J'ai rencontré, marchant épaules contractées rue de la petite Fustrerie, un oloé plein de charme, qui parlait de jours doux dans une sorte de cocon naïvement féerique, de coin réservé dans une vieille maison, d'odeurs un peu vieillottes de roses trop épanouies et d'une forte femme faisant des confitures dans une grande cuisine, au bout du couloir.
L'aurais bien adopté... m'y suis assise un moment en imagination, ai allumé mon kobo sans crainte du hiatus, et j'ai senti leurs regards, tous ces regards fixes, dont je ne pouvais savoir s'ils étaient vides, et ce qui habitait les têtes de terre qui les portaient, les têtes de tous ces nains faussement bonhommes. Alors j'ai fui devant eux, honteusement, je leur ai laissé ce domaine et suis rentrée dans l'antre.
Doublé les chaussettes, endossé ma grosse veste de laine qui m'est seconde peau en remplacement de la parka, repris et terminé sur l'ordinateur (ah les DRM) la lecture de «L'inquiétude d'être au monde» de Camille de Toledo, (merci à Christophe Grossi qui le conseillait), et préparé, consciente de mes insuffisances, une petite note pour Babelio :
Court et à lire sans reprendre souffle – vers et un corps de texte intercalé – lamento-recherche-d'explication-litanie sur la marche du monde, sur ce qui fait que nous en sommes arrivés à notre inquiétude, nos fermetures, nos enfants qui tirent et tuent.
Apprendre à vivre ainsi et refuser les consolations qui disent nation, appartenance, religion, qui disent ce qui nous faisait croire en notre sécurité, notre différence avec les hommes-cafres, hommes-juifs, tziganes, etc... apprendre que l'on ne sait pas, que le monde n'est pas stable.
Apprendre que nous sommes liés et refuser ce qui sépare.
en choisissant de trop nombreuses citations dont je retiens :
«Mais nous avons quitté le temps
des certitudes.
Et nous voilà à l'orée du vingt-et-unième siècle,
condamnés à mendier le sens.......»
«Nous oscillons sans cesse entre le vertige – vertige d'une origine à jamais disparue ou effacée ou coupée ou brouillée – et le désir de consolation. D'un côté le trait d'union de Césaire. Trait d'union qui porte la trace de la coupure – la mémoire d'un h pour honte, pour hantise, qui a tranché entre l'homme moderne et la nature, qui a divisé les espèces, hiérarchisé les races. Et l'autre polarité : ce qui prospère, hélas, sur les décombres du vingtième siècle : les chants trompeurs de la consolation contre lesquels Stig Dagerman nous mettait en garde ...»
«...où l'on dénonce le fou,
le dément, sans voir la complicité profonde
de la langue et de l'esprit».
Et cela au début qui déclenche l'inquiétude (après la Norvège, après Columbine, tant d'endroits)
«Voyez. L'identité réarmée.
Partout, l'obsession du soi et du non-soi.
Pédagogie ancienne reconduisant
le meurtre.»
Et puisque j'ai commencé à évoquer mes lectures de ce week-end, en recyclant Babelio, à propos du très beau «Perle jetée au feu précédé de Obstination des heures» de Michaël Glück http://www.publie.net/fr/ebook/9782814505698/perle-jetée-au-feu
«obstination des heures» : un poème, la montée de la fin, du à quoi bon, pourquoi nous, jusqu'au mutisme, résignation souffrante
«lèvres absentes
ou qui ne sont plus
ou qui ont renoncé
à la figure»
«obstination du corps obstination
quand la pensée lâche prise»
et le texte principal «La perle jetée au feu», dont ne sais comment parler, mais tant pis, au ras de ma lecture en fascination emportée :
les blocs de textes, comme des paragraphes avec rebondissement de l'un à l'autre, un discours ininterrompu, qui se fractionne mais sans rompre, avec ces mots qui viennent de l'un, s'inscrivent à la droite du suivant qu'ils introduisent, ces phrases ou groupes de mots qui s'échappent, flottent entre deux blocs, rythment, marquent un développement, une inflexion.
La perle jetée au feu ne reste que cendre, une phrase, mais il y a cette autre phrase : je veux être incinérée.
«la phrase
commence là, s’est écrite pour effacer celle qui continue et fut pourtant première et la répétant, celle qui commence, recommence, perle jetée au feu ne reste que la cendre, la répétant, la répétant, c’est l’invention de l’encre qui vient, une calcination avant la pluie ou le dessin des larmes dans la poussière, le dessein, le destin, les pulsations qui donnent folie à douleur, ce harcèlement qui ronge de l’intérieur, l’obéissance inéluctable à la voix et la loi avalées..»
Ce pourrait être la petite fille (mais perle n'est pas un prénom dit l'institutrice) marchant le long d'un train qui revient comme petit motif récurrent, armée, expulsée d'un camp de roulottes.., et elle saurait, comme la phrase, cela : le rien après l'effondrement mais la mémoire, le tragique de notre monde, les souffrances, bannissements, refus, déportations, toujours différents et recommencés. Les discours des importants dans lesquels les souffrances passent dévitalisées, les experts de la radio matinale, les silences etc...
«ceux qui nous informent conforment déforment, les je-sais-tout-je-cache-je-tais et tais-toi-je-t'explique»
«comment fait-on le saut de pas encore humain à humain, celui d'humain à plus humain,»
«tu n'as pas vu perle tes papiers qu'as-tu fait de tes papiers des passeports passent d'un bord à l'autre du cerveau droit au cerveau gauche normal l'écriture de droite à gauche d'abord d'est en ouest les frontières d'est en ouest les passages»
Le poème qui est le présent des mémoire, des mots qui n'ont pas cours... après les guerres, après l'enfance, l'impuissance et le silence ou le récit imposé, ne plus pouvoir lire mais connaître ce que l'on écrit et ce qui est faux
«qui parle ne dit rien si ce n'est son pouvoir, qui se tait tue tout autant, chaque mot convoque l'histoire des hommes»
«pas question d'un trou dans la terre, rester question, veux rester question, trou dans la terre est réponse est question ensevelie»
9 commentaires:
Décidément beaucoup de citations sur lesquelles il faut revenir tout en les laissant décanter dans notre mémoire...
merci de meubler
Cendre tu étais et cendre retournera
de chair et de terre
calcination
dispersion dans le vent
une erreur du néant
Que de techno au logis...
oui j'ai vieilli - moi qui n'avait rien de plus technique qu'un mange disque, un aspirateur et un transistor..
@ brigetoun : du transistor sortaient aussi des perles quand le seul lien avec le monde n'était pas imagé mais imaginé.
Vous avez un iMac, maintenant (j'en étais resté au portable, et le Kobo aurait remplacé votre achat de Noël...) ?
IMac depuis plus de deux ans - marre de tuer des portables
Le Kobo pour remplacer (en fait complète) mon cybook qui a plus de cinq ans et comme je tâtonnais avec le gars de la FNAC pour savoir comment télécharger les livres publie.net depuis l'ordinateur devant le rayon des tablettes, ai craqué pour l'Archos (voulais depuis un moment la Samsung mais mon budget de retraitée...)
Je te lis en mauvaise conscience ne suis pas si agile .....trop de sollicitations et difficile de faire le choix
je suis complètement larguée avec tous ces nouveaux outils : je vais venir prendre des cours chez toi !!
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