C'était il y a longtemps.
Me souviens des pauvres gars.
C'était sur le port, quand le soleil hésite à s'abîmer dans la mer, quand les heures ont coulé, de la permission, dans l'ennui de la ville,
Ils étaient deux - ont débouché de la rue Chevalier Paul, à la fin de leur dérive, et ils avaient beaucoup traîné, beaucoup bu.
Ils se tenaient là, hébétés, regardant l'eau vide au bord du quai, et les silhouettes des bateaux, les corvettes, le porte-avion, bien loin de là, devant,
Me souviens.
« Z 'êtes en retard, les gars, le Canot Major est parti. » leur a dit le quartier maître
Ils ont juré, sacré – et le bateau qu'était là derrière, après le Dixmude, après la darse des sous-marins, tout au cul de la rade.
Me souviens des pauvres gars, tu sais.
« Oui Chef, qu'est-ce qu'on fait ? » a demandé le plus vieux.
« ben.. je sais, moi » a dit le Jean Marie, tout jeune, tout nouveau, tout rose de vin – a trébuché jusqu'au bord, en riant - a plongé.
Son copain a hoché la tête, réprobateur, a dansé d'un pied sur l'autre, a haussé les épaules, a dit « ben oui », l'a suivi.
Me souviens des pauvres gars, et du récit.
Et le quartier-maître a juré, a décroché le téléphone.
Et l'officier de garde a dit « les cons ! »
Et une vedette a appareillée,
Et ils ont cherché, longtemps, ont retrouvé Bernard, le plus vieux, l'ont pêché,
Me souviens encore des pauvres gars.
On m'a dit qu'en recrachant la mer, et un peu de sa soulerie, il pleurait en disant « le pauvre petit gars ».. et puis : « il savait pas nager »
et que le jeune lieutenant, en rage et pitié, lui a répondu « qu'est ce que ça changeait imbécile ? »
Et ça ne changeait rien bien sûr.
Mais je me souviens.
Vous qui lisez cette histoire, n'en veuillez pas des inexactitudes de détail à celle qui aimerait chanter la complainte des deux pauvres gars qui voulaient traverser - n'est pas un marin, juste une qui se souvient.
Comme se souvient, sans mots, la mère du Jean-Marie, sur sa tombe, là haut, vers Trébabu.
Écrivez la pour nous cette complainte.
Premier texte envisagé, puis abandonné parce que trop rapetassé, en contrepoint au traverser, puisque c'est le mot que nous avions retenu, de Nicolas Bleusher lors des vases communicants d'août http://brigetoun.blogspot.com/2011/08/titre-traverser-il-de-loin-le-visage.html
et une photo qui pourrait être n'importe quoi et qu'il me plait de lui associer
Pour ce lundi ce furent des cieux peuplés, se succédant sans que grand vent pousse et déforme les masses blanches et grises, et une tiédeur légère – avec humeur à l'unisson comme il se doit.
17 commentaires:
Cette première photo d'un bleu... est saisissante. Et cette belle histoire de marins dont la fin est bien triste est menée allègrement. Accent du terroir, sincérité du propos et des regrets. Un conte simple mais profond. De bien tristes départs sur la mer indéfinie.
Oui très belle photo qui ouvre sur l'infiniment bleu, en contrepoint de ce conte d'une traversée échouée qui de se raconter indéfiniment devient lecture, interrogeant l'entre deux rives...
Cette histoire - s'il fallait refaire un choix - aurait ma préférence jusque "Il ne savait pas nager". Finalement, c'est la goutte de pluie qui aura fait déborder le vase...
Une histoire de marin qui ferait une belle chanson, triste et nostalgique comme les yeux des marins.
Cela aurait été dommage que tu nous la raconte pas !
quel ciel et quels mots !
Brigetoun,
"La beauté des mots, des idées, la lucidité du propos, la poésie et la force des images d’une artiste incomparable qui fait d’Avignon la plus belle ville du monde.", disait Pierre.
Je connais assez bien Avignon.
En septembre, je ne serai pas loin.
Point de départ Aix en Provence.
Amusant les rencontres avec Pierre. C'est presque un remake sketch "22 à Asnières".
L'Atlatique est un mythe, enfin de bonne taille. Et Pierre est l'indulgence personnifiée.
Bon là l faut que j'arrête de remettre gros ménage à plus tard
Le ciel l'a fait, lui son ménage !
:))
et bellement mais il faudrait que je m'occupe de l'antre un tantinet bâclé ces temps ci - tourne en rond sans m'y mettre
Une note bleue
une complainte
deux marins en plongée...
Me plaît beaucoup la complainte de ces deux qui voulaient traverser ainsi que les nuages qui passent...
Heureux de votre visite.
puis merci pour ce texte et sourout morceau
... "il pleurait en disant « le pauvre petit gars ».. et puis : « il savait pas nager »...
qui m'a fait largement sourire.
Et les nuages laissant voir le bleu du ciel. Superbe.
A bientôt.
sans rime ni raison:
brave marin revient de guerre tout doux
http://youtu.be/Oe_RfmZjhLU
tout à fait dans l'esprit, même si là il y a pas de Madame avec un si bel enfant
Rue Chevalier Paul .....et le bout du quai derrière le Dixmude
ils étaient deux marins.......
elle a changé la rue Chevalier Paul - où ils vont les marins maintenant ?
Combien de marin combien de capitaine...
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