air
frais sur visage, temps clair, petites courses en ville
mondanités
et
une visite pour saluer le retour dans l'antre
pluie
passagère, ou ciel bleu avec nuages lumineux selon les heures
le
jour qui avance, je m'agace d'arriver à grossir, et me proclame
ruminante,
je
me promène chez Gallica, et comme, finalement, je ne me tiens pas
parole, et qu'avec Myriam OH nous avons décidé de ne pas renoncer à
vase-communiquer en mars, je reviens à l'agréable échange avec Jan
Doets en février, et reproduis ici la lettre que je lui ai adressée
en réponse à
http://brigetoun.blogspot.fr/2014/02/ma-chere-brigitte.html
sa déclaration d'amour à la chanson française
Mon
cher Jan
J'ai
rougi en vous lisant, rougi bien entendu d'abord du rôle que vous
m'attribuez, rougi aussi de ce que vous dites du français et,
horrible aveu, du sentiment arrogant de la justesse de vos mots, qui
teintait d'un zeste de suffisance ma confusion devant cet éloge.
Parce
que vous êtes tombé sur une de ces françaises qui, sans vergogne,
abrite sa totale incapacité à apprendre une langue, quelle qu'elle
soit, derrière l'amour de la sienne, qu'elle a pourtant bien du mal
à manier (je suis certaine que vous "possédez" la
grammaire française mieux que ne l'ai jamais fait.. j'avais une
fâcheuse tendance en classe à ignorer superbement ce qui
m'ennuyait, me rattrapant sur d'autres matières, qui, par chance
pour moi, avaient de bons coefficients.)
Et
me voilà bien embarrassée, parce que je suis affligée d'un autre
défaut qui nous est généralement reconnu - surtout pour les
français de ma génération qui n'ont pas eu accès aux voyages
considérés de nos jours comme ordinaires pour les jeunes -, une
totale, ou presque, ignorance de tout ce qui n'est pas mon petit
monde. À l'exception bien entendu de Paris, qui fut le cadre de plus
de la moitié de mes jours, du Lyon d'une partie de mes ancêtres, et
de la Bretagne rude des années d'après guerre, même le nord de la
France m'est terre étrangère, et j'ai le souvenir de ma découverte
effarée et émerveillée de Strasbourg ou, à un degré moindre, de
mon impression de marcher dans un livre d'histoire sur les bords de
la Loire, ou du Loir ou..
Ignorance
qui a fait que j'ai beaucoup rêvé de tous ces pays que point ne
connaissais, et de la Hollande (ou des Pays-Bas comme le dit mon
crâne), et que, bien entendu, mon rêve était fortement teinté de
poncifs, l'équivalent du béret, de la baguette et des petites
femmes de Paris.
Bien
sûr, il y a eu la pitié craintive, l'effroi, devant les images et
récits de la grande inondation, mais aussi le plaisir renouvelé
avec délices de lire, relire en pleurant délicieusement les patins
d'argent comme toutes les petites filles de ma génération (en
alternant avec les quatre filles du docteur March) et, oui, aussi,
j'y pense, la tête de loup de mer coiffée d'une toque sur les
paquets d'Amsterdamer.
Il
y a eu ensuite les petits cabinets qui, aux temps anciens où le
Louvre est entré dans ma vie, pour en devenir l'un cadres, après
la grande salle-sas au bout de la grande galerie et les Van Dyck et
Jordaëns, les petits cabinets qui entouraient la grande salle des
Rubens - passons sur la gloire flamande, la frontière était un peu
floue à mes yeux de petite latine - et qui abritaient, comme de
discrets trésors, avec, du moins dans ma mémoire, «la dentelière»
bleu, jaune, perle et lisse de Vermeer, les intérieurs lumineux,
sages, ordonnés de Pieter de Hooch et Borch, d'autres tableaux, et
surtout mon goût rêveur pour les arbres, le vent, les paysages de
van Ostade, Wouwermans et surtout Ruysdael, qui m'étaient chers....
et bien sûr je rendais visite aussi, souvent, à la Bethsabée, au
paysage au château de Rembrandt, et à la franche, superbement
canaille bohémienne de Halls. Quand j'avais choisi leur compagnie,
traversant les Tuileries, en sortant, dans les fins d'après-midi
transparentes, je rêvais richesse, marine, commerce, rigueur et
gouaille, et, en fille de marin, que Tourville me pardonne, bataille
de la Hougue où les hollandais nous battirent si durement.
