Au bout, avant le signal, après les anneaux vides - les canots sont sortis en ce creux de l'après-midi - alignés le long de la petite jetée qui s'écarte de la pointe, qui ferme ce bassin, à l'écart du port de plaisance et des voiliers - si confortables, brillants qu'ils ne se distinguent des vedettes que par les mats - tout au bout, à côté d'un rond de cordages bruns, inutiles, soigneusement lovés, la petite barque peinte en un dégradé de bleus, avec l'immatriculation en noir et le nom « la petite Hélène » en rouge foncé – un nom presque classique – juste un peu décalé.
Le chemin qui dégringole, dans l'axe de la jetée, et, sur la croupe, la maison. Blanche la maison, avec les deux pignons, normale, assez grande, avec même un étage, une maison de patron de pêche. En grimpant on la voit mieux, elle est vide, ou elle le semble.
Elle est vivante, mais vide. Une barrière, un buisson tordu, le jardin s'il y en a un doit être derrière. Une porte dans la barrière et à côté, couché sur le mélange de terre et de pierres, un petit vélo.
Et puis des notes de musique qui sortent d'une fenêtre ouverte, à l'étage, un air connu et que je ne reconnais pas, et puis un silence, et des notes détachées, comme au hasard, maladroites.
Derrière les fenêtres du rez-de-chaussée aucune vie perceptible. Juste cette fenêtre et deux voix maintenant, une grave, très, un peu grondeuse avec un peu de sourire dedans, et plein d'années et de tabac ou autre, et une petite aiguë, flûtée, un enfant, un garçon peut-être.
Un grand-père et son petit-fils, restés seuls.
Les autres, les parents, les aînés sont dans le village, ou là où ils le doivent, ils travaillent. J'imagine. Je ne pense pas me tromper. Ou ça n'a pas d'importance.
Une maison pour une famille, une grande, je me dis, une grande famille. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être parce que j'aimerais. La maison, et puis la famille, pas vraiment grande, mais des enfants, plusieurs, pas trop, mais plusieurs, comme les autres. Et un père pour eux.
Et le grand-père il est là, alors je prends le grand-père. Et je l'aime bien, parce que, c'est sûr ,il m'aime bien aussi. Il serait musicien, pas de métier, mais musicien quand il revenait de mer. Il aurait aimé peut-être. Et il sait l'histoire de la maison, et du père. Et ils m'ont acceptée.
La maison n'est pas très riche, il me semble. La peinture des boiseries est un peu écaillée, pas trop. On la refera cette année. Des soucis mais pas trop lourds, et partagés.
Une maison où passer sa vie, rire, se disputer, faire la cuisine, pas très bien mais assez pour qu'ils soient heureux.
Une famille, des histoires, et nous recevrions, écririons, visiterions mon autre famille, celle de l'enfance, ou plutôt les familles qui en viennent. Nous échangerions. Il y aurait des petites discussions mais en fait nous nous entendrions bien, comme ça, entre familles, comme nous nous entendons bien quand j'arrive chez eux, mais là ce serait entre familles.
Me la raconter cette famille, les jours de cette famille – me la raconter, l'écrire peut-être, pour qu'elle soit, un peu, un peu mienne. Si je savais écrire. Pas d'importance, ce serait pour moi, ce serait vrai pendant que j'écrirai. Bien ou mal écrit, et si je ne pouvais pas faire qu'elle soit vraie pour autres que moi, ce ne serait pas grave, pas vraiment.
Mais en l'écrivant, en voulant la faire vraie, même si je me moquais de voler celle de ces gens qui vont rentrer là, je la figerais, je la tuerais. Et puis, tu sais bien, tu ne saurais pas l'écrire.
