Dimanche, un 19° inespéré
à 8 heures du matin et quelques petits nuages comme des grumeaux
dans un coin du ciel au dessus de la cour
partir dans la chaleur
montante (peut-être deux degrés de moins que les derniers jours ?), voir des troupeaux
investir la ville en passant par ma porte de l'Oulle, avancer dans
l'éblouissement, d'un pas tranquille,
saluer une sagesse canine,
la rue des Teinturiers avant l'hystérie... et attendre longuement,
rouspétant en coeur mais en douceur, devant la porte fermée du
jardin du gymnase Saint Joseph
traîner une chaise de
place en place, trouver l'ombre la plus douce, et feuilleter
quelques pages d'Esperanza (Lampedusa), en vente sur place, la
pièce d'Aziz Chouaki dont une lecture condensée va être donnée,
et puis écouter les échanges entre Rachid, le propriétaire de
l'Esperanza qui entreprend la traversée de la mare nostrum depuis
l'Algérie, et certains des passagers, Kader, la vedette, grande
gueule, qui dresse un tableau riche en images et sexualité de cet
éden qu'est l'Europe et l'accueil des bénévoles italiens (si outré
qu'il ne le croit certainement pas) pour la plus grande joie des
autres, l'handicapé à l'égoïsme sans doute explicable,
l'ingénieur – un précieux passager qui trouve calmement
explications et solutions, presque tout le temps – accompagné de
son amie dont le déguisement en homme est rapidement découvert et
Socrate, qui au début ponctue les discussions de versets du Coran et
se laisse emporter peu à peu par un lyrisme un rien délirant mais
de belle vigueur – texte qui refuse tout bon sentiment, sauf quand
ils percent sous les propos violents, texte de colère contre les
gouvernements des pays quittés, texte ironique envers l'occident,
texte trivial, pratique, philosophique, selon les interlocuteurs, en
un mélange qui surprend au premier abord.
Peu
à peu j'ai reculé, hors de l'assemblée, voyant mal mais entendant
fort bien, pour fuir certains éventails maniés avec inexpérience
et violence...
Comme
j'ai envie de plonger un peu dans ce texte pour en vérifier la
saveur ou non-saveur, dans l'après-midi de l'antre, après un
renoncement, je l'ouvre au moment où, entre autres péripéties, ils
se sont cachés sous la bâche lors de la rencontre avec des
garde-côtes algériens, et je garde un échantillon des voix, celle
de Socrate qui ne s'est pas caché et dont la harangue semble avoir
fait fuir les garde-côtes, c'est du moins ce que prétendent les
autres
De même que l'Ulysse
sandale brava l'airain du glaive d'Hera, nous le peuple des heures,
car vivant quelques heures, venons à vous visages, haillons de
légendes antiques, avec le miel et la myrrhe. Oyez gens du Nord, je
sais les mots de votre tribu, ma musette en regorge, les poèmes de
varech, des digues et des môles, des brisants en fracas, des noeuds
de cabestan. En vérité je vous le dis, c'est dans le corail de sa
voix, la mer, que tout ça se raconte...
et
Kader qui proclame son soulagement et renoue avec ses discours
Star, normal, mon
destin, face à face, moi. Regarde, beau gosse, gentleman, Fred
Astaire, fly me to the moon, dans le quartier, tout le monde : Kader,
Kader, tu passes quand à la télé ?.. Comment on devient star,
Kader ? Tu vois, de naissance, frère, l'étoile sur ma tête, de
naissance... Rock, blues, arabe, c'est à la carte mon canard. Oui,
ou animateur télé, si tu veux, le peps, le zwing zwag, la tchatche,
le niqué de la tête, c'est qui, hein, c'est moi. Avant les
criquets, bien sûr, oui l'invasion, les criquets nucléaires arabo
islamoïdes, tout bouffé, tout rongé, c'est gang city, maintenant,
voleurs de poules, Coran et costume Prada et tout, se la pètent
monde arabe, justice sociale, mais va te laver le cul mon frère...