Et
puis je suis venue, pour quelques jours, en votre pays, il y a
quarante cinq ans environ, pour le baptême de mon filleul (perdu de
vue comme sa mère, qui m'était pourtant bonne amie, depuis très
longtemps) et ce furent journées pleines, dont je n'ai qu'un
souvenir brouillon et vague, d'où émergent mon étonnement ravi
devant l'amabilité de l'employé qui m'a saluée d'un bonjour au
fort accent en me rendant mon billet en gare d'Utrecht, la
gentillesse du cercle, amis et famille, autour du bébé, et leurs
efforts pour tenter de m'inclure, ma surprise devant un dîner à une
heure à laquelle je n'y pensais pas encore et la variété de
textures, teintes, formes des pains qui en étaient la base, le
plaisir, en marchant dans cette ville coquette, de tomber sur un coin
de canal un peu négligé, comme si là les ans avaient renoncé à
se maquiller et qu'un peu du passé nous souriait dans un suspens de
sa vie laborieuse.
Rouler
dans une campagne que la fréquence des habitations transformait pour
moi en parc rustique, vers une longue maison de bois bouffée de
clématites, baignée de sourires légers et quiets.. où nous avons
laissé les très aimables grand-parents et l'enfançon, pour une
petite virée.
Deux
jeunes femmes qui ne s'étaient jamais autant vues, notre amitié et
nos différences, la grande et belle (avec une peau légèrement
marquée qui rappelait sa prime enfance dans un camp japonais) digne,
impeccable, aux principes souples et souriants, et la petite au
chignon défait, capable de s'asseoir dans la rue, de dire ce qu'il
ne faut pas, ébouriffée autour de principes rigides, deux jeunes
femmes dans une petite voiture, vivant avec juste un brin de
fantaisie les chemins classiques des touristes, la route le long de
la mer et au dessus des terres (image qui m'en reste : la blancheur
immense), la balade sur les canaux, et ma détestation des touristes
français...
Un
peu plus net : une salle lambrissée, au crépuscule, au dessus d'un
canal, nos yeux, nos mots que j'ai oubliés, qui devaient être
légers, au dessus d'un monde de petits plats, de saveurs,
d'hésitation, ce qu'on appelle le rijsttafel.
Et
puis, le principal, notre errance dans le Rijksmuseum, trop brève
bien entendu, et trop rapide, comme toujours - surtout quand ne suis
pas seule - nez en l'air, au gré de nos impulsions, guidées en fait
par la scénographie des salles, son insistance pour que j'admire
avec elle la clarté des nefs d'églises de Saenrendam le jeune,
pendant que je la tirai vers les paysagistes, et puis la
confrontation éblouie, qu'aucune reproduction ne pouvait préparer
avec la profondeur, la lumière sourde, le trait de la Ronde de nuit
de Rembrandt et surtout, à côté, découvrir et rester figée
devant «la fiancée juive», les deux visages sages aux sourires à
peine esquissés, sortant doucement de l'ombre, un peu chiffonnés
sous la lumière qui les sculpte en les effleurant, la tendresse
retenue des gestes, la richesse des étoffes qui sortent de la nuit
vague du fond, les reflets dorés sur les manches, et surtout ce
rouge, profond et sourd, riche et mat, de la robe, où mes yeux se
sont enfoncés, pris dans la pâte, et qu'ils n'ont jamais oubliés.
Note
: La portrait de Jan Doets est emprunté, avec sa gentille autorisation, à Giovanni Merloni
http://leportraitinconscient.com/2013/08/
11 commentaires:
Mondanités...j'adore!
Relire une lettre, c'est comme la recevoir pour la première fois...
MERCI
et gratitude grande
Excellentissime, brige !
Il y a des liens d'amitié qui se tissent entre les sites et les lecteurs, et ceux qui écrivent sur l'un, lecteurs des autres, échangent les places, et ainsi il se tisse des attentions et des amitiés et des réponses qui expriment tant que nous appartenons tous à la même humanité, avec les mêmes questions et les mêmes attentes.
Elle fait joliment voyager, cette lettre.
Magnifique texte... Mais pourquoi découverte effarée de Strasbourg ?
Tu ferais mieux que " écrivain public "
Strasbourg richesse, et une civilisation que j'admire et qui m'est étrangère
Gérard, avec mon orthographe, je ne pourrais pas faire écrivain public
un charme léger pour une déambulation dansante, un bonheur d'essayer de suivre votre pas
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