participation à l'atelier nocturne de jeudi à la BUA à partir de Marguerite Duras et de la tombe du jeune aviateur anglais http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article2501 paru au moment où j'étais au fond de mon auto-dénigrement, ce que le début d'écoute du texte dit, et d'autant plus fort, par François Bon n'a pas arrangé. Ai arrêté, ai dit que, non, pouvais pas, étais honteuse de petite lamentation narcissique sur twitter et Facebook, ai été boostée par Christine Jeanney et Laure Morali, bénies ou maudites soient-elles, ai repensé au texte que j'ai dans l'édition Gallimard (en fait en Folio) dans le regroupement avec « écrire », ai tenté, c'est ce que c'est, en réponse à :
« Ma consigne, délibérée, arbitraire, mais que je voudrais quasi autoritaire, comme vous le proposerait un coach littérature, c’est que vous respectiez ces quatre dimensions, qu’elles soient explicitement visibles dans le texte. Qui va donc s’écrire de façon fragmentaire, passant d’un registre à l’autre, mais on pourrait numéroter ces fragments 1a, 1b, 1c, 2a, 2b, 3a, 3b, 4a, 4b, 4d etc... Et même pas de cinquième dimension, même pas de se mettre à écrire à propos de ce lieu. Tout le poids de la consigne : sur cette intuition qu’ici il y a à écrire, qu’on est en possession d’un thème, d’une piste, on se tient à distance, on reste dans l’amont, et tout ce qu’on écrit s’exprime selon ces 4 registres déterminés plus haut. À preuve, qu’on peut vraiment classer comme ça chaque paragraphe du magnifique texte de Duras, qui certes n’est pas l’obéissance à une consigne d’écriture... »
Ne lisez pas les autres contributions, et puis si, pour votre plaisir, lisez-les.
Un peu avancé dans le changement de garde-robe (j'étais très fière de moi) et suis allée en début de soirée dans la salle de l'antichambre de l'Hôtel de Ville écouter, en tout petit comité, un exposé qui ne manquait pas d'intérêt (surtout pour la part historique un peu moins sur la difficulté de sortir des contrats actuels que l'on connaît un peu mieux) de Marc Laimé sur la gestion publique de la distribution d'eau et de l'assainissement (on oublie un peu trop de mettre ce point au crédit de Delanoé)
12 commentaires:
Le doute. Terrible doute de la page blanche ou de la page trop ou peu garnie. De l'utilité des mots ou de leur trop grande abondance. Des effets de toge dans le discours. Je ne suis pas écrivain et je vis pas ce doute avec autant d'acuité. Ce qui me plaît dans vos mots, c'est le doute que vous exprimez avec une belle franchise. Cela me prouve que vous êtes une écrivaine, forte. Vos mots vous appartiennent et ne sont propres à personne d'autre. Voilà.
Votre autodénigrement ?
Cette bagnole-là, à la casse... Ou pour être moins agressif, à la flotte. En Bretagne du moins, les homards semblent se complaire à y jouer grandeur nature aux champions automobiles...
Moi, j'écris sur écrire comme si j'écrivais. Je m'invente du talent et je m'y invite ! Ne changez rien au vôtre...
J'aime beaucoup ce texte qui s'ouvre comme des boites. Pensé que Boucles D'or l'écrivait
Rien à commenter sur "la gestion publique de la distribution d'eau et de l'assainissement" ?
trop ou rien, je dirai bien acheter son livre mais il est épuisé paraît-il - et puis faut pas le dire mais j'avais tellement mal à mes reins que suis partie au bout d'une heure et demie
et là j'hésite, devais être à 10 heures 30 à Utopia pour Olivirt Lecour Grandmaison et 'immigration, citoyenneté, sarkozisme" et j'ai vraiment bobo.
"Les boîtes qui s'emboîtent" tout un art !!!!
Un petit coucou depuis mon périple andalous pour t'encourager (s'il le fallait) à continuer d'écrire et de nous enchanter. Merci.
j ai apprécié ce lien et cette course en pointillé ...
soit meme les grands espaces la nature et la folie des hommmes ...
une drole d aventure intérieure ...
et puis cette imagination qui resurgit qui oeuvre a l evasion quand nos corps nous rapellent la gravité ...
dites nous vous !
je
ah chère Brigitte, merci pour un beau texte tu as donné beaucoup de personalité à la maison et l'eau et le ciel, je me baigne en bleu et je connais la famille dans mon coeur.
bises
merci.
Mal au dos, aux reins ?
Il faut prendre les eaux.
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