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désolée, Paumée se veut à l'abri, sauf quand un acte fait déborder le vase, des allusions à la politique ambiante.. et si je suis reconnaissante aux envies de commenter je vous demande de me pardonner de rétablir la modération

samedi, mars 12, 2011

Recyclage

- Vivien s'était rêvé philosophe, brièvement, en sa jeunesse, et puis non..

- Vivien avait aimé, avait été tendre et patient, et puis non..

- Vivien avait eu désirs de concorde, d'entente, et puis non.. ou pas avec ces...

- Vivien avait voyagé, avait aimé, avait connu violence, et puis guerre, oh oui.. trop

Il était une silhouette qui avançait entre des arbres, sur une route, devenue chemin, devenue allée, en marmonnant cela comme une mélopée ; il riotait un peu, comme toujours, pour effacer ce que ça avait d'un peu fou - et il pensait qu'il n'avait pas aimé cela, la violence, dame non, mais que toutes ses tentatives de coopérations, toutes ses bonnes résolutions, l'amenaient avec une régularité navrante à un conflit, ou dans un conflit, ou sur les bords d'un conflit.

-Vivien était bien fatigué, bien vieux, et bien fauché

Enfin pas si vieux – et il arrivait.

- Vivien avait de la chance, des amis, un oncle à bâtisse vide.

Elle était belle la bâtisse, comme on le lui avait dit, une grande et vieille barre de granit appuyée à une ligne d'arbres tordus. Certainement venteux le coin. C'est vrai que la mer n'était pas loin.

Il a sorti la lettre, fouillé l'enveloppe, pris la clé.

C'était grand, c'était vide, avec des carrelages d'un roux passé, des murs à fresques discrètes sans doute restaurées ou reconstituées, peut-être inventées, et des poutres peintes. Une boite en pierres épaisses, à la pénombre teintée de rose.

Il a trouvé la petite chambre au fond, un lit, une table, deux chaises, une commode tombeau, derrière la grande cuisine : un vieux fourneau, un réchaud, une dépense noire, deux grandes tables, des bancs, un mot de la fermière à côté d'un faitout plein d'un ragout à faire réchauffer et réchauffer, d'une galette de pain rude, d'un petit paquet de beurre d'épicerie, et deux litrons.

Il avait quatre mois devant lui. Retraite, calme, ce qu'il voulait.

Après ces années de fuite il est entré en solitude résolue, en paix qu'il voulait absolue jusqu'à l'étourdissement. Et l'hiver s'est installé autour des murs où il se tenait en absence de désir. Il a un peu dessiné, il s'est un peu fatigué en des expéditions vers le village, et puis y a renoncé. Il rencontrait brièvement la fermière pourvoyeuse, mais ils ne se parlaient pas, ou guère, ils préféraient les messages sur la table.

Il avait transporté un des bancs de la cuisine dans la grande pièce à l'ombre rose, mais il s'asseyait généralement sur le sol, dos au mur, et il regardait les trois fines bandes de lumière qui arrivaient à se frayer passage par les petites fenêtres, se glissaient le long des profondes embrasures et lentement, extrêmement lentement, imperceptiblement, accompagnaient le passage des heures par une reptation sur les dalles.

Dans sa contemplation silencieuse de cette avancée des jours, son passé est monté, un peu en désordre, il l'a accueilli avec un rien de tendresse mélancolique, un temps, et puis la lutte a commencé. Il revoyait sa vie et voulait la comprendre, ou le tenter. Il attribuait à sa lassitude, à cette retraite décidée, la vision cruelle qu'il en avait. Il se soupçonnait de complaisance dans la condamnation qu'il était tenté d'avoir de ses actes, et se rassurait sur ses intentions. Il débattait avec des fantômes, avec des résultats variés, se refusant à mettre en doute ses interprétations des intentions des autres, jusqu'au moment où s'est risqué le mystère qu'était toujours pour lui la défaite de cet amour très ancien, la culpabilité qu'il en avait, qui était, sans qu'il accepte d'en être conscient, restée comme un petit clou présent en lui. Il s'est acharné, essayant de formaliser, stylo en main, cette tentative désespérée de dialogue, pendant de longues journées vacantes et froides, et a réalisé combien totalement c'était stupide.

Dans une longue soupente il a trouvé des livres en tas, qu'il a attribués à son oncle, a haussé les sourcils en trouvant la bibliothèque rose, mis de coté des policiers, des poèmes, et quelques curiosa, découvert, dessous, une Bible et un recueil des sermons de Bossuet pour le carême dont il a fait sa lecture habituelle, par goût de la langue, et de plus en plus comme tremplin à de longues méditations.

Un matin où il avait dormi plus longtemps, il a rencontré la fermière qui arrivait avec un panier de légumes, des oeufs et un plat entortillé dans un torchon. Elle est entrée avec un grand rire de bonne humeur « parce que vous avez vu, le printemps est là, décidément ». Et il s'est aperçu qu'elle avait raison.

Il a entrepris quelques longues marches qui lui vidaient l'esprit, et le laissaient bienheureusement las En fin d'après-midi, pour profiter des derniers rayons de soleil, les jours où la pluie les avait oubliés, il s'asseyait sur la margelle de la grande fontaine, dans ce qui avait été un jardin. Il regardait la lumière tenter de se glisser dans cette eau verdâtre, comme entravée par les mousses. Il remuait lentement sa main et contemplait les rides. Il regardait le reflet très déformé des branches qui bougeaient doucement. Il était dans un grand calme.

Un soir très doux, où il s'amusait à faire flotter des brindilles, il s'est redressé en souriant, il est rentré, a longuement écrit une lettre qu'il a calé sous un pot de beurre au milieu de la première table de la cuisine, et puis il a pris le chemin qui descendait vers le bosquet d'arbres, l'a franchi, s'est arrêté, après l'herbe pelée, rase d'embruns, au bord de la petite falaise, a regardé la mer, a sauté.

Une Brigetoun dont les projets se sont évanouis en douceur dans toute, toute petite forme, et intérêt pour la vie lointaine, au japon, en Libye, en Islande, dans des textes poétiques, polémiques, ironiques, graves, ou non, ou simplement beaux, en contemplation sous ciel hésitant des plantes miraculées, des bois morts, des promesses, reprend sa participation aux derniers vases communiquants et la recherche de la paix.

Va tout de même falloir que je me prenne en main.

9 commentaires:

Anonyme a dit…

commode tombeau
dépense noire
reptation sur les dalles ...
j'aurais dû me méfier.
J'ai aimé tu sais !

Brigetoun a dit…

tu me le fais remarquer

Pierre R. Chantelois a dit…

S'évader dans des horizons inconnus ne signifie pas pour autant une perte de contrôle,je crois. Ranimer des projets montre une lueur d'espoir qui scintille au gré des heures. J'aime rêver et errer. Et ce recyclage, que vous soulignez, fut certainement un bon choix.

JEA a dit…

lire et entendre le clap de fin...

arlette a dit…

La chute est prévisible......
Beau ...très

Brigetoun a dit…

Vivien mon cher - je t'aimais bien

Michel Benoit a dit…

J'aime les photos.
Belles lumières et belles couleurs.

joye a dit…

Re-bravo, brige !

Gérard Méry a dit…

bizarrement attiré par la peinture de la gouttière