et
quand cela s'arrête, après la rencontre d'une baleine qui est un
dauphin, le trou dans la coque, la tempête, la perte de
Kader-Lampedusa, m'en suis allée
d'un
pas plus ferme que ces jours ci vers l'antre. Mais quand après
lourde sieste me suis préparée à partir vers la FabricA, comme en
fait, une distance se faisant avec ce qui nous est parfois proposé
dans le in, je n'avais plus franchement envie, sans doute à tort,
d'aller assister à Cuando vuelva a casa voy a ser autro (pourtant
l'idée de cette histoire retrouvée dormant dans les objets oubliés
m'avait plue
http://www.festival-avignon.com/fr/spectacles/2015/cuando-vuelva-a-casa-voy-a-ser-otro)
d'autant que ne me sentais pas le courage du trajet à pied et que
n'étais pas certaine qu'il y ait un bus la desservant le dimanche... après avoir envisagé de prendre un taxi, ai pondu cette longue
tartine,
avant
de partir vers la rue de l'escalier Sainte Anne, les Hauts Plateaux,
pour voir Matin et soir, adaptation d'un roman de Jon Fosse,
par Christine Koetzel (compagnie Echo), récit de deux journées de
la vie de Johannes, celle de la naissance, celle, des années plus
tard, de l'approche de sa mort
présentation
par Christine Koetzel sur Théâtre contemporain
L’écriture de Jon
Fosse est une véritable partition musicale, ciselée, répétitive
avec d’infimes variations et peu de ponctuation. Elle passe
subrepticement de la narration à la personnification, glisse d’un
personnage à l’autre et accomplit la prouesse de nous embarquer
dans un lointain voyage dans le temps et l’espace. J’ai lu Matin
et Soir d’une seule traite, avec l’envie de dire à haute voix,
d’un souffle et de partager cette histoire. Il ne s’agit pas de
théâtre mais il n’est pas loin : la sensation d’un réel qui
n’est pas réel, l’extra-ordinaire de la banalité du quotidien,
l’étrangeté du rêve, le mystère de la présence et de
l’absence, l’adresse au lecteur/spectateur. Tout pourrait se
passer dans un lit puisque Johannes naît et meurt dans son alcôve.
Et pourtant tout s’ouvre sur l’infini. Du néant vers le matin de
sa vie le petit Johannes flotte dans l’eau du liquide amniotique,
traverse le rouge et la chaleur du ventre de sa mère ; de plusieurs
il devient un, séparé des autres. Au soir de sa vie, il accomplit
le mouvement inverse et se dissout dans l’immensité de la mer
confondue avec le ciel.
De l’eau et encore de l’eau, du début
à la fin, un mouvement qui se renouvèle sans cesse. Car il est
aussi question de continuité dans cette histoire, de transmissions,
de celle d’un père à son fils puis de celui-ci à sa fille Signe,
la seule vivante du récit. Le passé devient présent, les morts
parlent et traversent les vivants....
une
photo de Françoise Goffier (datant de l'hiver 2013, le chandail
était ce soir une blouse blanche)
elle
joue tous les personnages, ou dit ce qu'ils pensent, ce qu'ils font,
parfois ce qu'ils disent, passant d'un état à l'autre, d'un
personnage à l'autre, d'une même voix tranquille, un peu absente
(sauf dans la première partie où elle crie avec Marta la mère, où
elle accompagne la musique, chargée de faire exister le monde de
l'entre-deux entre notre langage et la mémoire intérieure, pour
nous faire entendre l'univers de cris, de voix forte, de vacarme où
tombe le nouveau-né) sans marquer de césure, de différenciations
nettes (mais on devine facilement) – ne pas identifier mais
traverser les personnages et les sensations, nous faire vivre dans cet entre-deux mondes, comme Joannes dans ses
rencontres ce jour où il se lève léger, sans ses douleurs, où il
rencontre son ami, sa femme, s'étonne à peine de leur présence,
davantage de les traverser, comme sa fille le traverse en le croisant
sur le chemin de la maison, prise soudain d'une sensation de froid.
C'est humain, profondément et étrange... avec un juste un petit
défaut, ces sacrés norvégiens se complaisent juste un peu trop de
temps, puisque c'est doux, dans cette mort rêveuse, non admise.
Retour
en flânant un peu, avec l'impression d'avoir fait l'école
buissonnière.
Ecouté
sur France Culture la diffusion de l'amour et les forêts de
Frédéric Reinhardt, avec une musique de Feu ! Chatterton, dans les
jardins de Calvet, pour laquelle il était quasi impossible d'obtenir
un billet.. et ce n'était pas plus mal.
10 commentaires:
"Matin et soir" : comme un résumé de vos activités festivalières ininterrompues !
avec grosse sieste entre les deux, pas suffisante si j'en juge par les fautes (mais au moins je ne titube plus, même intérieurement, dans la rue)
Y être avec vous, grâce à vous... Merci Brigitte.
grand merci pour votre passage
le festival lasse à l'extérieur comme à l'intérieur
et pourtant nous allons regretter les quatre jours de moins...
Un peu de fraîcheur ne messied point!
Une montée en puissance des dits
à l'ombre des mots.
très très relative la fraîcheur - pas plus de 37°
Surprise de l'ombre ...comme un oiseau posé dans le va et vient incessant
J'ai aimé ton ombre d'une grande classe comparée à la mienne publiée il y a peu...
une simple question d'heure Tanette, juste l'heure où je peux croire que je suis grande, moi qui vis tête levée vers autrui
oh ! une copine de Nancy ! Christine Koetzel ...
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