Comme j'avais un chèque à
poster, impérativement, comme la corbeille à papier débordait, ai
tout rassemblé, mis un manteau, regardé fermement la béquille de la
porte, elle qui a du jeu et ne gouverne le pêne que quand elle le
décide, et suis sortie, munie de mon téléphone et d'une liste
d'artisans (Brigetoun se fait une montagne des révoltes d'objets)
Le ciel était pur sous ce
vent - pas un très fort mistral, non, mais un adolescent plein de
fougue – qui le balayait, qui m'a fait admirer un vol de martinets
qui n'étaient que les feuilles sautant par dessus le rempart
et suis rentrée, ai
commandé calme à mes mains, ai ouvert victorieusement (mais
téléphoné pour qu'un serrurier passe un de ces jours…)
Et avant de me plonger
dans la lecture, entrecoupée de collectes de feuilles et de coups
d'oeil au live du Monde, du Manuel d'histoire
critique édité
par le Monde Diplomatique (juste un peu décevant, finalement.. du
moins pour ce que j'en ai lu) j'ai repris l'édition de ligne
1044 que
Christine Jeanney a confié aux Editions QazaQ, ce texte écrit,
repris plusieurs fois, ce texte né d’un
long voyage en train, un voyage banal à la destination sans
importance, le genre de situation où s’installe une rêverie
mouvante.
Les pensées sont
prises dans les ressacs du corps, soumises aux vibrations, à la
vision rapide et répétée d’agglomérations, banlieues
industrielles, zones non habitées ou d’autres, résidentielles,
et la répétition des champs qui s’alignent au bord de l’horizon
imperturbable.
Pour
reprendre cette fois, en les comparant, paragraphe par paragraphe,
même si ce n'est pas fait pour ça, les deux versions, les deux
formes qui se succèdent (j'espère que Christine Jeanney ne m'en
voudra pas trop... vais surtout la piller, elle dit mieux que moi)
La première forme est
circulaire : j’ai déterminé arbitrairement des points
d’écriture dans l’espace de la page. Ils m’ont permis de
traduire le déplacement intime frotté à la présence de
figures et de constructions visibles à l’extérieur un court
instant. C’est dans cette perspective et ce positionnement que j’ai
voulu écrire.
La seconde forme est
linéaire : elle quitte la mécanique de la spirale et avance,
délestée de ses points d’ancrage, sans doute de façon plus
rêveuse, suivant ce qui s’écrit en soi et hors de soi, sur une
ligne horizontale finalement parallèle à celle de la voie
ferrée.
Parce
que, même si les différences sont, selon Christine, minimes de
l'une à l'autre, l'oeil nouveau, la différence du rythme,
enrichissait ma lecture
image du début de la
version «circulaire» dans laquelle les textes qui nomment les
points par lesquels passera la tête et le corps, soi en mouvement
au monde, sont pour A fenêtre gauche/avant, pour B à
l'avant/devant, pour C fenêtre droite/avant, pour D fenêtre
droite/derrière
et, dans la version
linéaire, qui coule les groupes de mots dans des phrases, cela
donne, après quelques phrases d'introduction qui lui sont réservées
être unique, un point
lancé au cœur d’un tube ; la tête s’arrondit dans les
courbes, touche la vitre, reprend la verticale de la nuque
la tête balance,
légèrement ballante ; un passager bâille quelques sièges plus
loin
un oiseau passe, une
main tourne une page, un décor étranger vu de mémoire, l’une
à l’autre les pensées enchaînées dans l’avancée ; être
un point seul et lancé sur une ligne ; se concentrer / s’abandonner
dans le même mouvement ; la ligne se nomme 1044.
pour A - elle, juste à
côté : une femme blonde, elle ne bouge pas ou très peu, ses
pieds dans des chaussettes unies posés sur l’assise d’en face ;
ses chaussures vides côte à côte ; ses talons bien au centre de
la rayure la plus large ; le tissu du fauteuil public contre
l’intimité du pied, le saut du lit ; s’est enroulée dans son
manteau sac de couchage ; je ne vois d’elle que les extrémités,
ses pieds et la peau blanche du front, une mèche ; elle se redresse
pour dégager son bras, sort un téléphone de sa poche, musique
synthétique, elle sourit, tousse, replonge, se remmaillote, ne
laisse dépasser du bleu gabardine que sa tempe et un quart
d’oreille
pour B - devant la vue
est impossible, bloquée par le dossier des sièges
etc... pour C et D, vous
laisse le soin de découvrir
comme un peu plus loin,
pour la deuxième intervention de E et F, cette page
qui devient, pour E' dans
la seconde version
se souvenir d’un
poème de Victor Hugo à propos d’un lion de Venise – ou
Lamartine ? – les adultes applaudissaient, levant leurs verres,
avoir huit ans et un père fier, je tente de le sortir du flou,
photo ratée de la mémoire, les visages trop vagues, les doigts
agitant les couverts, les verres, verres isolés, déplacés, un
instant sortis de la vitrine, séparés de la danseuse espagnole
rigide et des fruits peints sur céramique, verres lavés
soigneusement à la cuisine et posés têtes en bas sur un torchon
à rayures rouges et blanches ; rayures
et, après trois
paragraphes reliés à B', A', C', D' on trouve F'
le fond d’un carré
vert, un rond noir et blanc dessus prend toute la place, flotte, bat,
accroché à la corde à linge ; seulement ensuite décoder sur
un drap le dessin d’un panda qui sèche
il y a les mouvements du
corps suivant les mouvements du train, la pensée se coulant dans les
mouvements du corps et se déployant, il y a les observations brutes,
énumérées dans la version circulaire, rangées en phrases dans le
linéaire, observations du mobilier qui dérivent comme lorsque, à
partir d'une poche à revues, s'invitent les lectures distraites d'une
succession de voyageurs , observations par les fenêtres du ciel, des
pylônes, une autre caravane montrée du doigt, on baisse la voix
quand les enfants demandent, soupirs, on n’en veut pas derrière
le stade, ils remballeront, des maisons, des idées qu'elles font
naître, quelqu’un dans un jardin retourne la terre, entend le do
fa plus fort que le bruit de sa bêche, etc... et observations des
occupants des sièges proches – et de leur observation naissent des
questions, méditations sur notre monde, pourquoi elle, ses
vêtements à rayures, qu’est-ce qu’elle veut dire de sa
structure interne, des histoires - et des gens qui circulent, de
leurs gestes à tous, qui semblent notés avec minutie, il y a l'idée
des rails à travers la lunette des WC, il y a les changements de
vitesse du train, les arrêts, il y a des pensées vagues, des rêves
qui transforment le wagon en montgolfière, il y a les souvenirs qui
s'accrochent à une vision qui se déploient (et la forêt est
merveilleuse et cruelle quand elle capte l'enfant qui fut – elle et
la maison d'antan et les pigeons), il y a la lecture plus ou moins
distraite, l'esprit qui s'empare d'un détail et la lectrice qui
s'invite dans le lieu décrit pas une phrase, il y a tout de ce qui
peut occuper le cerveau d'une voyageuse contrainte à rester là, que
dormir on le voudrait, surtout quand cette voyageuse est Christine
Jeanney... c'est fou ce qui peut s'inviter dans ce wagon.
4 commentaires:
Mais alors, il n'y aura plus de surprise ?...
oh que si, il y en a plein
Belles lignes...ce temps suspendu. où tant de choses interviennent
çà semble périlleux au bout de la ligne 1044
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