L'homme fait du métal un
bourreau pour la pierre, quand il s'agit de l'arracher, de la fendre,
couper, de faire de sa matière un matériau pour construire – et
lui montre ainsi l'amour qu'il a pour elle, en révèle le grain, les
veines, la beauté, lui donne autre vie jusqu'à en faire jaillir
parfois des plantes, des êtres.
L'homme fait du métal un
allié, un protecteur de la pierre...
Et les fortes bandes
viennent ceinturer les blocs anciens, retenir leur lente dégradation,
leur dire de se maintenir, les protéger des chocs, comme un
bouclier, et vieillir avec elles sous les intempéries.
Et les échafaudages, les
rudes barres noires que la corrosion guette, viennent supporter la
mort des surplombs en deuil de leur âge, recoudre les fentes,
retenir les cassures, maintenir les fragments sculptés sur le chemin
de leur chute, rappeler qu'il y eut là sculptures, opulence,
retarder la mort devenue presque inéluctable de la façade autrefois
glorieuse
Et une passerelle pour y
faire danser des rêves, s'appuie sur les maisons, en travers d'une
dent creuse, comme pour empêcher que l'écart se referme, qu'elles
viennent s'embrasser, se mêler en s'écroulant, pour garder intact
le souvenir du bâtiment en-allé, pour que des projets
s'épanouissent.
Et Brigetoun, cahin-caha a
laissé passer le jour, a lu, écouté, vaqué, négocié avec corps
et humeur, en douceur, attendu le soir, le premier concert de la
saison, du petit festival de musique ancienne, s'en faisant joie, et
puis s'en est allé à l'opéra, retrouver une amie, et écouter
trois histoires sacrées de Marc-Antoine Charpentier : Judith, Le
Jugement Dernier, Le Massacre des Innocents, par les pages et
chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles, dirigés par
Olivier Schnebell, avec Dagmar Saskova, dessus (mezzo), Erwin Aros,
haute-contre, Jean-François Novelli, taille (ténor), et Arnaud
Richard, basse-taille (baryton-basse).
Pensée fugitive pour
l'église Saint Antoine que voyais en sortant vers mon premier chez
moi, vers laquelle j'allais, avant de tourner et descendre vers la
Seine en passant près du collège Saint Louis, dans ce terroir de
grande bourgeoisie, noblesse, du 17ème, qui fut le sien, comme celui
de Scarron, de mon père en terminale et de Brigetoun en son jeune
temps.
Judith, 1675 sans
doute, les Théatins, Madame de Guise, la mort de son fils de 4 ans,
Madame de Toscane, l'amour de l'Italie, trouver musicien pour la
chapelle, louer le goût italien de la musique de Charpentier, le
foyer italien autour de Saint-André des Arts, passés la Seine et
les îles, où vivait la soeur de Marc-Antoine... Bon là suis en
dérive libre, reste de ma flânerie ravie, dans l'après-midi, tout
en écoutant ce qui se disait à l'assemblée (traité discorde),
dans «Marc-Antoine Charpentier – un musicien retrouvé» de
Catherine Chessac, trouvé sur Google.
Et
ce fut donc Extreum Dei judicium la
première partie dans la dynamique baroque, avançant par à coups et
la colère,
Ecce ossa accedunt ad
ossa unum – tout à coup les os se joignent chacun à sa jointure,
avec la peau, les nerfs et les chairs qui revivent l'esprit entré en
eux
la
seconde dans l'ample harmonie des élus – le bonheur de la beauté
du choeur, des accords des voix mêlées ou se répondant
l'«histoire»
la plus longue, la plus théâtrale, Judith, sive Bethulia
Liberata,en courtes scènes
vocales, variées, la découverte de Dagmar Saskova, dont je trouvais
la voix belle mais un peu minérale, et qui en joue très bien, comme
les hommes (la presque désinvolture de gamin de Erwin Aros, sa
cravate défaite et ses sourires esquissés, la variété et le jeu
des voix de Jean-François Novelli, et d'Arnaud Richard)
Fac Domine, quaeso,
Faites, Seigneur, je vous prie, qu'Holoferne soit pris par ses
propres yeux comme par un piège en me regardant, que la tête de ce
superbe soit coupée de sa propre épée.
Et
puis, après l'entracte passé à lire les textes et le reste du
programme, ce que je n'avais pas eu le temps de faire avant (j'ai
attendu jusqu'à la dernière minute l'amie qui n'est pas venue –
je lui avais promis un billet que j'avais en trop – tant pis un peu
pour elle, c'était à mon avis un très beau moment, tant pis pour
les musiciens, ça aurait fait une tête de plus dans une salle plus
qu'à moitié vide – les avignonnais se mettent lentement à la
musique du début du 20ème siècle, mais pas encore au baroque) –
donc, après l'entracte, l'histoire la plus courte, la musique
peut-être la plus belle Caedes sanctorum innocentium
une
petite ouverture instrumentale, le très pur chant d'alerte par
l'ange (Erwin Aros), le commentaire de l'évangéliste (
Jean-François Novelli), les quatre femmes et les enfants pour le
choeur des mères, le terrifiant air d'Hérode (Arnaud Richard) et
puis une alternance de choeurs et de trios
dont
le chant sur une musique pleine de sanglots de trois mères (Dagmar
Saskova est au centre).
Une
grande unité, avance, de la musique qui pourtant reflète les
sentiments, discours ou actions.
Parcite lacrymis –
Gardez vos larmes, gardez vos pleurs, ô mères heureuses. Si en
effet vous cherchez où sont vos garçons, vos coeurs chéris, où
sont vos enfants, vos entrailles, ils règnent dans les cieux avec le
Christ, vêtus de robes blanches, et ils suivent partout l'Agneau
sans tâche.
Les
voix se mêlent, le choeur est ample et paisiblement glorieux – me
demande si c'est une consolation..
et
puis, pour se dire en revoir, en bis le grand air de Judith.
8 commentaires:
Et oui, j'en suis d'autant plus désolée. J'ai tout simplement oublié, comme tous les soirs je me suis effondrée et ce n'est qu'à l'instant que cela m'est revenu. Je pense que je n'aurais pas pu apprécier comme toi. Je porte un projet trop lourd pour moi et qui m'obsède au point d'en oublier tout le reste, ou peu s'en faut. Excuse moi si tu peux.
Une description magistrale, sensible et éclairée de l'oeuvre. J'aurais voulu être télétransporté à vos côtés pour goûter pleinement cette grande musique de Charpentier. Je ne connais le Centre de Musique Baroque de Versailles. A vous lire (une grande unité, avance, de la musique qui pourtant reflète les sentiments, discours ou actions), il me semble que votre soirée est une pleine réussite.
Françoise je m'en suis doutée, et tu étais toute excusée.
Tu m'intrigues avec ton projet
De fil en aiguille la pensée en broderie, en rapetassage de souvenirs comme la pierre savamment rafistolée
Connais peu la musique de Charpentier
Merci
La musique de Charpentier est si belle et si mal connue ! Comme d'habitude tu donnes envie. Merci. Bises.
Saisissante la première image, la pierre à bras le corps. Une si longue entente.
Aussi prégnant que les Chantres et cette si belle et première soirée...
Oui, saisissante la première photo et très réussies les photos de scène.
vous "en dérive libre..." et nous, à vous lire, loin d'être déroutés, encore moins déçus ou désappointés...
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