C'était aimer la solidité
du bras du grand-père, le plaisir de l'avoir un instant à soi, mais
c'était aimer beaucoup moins la rudesse du drap kaki contre le
rebondi de ses mollets – c'était préférer le coton de la chemise
de Mahmadou, et puis lui il avait le temps de parler et de jouer –
c'était trouver aussi qu'il faudrait qu'il se dépêche un peu, le
bonhomme en civil, qui parlait beaucoup, qui exigeait un sourire, qui
n'en finissait pas de regarder dans son gros appareil. C'était
attendre avec impatience d'être reposée au sol, de pouvoir cueillir
d'autres brins d'herbe, entre les aiguilles de pin, à côté de la
grande place en terre. C'était sentir la main du grand père qui
chatouillait un peu, pour avoir le sourire demandé, c'était aimer
bien ça mais baisser un peu la tête pour bloquer ce sourire qu'il
était beaucoup plus amusant de refuser.
C'était rencontrer sur un
déballage à même le sol de la place du marché, une jambe dans une
petite valise en carton, les fesses blotties dans un boutis froissé,
un baigneur en celluloïd – se dire en celluloïd, s'étonner
pourtant d'une épaisseur qui ajoutait à son souvenir un sentiment
de solidité et de quasi richesse – c'était repenser
mécaniquement, comme les rares fois où elle se retrouvait en
présence d'un de ces corps joliment potelés, d'une de ces têtes
rondes aux cheveux sculptés, au jouet de son enfance, assez grand
pour qu'elle puisse à peine le tenir dans ses bras au début - et
peut être était-ce la raison pour laquelle elle n'avait jamais eu
pour lui l'embryon du sentiment maternel que l'on attend d'une petite
fille – qui lui avait appris le vague plaisir de la propriété,
comme ses chaussures ou sa place au tour de la table familiale, qui
lui avait appris surtout l'échange d'amour entre sa mère qui
l'avait donné, comme le nom puisqu'elle, elle ne s'en souciait pas –
et d'ailleurs elle l'a oublié – qui lui tricotait chaque année,
ou cousait, un vêtement, entre sa mère donc et elle qui remerciait,
souriait pour faire plaisir, heureuse de plaire ainsi et de répondre
à la générosité maternelle, avant de retourner aux jeux inventés
avec les petits.
Deux paragraphes dans
la suite dégénérée de la lecture de l'Autobiographie des objets
de François Bon, détachés de convois des glossolales
http://leconvoidesglossolales.blogspot.fr/
10 commentaires:
Celluloïd, ce mot qui a la consistance mentale de l'ineffaçable.
Séance de photo pour la postérité. Moment insupportable en l'instant, souvenir mémorable à une autre époque.
Général de corps d'armée...
On doit se sentir en sécurité !
euh, tout de même un entourage qui, même si presque toute la famille a survécu à toutes les guerres (presque), habitue jeune à savoir que mort violente existe
Les objets ont-ils une âme ?
Celle qu'on leur prête.
D'un tesson, d'une tessère, d'une tesselle faire revivre l'histoire.
beau et délicat l'amour maternel (amour venant d'une mère ou donné à une mère) et la poupée
A défaut du sourire demandé, le grand père offrait gentiment le sien au photographe.. te permettant ainsi d'en profiter encore longtemps..!
Je vois que tu étais belle même tu étais enfant. ♥
Cheveux sculptés !!! je lui mettais un bonnet n'aimait pas cette tête là quant à la jambe !!!
Celluloïd ce mot n'existe plus
Souvenir....
Celluloïd, ça chantait à mes oreilles d'enfant, n'était ni froid, ni rigide mais cadeau donc tendresse.
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