Brigetoun embrumée et beau spectacle : paumés dans brouillard du monde
Me flatte un peu là – j'avais l'innocence fatiguée, l'abandon au repos de la petite dame de Titou, mais pas sa jeunesse et surtout, jusqu'à deux heures de l'après-midi à peu près, pas son pouvoir de céder au besoin d'anéantissement salvateur.
Au fil des heures, de trous en trous, suis arrivée à ramener yeux derrière des orbites qui ne brûlaient plus, à détendre muscles, à repousser un peu l'ankylose, ai récupéré le désir d'ouverture qui ne s'était jamais complètement anéanti, et mis Brigetoun en route vers la cour du Lycée Saint Joseph pour « courts-circuits » de François Verret, après avoir tenté confrontation entre circuits engourdis de mon cerveau et le texte de présentation sur le site du Festival, repris paresseusement sur http://brigetoun.wordpress.com et avoir cru s'y reconnaître (comme beaucoup d'entre nous, je pense, peut-être plus fortement que les « adaptés ») - un peu inquiète en voyant le ciel grumeleux
mais, grumeleux ou pas, au dessus de Saint Martial il était assez beau pour que j'avance en espoir.
Curiosité de voir ce qu'ils avaient fait, lui et son groupe de cela : « perte de repères, flottement, fragilité extrême, incapacité à savoir où l’on est et où l’on va, questionnement sur la nécessité d’aller quelque part » qui me semblait assez proche de paumée. Pas tellement loin aussi la difficulté de trouver mots. Ni bien sûr la tentation de fuite dans l'absence hors de ce monde libéral qui est le notre, « seule réponse possible de ceux qui ne peuvent plus, ne veulent plus, ne croient plus, n’y arrivent plus. » ou le besoin d'opposer une violence tranquille de refus à la violence diffuse de la société pour paraphraser le petit entretien trouvé en PDF sur le site.
ai franchi le bouchon des spectateurs du Paris, longé les tables pleines, fait la queue pour l'entrée latérale
me suis installée à une très bonne place, prête à subir la longue attente de l'entrée des spectateurs -
et ce fut le premier plaisir de la soirée : mon voisin, qui se pensait plus vieux que moi et devait l'être de trois ou quatre ans, ce qui rendait les échanges vifs et sans pesanteur, parce qu'avions les mêmes repères, qu'un mot amenait avec lui, sans que cela soit dit, un tissu de gens, d'images, une époque, une façon de voir, qui avait vision du monde proche de la mienne, mais pas trop, juste ce qu'il fallait pour que la conversation roule, qui s'est révélé être ancien enseignant, ancien fondateur d'une troupe de théâtre amateur, dont il s'occupe toujours, dans lequel a joué entre autres Pierre Michon, d'où brève bifurcation de notre déroulé (qui était parti de Karski, de la guerre d'Algérie etc...)
juste au moment ou le noir se faisait, où dans la nuit du plateau s'animaient deux vidéos de flammes, en partie haute à gauche, en bas à droite, pendant que se devinait au centre la table de montage et qu'une musique brutale emplissait la cour.
Pris des notes par moment, les laisse en paix. Simplement, à la fin mon voisin m'a dit « est-ce-que ce serait cela l'excellence ? » et j'ai souri en hochant la tête.
Une composition musicale, dans laquelle entrent le dispositif relativement complexe du plateau et du décor (mais sans que rien ne soit inutile), la musique, les vidéos qui reprennent parfois en gros plan ou en différé l'un ou l'une des danseurs, qui parfois sont absentes, les éclairages qui découpent une zone puis l'autre, les sons, les voix, les mots, intelligibles ou non, en français, espagnol ou italien (et ce m'était plaisir personnel après tant d'anglais) dans une langue non identifiée d'Europe Centrale ou dans une langue imaginaire, les thèmes amenés, les paumés, les gagneurs, la danse comme un langage, comme une illustration donnant un peu plus d'espace aux mots, ou comme une plainte, un discours lyrique, la violence, les rares moments d'apaisement. Un oratorio.
Et si tout cela est très construit, la force est là, venue justement de l'exigence dans la conception de chaque élément et dans la façon de les combiner, construction et exigence revendiquées et qui s'oublient comme dans l'écriture de Michon ou Bergounioux dont nous parlions justement avant que cela commence.
Suis rentrée en prenant des photos aussi grisées que l'étais.
8 commentaires:
Aide-toi et carcasse t'aidera...
Ce qui fût fait et bien fait.
Voilà une fort belle rencontre.
Se laisser griser donne des ailes pour rentrer.
J'aime beaucoup ces photos grisées, ce flou du mouvement, le rythme doux et grisant du soir.
Imaginez. Je prends le pouls du Festival d'Avignon dans ces rubriques si bien documentées et illustrées, je fais une recherche toute googlante pour en connaître plus, je scrute les critiques, autant sur le Festival que sur le Off. Et mon coeur penche sur ces rubriques avec photos, avec ses non-dits sur carcasse fatiguée et rompue, sur ces pas et ces pas qui parcourent, me semble-t-il, la ville en quête d'art et de petites émotions bien éclectiques. Pour connaître les entrailles du Festival d'Avignon, le vrai rendez-vous est ici. Laissons-nous griser du Festival d'Avignon par les mots et photos de Brigetoun. Après celui de Martine Aubry, je me devais de faire mon petit laÎus politique. ;-)
J'aime bien tes photos grisées !
Elle parait bien fatiguée "Emmanuelle " ..dans son fauteuil !!
Tu fais vibrer ma corde sensible en faisant référence à Michon et Bergounioux à propos de ce spectacle... il faut que je me penche un peu plus sur ce "Court-circuit".
le rapport n'est pas évident - juste : une pensée exprimée avec recherche mais rigueur - nouveauté et classicisme (au bon sens du terme : serrer le sens, maitriser)
c'est bien comme ça que je l'avais compris :-)
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