cela, tant que le
mouvement de l'astre l'a voulu, et pas grand chose de plus – alors
merci aux cosaques des frontières
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Sophie avait
onze ans, Sophie regardait la vie et le monde, ne comprenait pas
tout, pensait qu'elle comprenait un peu, voulait grandir et ne
s'aimait pas, quand elle y pensait, mais ce n'était pas tout le
temps.
Sophie était
l'ainée d'une petite bande de frères et soeurs, elle les aimait
comme on aime ceux qui nous sont proches et chacun d'eux, plus
particulièrement, pour une raison ou l'autre, mais elle s'agaçait
de plus en plus d'être incluse dans leur groupe, d'être considérée
comme l'interprète des parents auprès d'eux la petite classe ou de
participer à leurs jeux, d'ailleurs elle laissait à son cadet, de
très peu, le gouvernement, les choix de la fratrie, pour s'isoler
avec un livre offert, pris à la bibliothèque de l'école, ou, dès
que sa mère était absente, un de ceux qui étaient juchés en haut
des rayonnages du salon.
Les enfants
avaient des amis, des cousins, vrais ou faux, c'est-à-dire des amis
plus proches que de vrais cousins, de ceux avec lesquels, malgré les
grands trous dans le temps et les choix différents, parfois jusqu'à
être opposés, les liens ne se rompent jamais complètement, se
transforment au pire en antagonisme à l'expression prudente. Et
parmi ces amis, il y en avait, un peu plus âgés, de trois ou quatre
ans, avec lesquels tentaient de se jouer des préférences,
surlignées par les adultes, mais en fait elle y était rétive, car
cela ne l'intéressait pas, car eux ne l'intéressaient pas.
Parce qu'ils
étaient bien pâles à côté des adultes. A côté des amis du
père, bien sûr, qui avaient grande voix et gentillesse discrète,
mais qui semblaient par trop inabordables, et dont, sauf quand ils
s'adressaient directement à elle, à elle et aux autres, pour
expliquer, pour montrer ou aider, et à condition qu'ils ne le
fassent pas avec trop de sévérité, ou en jouant idiotement les
gamins, la conversation n'avait guère de charme.
Mais il y avait
les autres, les amis de la mère, plus jeune - ce modèle
inatteignable qu'elle regardait avec amour admiratif et rancune -,
parce qu'ils étaient plus proches - surtout ceux qui étaient encore
plus jeunes qu'elle la mère, sur lesquels elle veillait, qui lui
faisaient une cour discrète et parlaient de musique, de livres, de
la couleur d'un ciel – les vieux, eux, gardaient leurs plaisirs
muets.
Oh elle savait
bien que ce n'était pas sa place, mais elle s'insinuait dans le
salon, s'asseyait au sol, en partie cachée derrière un fauteuil ou
au coin d'une commode, et elle s'imaginait qu'elle était invisible –
ce que bien sûr en ado boulimique et maladroite elle n'était certes
pas – ou si négligeable qu'on l'oubliait, et elle tendait son
visage pour boire les mots qui volaient.
Il y avait bien
sûr ses préférés, comme ce jeune homme brillant, cousin de gens
célèbres, ce qui était grisant, mais qu'en fait elle partageait
avec tous les autres enfants, puisque son rôle favori était celui
de grand frère, de cousin âgé et bienveillant... il y avait ceux
qui amusaient les mères et jeunes femmes et dont elle s'efforçait
de retenir les remarques spirituelles quand elle ne les comprenait
pas, pour les disséquer ensuite – là elle était généralement
chassée fermement tôt ou tard parce que, bien entendu, elle gênait,
elle n'avait pas l'âge d'entendre – il y avait ceux qui étaient
simplement beaux, mais elle se lassait assez vite.
Et puis il y
avait un des vieux, pour lequel elle avait tel désir de se muer
rapidement en trentenaire, avec robe de velours noir, collier de
perle, sourire pointu et joli rire, il y avait ses yeux qui passaient
du sourire au chien triste, sa voix de violoncelle, ses récits de
mers lointaines, ou de la campagne de sa jeunesse, son goût pour la
peinture, jusqu'à son écriture dessinée digne ou presque des
calligraphies de ses amis japonnais – elle gardait dans son tiroir
du bureau partagé, avec une photo du père jeune, une enveloppe de
lettre qu'elle avait subtilisée -, elle essayait désespérément de
ne rien perdre de sa présence, et de ne pas être, d'avoir corps
filiforme et transparent, elle était attentive mais au bout d'un
moment ils la regardaient en souriant avec une ironie qui se voulait
bienveillante, ils lui indiquaient qu'elle avait eu sa suffisance et
elle se relevait maladroitement et s'en allait retrouver la
marmaille.
À partir d'un
buste en bronze de Camille Claudel
6 commentaires:
Toute la délicatesse de Camille Claudel retrouvée dans vos phrases. Merci !
Un buste peut inspirer, même si tout était peut-être caché dans le dossier rouge ?
Oh j'aimerais tant connaître la suite ! Quand est-ce que cet esprit s'est envolé ?
Marie Christine, j'avoue que je n'ai pas pensé à elle, juste à la petite fille
Dominique, ce qui est dans le dossier rouge restera à jamais énigmatique
Claudine, la suite : elle a vieilli
Passer de l'invisible au visible, du taiseux au parlant, rude tâche, surtout à certains âges.
Le temps de tous les possibles quand on croit avec tant se facilité
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