Dans ma tête, penchée sous le pommeau de douche, pendant que mes mains malaxaient mousse et crâne, tournaient les mots poignants qu'avaient tracés la main de Kafka, qu'avaient traduits les doigts de Laurent Margantin sur Oeuvres ouvertes http://www.oeuvresouvertes.net/spip.php?article1459
« Au cas où je devrais prochainement mourir ou être tout à fait incapable de vivre – cette possibilité est grande, vu que j’ai beaucoup craché de sang ces deux dernières nuits – je me permets de dire que je me suis déchiré moi-même..... Dans un conflit insoluble, le monde... et mon moi déchirent mon corps. »
laisser cela, sa vérité, derrière soi... et que passe cette souffrance qui doit être tue en notre vie (souffrance ou non, ce besoin que nous avons qu'un peu de notre vérité subsiste, ou au moins, modestie oblige, que ceux qui nous ferons, un temps, l'honneur de se souvenir, ne dédient pas leurs pensées à un être construit par eux et qui nous est étranger, dernière, futile, et impérieuse manifestation de notre ego)
et, retenant les premiers mots, pendant que séchaient mes cheveux, ai repris, pour les lire à la file, le regroupement des tweetts des dialogues de François Bon avec sa mort. http://www.tierslivre.net/faceB/spip.php?article144 en leur sérieuse ironie.
Ma mie la mort, qui trottinait à sa fréquente coutume, quelque part au fond de ma conscience, est venue lire par dessus mon épaule, après avoir bougonné : «ô toi, traîtresse» - Ai ouvert le bec pour riposter ou plaider, puis avec un soupir d'ennui passager, l'ai ignorée... mais avec sa mauvais éducation habituelle, elle intervenait bien trop souvent, et parfois je cédais à la provocation
«- où est ma mort, je ne la vois plus devant moi ?
- je suis derrière, juste derrière répondit-elle» et ma mienne: toi tu ne me recherches que quand je suis loin – normal non ? - non
«- où est ma mort, demanda-t-il à nouveau ?
- dedans, répondit-elle.» - Bonjour, tu vois, lui dis-je, et puis écoute, c'est bien ce qu'ils disent
…..........
«je tenais un bouquet de fleurs blanches en pleine rue devant la nuit :
- offre le moi, dit ma mort» - si cela te fais plaisir – ce n'est pas moi qui ai demandé dit la mienne
….........
«- chacune de tes douleurs est ma griffe, dit ma mort
- chaque ombre de la nuit dans la ville est ma fuite, répondis-je» - et toi aussi tu fuis quand je m'approche, et tout, une tache sur le mur, les mouvements d'un des tuyaux dans ta main, t'est fuite – pourquoi viens-tu en brusquant la chair, c'est elle qui ne veut pas - c'est facile comme réponse, dit-elle, tu n'es jamais responsable - ma volonté quand ma chair est en colère ne peux plus la faire taire, et t'oublie - C'est sans danger dit-elle
«mes monuments rendent stériles le sol de la ville, dit ma mort
- nos mots y rampent en tunnels vers les bouches que tu crois tues, dis-je» - c'est beau dit la mienne – n'est-ce pas ? Alors tais toi et laisse moi lire
«- à chaque brouillard je m’approche de toi, dit ma mort
- tu n’en prends que le brouillard, je répondis» - oui, mais si tu disais aussi bien, peut-être je... - n'en demande pas trop, tu n'es que ma mort.
…......
«ta mort est assise là sur une pierre, au bord de ton chemin :
- je te salue bien, je reviendrai demain, lui diras-tu» - là, c'est tout toi, dit la mienne – non quand tu t'approches je suis occupée à autre chose, je ne pense plus à toi donc ne te réponds pas
…....... et nous aimions lire, il faut nous accompagner
….......
«ta mort te regarde, et toi tu la regardes:
- je te ressemble, dit-elle
- alors t’es pas belle, tu réponds» - alors moi non plus, honte à toi, dit la mienne – je n'y peux rien – ce n'est pas vrai, tes parents avaient bien travaillé, avec soin..
