seul reste à l'intérieur quand un client arrivait, et occasionnait un petit ballet devant la caisse avec celui qui était resté et continuait à « lui faire la conversation » - (10) Ce respect plaintif du ramadan, et il insistait beaucoup, avec fierté (méritée j'avoue, peut être surtout pour lui qui semblait plein de gourmandise) allait bien, me semble-t-il au petit, à son urbanité, son besoin sincère d'être aimable et « en rêgle » (11) Cela a dû durer trente ans, je le réalise maintenant, et je n'ai dans mon souvenir que leur aspect d'hommes très murs, nous avons vieilli ensemble. Pour les conserver, malgré le Franprix qui avait ouvert en face nous nous obligions à faire chez eux une partie de nos achats – (12) Dans ces deux dernières années il y avait je crois, entre nous, quelque chose qui pouvait s'apparenter à une amitié – il sortait de dessous la toile auvent pour me demander de mes nouvelles ou commenter ma plus ou moins bonne mine, en vieillissant il avait pris l'habitude de garder ce thé qu'il partageait avec moi, sur une petite plaque chauffante à côté de la caisse, et quand il m'accompagnait en portant mon sac de courses, immédiatement, un des gamins qui jouaient sur notre petite place venait garder la boutique.

Je n'ai jamais décrit votre visage http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article2411

Avec l'âge, tel que je m'en souviens, il n'était pas devenu d'une beauté plus évidente, solaire, que sur les photos que je possède de lui, avant-guerre, photos sur lesquelles on le découvre charmant, classiquement, un visage ovale mais à l'allongement mesuré, une bouche souriante avec retenue qui prend toute la place, qui appelle la tendresse, visage assez semblable à celui d'un acteur qui avait alors un beau succès, sans être une vedette.
Mais il était évident. Sa peau épousait son visage avec juste ce qu'il fallait de rides pour dire la vie, et sous le crâne rond, parfait, les joues étaient pleines sans excès.
Comme son père et ses frères, avec moins d'exagération dans son cas, il était sourcils – sourcils devenus blancs mais fournis, et un peu frisés, accrochés au bord d'arcades profondes. Et dans ces creux d'ombre les yeux étaient petits, d'un brun un peu délavé, mais on ne les aurait pas voulu plus grands, et tout autour, comme un sertissage, les petites rides mélangeaient les journées en mer, et les sourires qu'il nous donnait.
Un nez régulier, ni trop large, ni trop long, parfaitement proportionné, un nez sans histoire, utile, et qui occupait juste la place nécessaire à l'équilibre de l'ensemble. Et dessous la grande bouche, les lèvres avares de mots, mais expressives, et un peu tordues par tous les brûle-gueules et les noble pipes de bruyère de sa vie.
Finalement il était beau, mais on ne s'en rendait pas compte, cela n'importait pas.
Visage souvent dans l'ombre, en retrait, et que l'on savait là, pétri de lui, de sa bonté sans faiblesse.

Et pour cet atelier, François Bon a mis en ligne le très beau texte de deux étudiants et le sang qui sort la tête en bas http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article2412

11 commentaires:

Michel Benoit a dit…

Une rampe dans l'escalier, une rampe.

Pierre R. Chantelois a dit…

Et ce Tunisien, Ali, diamétralement opposé à un autre, de même origine, gardait au chaud ce thé à partager. Texte magnifique et de circonstances. Amitiés à nos amis tunisiens prénommés Ali, les vrais, les authentiques.

Lautreje a dit…

30 ans de salutations et d'échanges... "Finalement, il était beau" le berbère.

Brigetoun a dit…

les deux textes n'ont en principe pas de rapport, quoique..

kouki a dit…

"de maigre à maigre" :)

jeandler a dit…

Je pensais à la rampe!
Il faut la tenir bon.
Et dans cette belle note, elle nous guide

joye a dit…

Ta première photo me botte ! Cela ferait un sujet à elle toute seule !

Gérard Méry a dit…

le médicament qui te manque...pas du médiator j'espère

Brigetoun a dit…

pas pour ne pas avoir faim, pour bien assimiler au crontraire

LE CHEMIN DES GRANDS JARDINS a dit…

Ton affaire commence comme un scénario de film. J'avais envie de prendre ma caméra et de t'emboîter le pas(botté). La lecture, je l'aurais entreprise en rentrant. Cette fois, j'ai pris les devants. Bien les deux textes. Très bien même. Au fait , pour le médicament, tu l'as trouvé ?
Belle fin d'après midi.

Roger

arletteart a dit…

Bellissime les bottes très "classe"comme il se doit pour si riches textes
c'est juste!! comme le dit Roger début d'une histoire..et la suite est à imaginer