«ta mort joue comme les gosses : elle marche dans ton ombre, alors passe exprès dans la flaque, retourne toi et rit» - c'est malin !..
«ta mort te montre le poing : tu lui donnes ton angoisse à ronger, ça la laisse sur sa faim
- y en a d’autre, tant que tu veux, lui cries-tu» - c'est pas pour nous les morts, dit la mienne, c'est pour la vie, l'angoisse, c'est elle qui la donne, à elle de bouffer – là tu as raison, mais un peu seulement, parce que pour la chair tu es l'angoisse
«l’angoisse te ronge dedans :
- viens, tout est mangé, dis-tu à ta mort
- je veux le reste, s’écrie-t-elle
- le reste a mauvais goût, te moques-tu»
«- pas la peine d’avoir peur, dit ta mort, tu te rajoutes une peine inutile et ça me donne des aigreurs»
Je n'ai pas peur, tu le sais bien – alors pourquoi ne pas me laisser faire ? - je veux choisir – excuse médiocre – viens sans douleur, la chair sera calme – tu en demande trop.
…......
«- je ne poursuis que ceux que j’estime, me dit ma mort, pour les autres, qu’ils meurent par hasard ou accident, que m’en chaut» - suis-je si peu estimable ? dis-je à la mienne - tu te racontes des histoires, simplement
….....
«- ils m’ont toujours fait rire, ceux qui prétendaient attendre d’avoir fini leur phrase avant, me dit ma mort, tu veux des noms ?» - pas la peine – ce n'est pas moi qui l'ai dit, je sais bien que tu en connais, au moins une.
…......
et nous avons terminé en silence.
Mais, tout de même, je ne voulais pas la quitter sur une brouille.
Tu sais, je disais t'attendre, je t'ai cherché, parce que j'avais décidé que je n'aimais pas la vie.. M'ennuyait, la trouvais inutile. Mais j'ai changé.
Tu sais bien que tu l'aimais
par fulgurances, illuminations, pour le soleil, des mots, des êtres...
et tu m'oubliais... la plupart du temps
mais ça ne comptait pas vraiment
oh ! Que si !
Bon, enfin c'est comme ça – là en ce moment..
Tu y viendra, tu sais bien...
Quand je ne serai plus libre, oui bien sûr, mais ce ne sera par pour toi, pour l'attrait du vide, la rutilance noire du rien
Ne vas pas louper le moment
Et puis, c'est la suite qui m'agace, tant que je ne suis pas certaine qu'on laissera carcasse en paix
Que te chaud
Beaucoup, même si c'est idiot
Mauvaise raison
Tout de même
Nous enfilons des perles de pacotille, là
Tu as raison – il nous manque un peu de nuit et le bruit de la mer pour avoir l'illusion que les mots qui volent sont profonds – Arrêtons. Au revoir
À un de ces jours
Amies ?
Amies.
N'importe quoi.
12 commentaires:
Saine réflexion devant un fait inéluctable. Savoir parler ainsi de la mort c'est ouvrir la voie à une réflexion salutaire. Beau texte.
Elle aura le fin mot, mais seulement après nous.
jeux de rebonds et de mystère, mais le sens précisément dans ces réflexions (au sens optique)
merci pour cette page et le dialogue
(je suis de près le chantier Kafka aussi, bientôt en eBook...)
Ma mort, elle est derrière, elle est devant
A l'enterrement de ma grand-mère
J'étais derrière, j'étais devant,
J'étais devant, j'étais derrière,
J'étais tout seul à l'enterrement...
C'est pas la mort du petit cheval, docteur. Rien de grave.
Mort, où est ta victoire?
L. Calaferte :
- "Mortimiste..."
La mort fait partie de la vie. Sans elle, on serait tous immortels,et quel ennui !
oh ) honte à moi ! bon les doubles n ou m je me pardonne, mais tâche pour tache !
Il vaut mieux en faire une alliée et puis l'oublier .....un peu
La mort est un manque de savoir vivre...disait Pierre Dac
Gérard tu es irremplaçable - merci
Justement dans les cimetières il y a plein de gens irremplaçables
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